Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la
FSEG, U-Bazo, ESGIC.
La
liaison entre monnaie centrale et pouvoir de création monétaire de la part des
banques
« Cette
relation entre monnaie centrale et pouvoir de création monétaire, par octroi de
crédit de la part des banques » a fait l’objet de deux approches
théoriques différentes dans les années 70. Il s’agit du multiplicateur de
crédit, un concept développé par les monétaristes, pour souligner le rôle
premier de la banque centrale, et la notion de diviseur de crédit proposée par
les keynésiens, pour insister sur le caractère endogène de la masse monétaire
créée par les banques.
Le multiplicateur de crédit
Le multiplicateur de crédit
est un concept qui permet de comprendre comment les banques commerciales
peuvent augmenter l’offre de crédit dans une économie en accordant des crédits
à partir des dépôts de leurs clients. Ce concept repose sur le système de
réserve fractionnaire. De quoi s’agit-il ? Ce système de réserve
fractionnaire est un mécanisme par lequel les banques commerciales sont tenues
de conserver en réserve une partie des dépôts de leurs clients, le reste
pouvant être utilisé pour accorder des prêts. Cela signifie que lorsqu’ un
client fait un dépôt à sa banque, la banque ne va pas conserver la totalité de
ce dépôt dans sa caisse ; mais elle va en prêter une partie à d’autres
clients. La proportion minimale des dépôts que les banques doivent conserver
(sous forme de liquidités ou de dépôts auprès de la banque centrale) se nomme
les réserves obligatoires. Ce taux est fixé par la banque centrale et a pour objectif
de garantir la stabilité du système bancaire en veillant à ce que les banques
aient toujours suffisamment de liquidité pour répondre aux demandes de retrait
de leurs clients.
Par exemple, supposons qu’un individu
demande et obtienne un crédit de 10 000 UM auprès de sa
banque, noté banque A. Ces 10 000 UM de crédit se transforment en 10 000 UM de dépôt. Supposons
que le taux de réserves obligatoires – appelé également coefficient de réserve
– soit de 10 %. La banque A doit alors alimenter son compte auprès de la banque
centrale, c’est à dire constituer des réserves obligatoires, pour un montant de 1000 UM (soit 10 000 UM × 10
%). La banque dispose donc de 9000 UM (soit 10 000 UM − 1000 UM) de réserves
excédentaires. Sachant que ces réserves excédentaires ne sont pas, pour
l’instant, rémunérées, la banque A va donc les utiliser pour accorder des
prêts.
Que se passe-t-il ensuite ?
Ces 9000 UM de crédit créent 9000 UM de dépôt dans une autre banque, noté banque B. Tout comme la
banque A, la banque B doit, elle aussi, alimenter son compte auprès de la
banque centrale, c’est à dire constituer des réserves obligatoires. La banque B
maintient ainsi 900 UM (soit 9000 UM × 10 %) de réserves obligatoires et dispose de 8100 UM (soit 9000
UM – 900 UM) de réserves excédentaires. Ces réserves n’étant pas
rémunérées, la banque B utilise ces 8100 UM pour octroyer de nouveaux prêts. Ces 8100 UM de crédit créent, à
leur tour, 8100 UM de dépôt dans une banque C.
Dès lors, la banque C doit, comme les banques A et B de notre système bancaire,
constituer des réserves obligatoires pour un montant de 810 UM (soit 8100 UM × 10
%). La banque C dispose alors de 7290 UM (soit 8100 UM – 810 UM)
de réserves excédentaires qu’elle utilise pour accorder des nouveaux prêts. Et
ainsi de suite jusqu’à ce que le mécanisme des 10 % de réserves obligatoires
fasse tendre les liquidités disponibles vers zéro. Le montant total de monnaie
créée à partir des dépôts initiaux de 10 000 UM sera ainsi le résultat de tous
ces crédits, réduits à chaque fois du montant des réserves obligatoires. Au
total, dans cet exemple, il sera créé 100 000 UM de monnaie, soit dix fois le
montant initial de dépôts. On dira que le « multiplicateur de crédit » est de
10. Ainsi donc plus le taux de réserves obligatoires est élevé et plus le
pouvoir de création monétaire des banques est limité.
« Ce
mécanisme du multiplicateur fait de la masse monétaire une quantité que la
banque centrale peut contrôler puisqu’elle dépend en grande partie des réserves
qu’elle impose aux banques et de la quantité de monnaie centrale qu’elle met à
leur disposition. C’est pourquoi [certains] économistes disent que la monnaie
est une quantité exogène parfaitement contrôlée par la banque centrale. »
Limite du multiplicateur
du crédit :
Cette
théorie du multiplicateur du crédit a été critiquée parce que plusieurs
facteurs influencent son fonctionnement et font qu’il ne va pas être aussi
efficace que ce que le prévoit la théorie. D’abord on peut citer la prudence
des banques notamment en période de crise. Ces périodes de crise ou les banques
ne sont pas très confiantes envers l’avenir, celles-ci vont alors pouvoir
choisir de prêter moins que le maximum théorique qu’elles auraient le droit. C’est
le cas, par exemple, si un client dépose 10 000 UM à la banque, celle-ci doit
conserver 10% de réserve sur son compte à la banque mais rien ne l’empêche de
conserver plus si elle le souhaite, et notamment en période de crise, les
banques ont tendance à être frileuses à prêter de l’argent parce qu’elles ont
des préoccupations concernant le risque du crédit (le risque de ne pas être
remboursées) ou la stabilité financière globale et donc choisissent de faire
des réserves au cas où pour être sures de ne pas être en difficulté par la
suite. Ensuite, il y a également la demande de crédit. Il se peut aussi que les
consommateurs ou les entreprises, notamment en période de récession ou de
faible croissance, aient une faible demande de prêt et donc, si les banques ont
de l’argent à prêter mais que les individus ne veulent pas emprunter, et bien
la création monétaire ne sera pas aussi importante que ce que le prévoyait le
multiplicateur. Enfin, les banques sont également soumises à des règlementations
autres que les réserves obligatoires. Par exemple, suite à la crise de 2008,
plusieurs réglementations ont été mises en place pour renforcer la stabilité financière,
notamment les accords de Bale III qui imposent des exigences de capital plus
strictes et des ratios de liquidité aux banques qui vont limiter leur capacité
à prêter et donc à créer de la monnaie. Au point de vue théorique, certains
auteurs vont également soutenir que la monnaies est endogène ce qui va conduire
au concept du diviseur de crédit.
Le diviseur de crédit
Les
diviseurs de crédits sont développés par des économistes postkeynésiens.
Ceux-ci mettent en avant l’idée que l’offre de monnaie est endogène,
c’est-à-dire la quantité de monnaie qui va être créée est influencée plus par
les interactions entre agents économiques que par les actions extérieures ou exogène
de la banque centrale. Par exemple, c’est parce que les ménages et les
entreprises demandent des prêts que les banques commerciales vont créer de
l’argent en accordant ces prêts. Ainsi, la base de la création monétaire ne va
pas être le dépôt des clients mais la demande de crédit, et cette demande de crédit,
une fois accordée, vont créer des dépôts. Le processus de création monétaire va
alors dépendre des besoins de crédit dans l’économie. De façon générale le
processus de création monétaire dans le cadre du diviseur de crédit va
commencer par la demande de crédit des agents économiques, notamment des
entreprises et des ménages. Les agents vont en fait solliciter des prêts pour
pouvoir financer leurs activités, leurs investissements ou leurs dépenses de
consommation. Les banques vont alors créer de la monnaie pour répondre à cette
demande de crédit et les fonds prêtés par les banques vont alors être déposés
sur les comptes bancaires des clients. Ainsi, les prêts bancaires vont créer
des dépôts dans le système bancaire. Les dépôts bancaires sont en fait la conséquence
de cette création de crédit et non l’inverse. Le modèle du diviseur de crédit
est plus flexible et réactif aux conditions économiques que celui du
multiplicateur de crédit, puisque les banques répondent directement aux besoins
de financement des agents économiques, ce qui va permettre une adaptation
rapide aux fluctuations de la demande de crédit. Par exemple, en période de
croissance économique, la demande de crédit augmente rapidement, et il va y
avoir une augmentation correspondante de la masse monétaire pour faire face à
la demande.
Dans
le modèle du diviseur de crédit les réserves obligatoires jouent un rôle
secondaire puisque les banques doivent encore maintenir des réserves puisque
celles-ci sont mises en place par la banque centrale, mais les réserves ne vont
pas limiter directement à la capacité des banques à accorder des prêts. En
fait, les réserves vont pouvoir être obtenues notamment sur le marché interbancaire
ou en empruntant directement auprès de la banque centrale. Dans cette logique
du diviseur de crédit, les banques vont en fait ajuster leurs réserves après
avoir accordés des prêts pour pouvoir satisfaire aux exigences règlementaires.
Cela signifie donc que le montant des réserves dans le système bancaire est influencé
par le volume de prêts et non l’inverse puisque les banques centrales vont
pouvoir fournir les réserves nécessaires pour pouvoir soutenir l’activité de prêt
des banques commerciales.
En
fait, dans cette vision, la banque centrale intervient surtout pour influencer
la demande de crédit, notamment la banque centrale va pouvoir influencer la
demande de crédit et donc la création monétaire en utilisant ses taux directeurs.
En faisant cela la banque centrale ajuste ses taux pour influencer le coût du crédit.
Ainsi, si les taux directeurs baissent, cela signifient que les banques se refinancent
auprès de la banque centrale a taux, plus bas, elles vont donc prêter à des
taux plus bas à leurs clients. Si les taux auxquels les clients empruntent
diminuent la demande de prêts va augmenter. Inversement, si la banque centrale
souhaite freiner la création monétaire elle augmente alors ses taux directeurs.
Cela signifie que les banques commerciales se refinancent à la banque centrale
à des taux plus élevés, donc vont prêter leur argent à leurs clients à des taux
plus élevés. Si les taux augmentent, la demande de prêt va diminuer. En répondant
aux besoins de crédit, les banques centrales peuvent alors jouer un rôle
central pour lisser les fluctuations économiques, notamment donc en soutenant l’économie
en période de récession ou de faible inflation.
M. Abdoulaye CAMARA