Avant de créer « sa nouvelle monnaie », l’AES doit répondre à quelles questions ?
Dans un communiqué conjoint daté du
28 janvier 2024, les trois (03) pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) – Le
Burkina Faso, le Mali et le Niger – ont décidé de se retirer de la Communauté Economique
des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avec effet immédiat. Certains
analystes pensent que ce retrait de ces trois pays de ladite instance représente
le décapsulage du premier étage d’une fusée à deux étages. Ils soutiennent que
tôt ou tard le second étage de la fusée que représente l’adhésion de ces trois
à l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) sera aussi détaché de
la fusée. Et qu’en acceptant de quitter cette union, les trois pays de facto opteront
pour la création d’une nouvelle zone monétaire commune concluent les analystes.
Répondre
aux vraies questions
La création d’une nouvelle monnaie
par les pays dissidents de la CEDEAO doit pousser à répondre aux questions
suivantes : cette zone peut-elle être considérée comme monétairement
optimale ? quels régimes de politique monétaire doit-elle adopter ? Quelles
politiques de change elle doit adopter ? Qu’est-ce qui déterminera le
niveau de taux de change de la zone ?
La théorie économique de référence
en soutien à la création d’une zone monétaire optimale est celle développée en
1961 par l’économiste canadien Robert Mundell. Selon ce dernier, une zone
monétaire est optimale si elle apporte aux pays participants plus de gains que de
pertes. Ces gains qui sont d’ordre microéconomique (la suppression des coûts de
transaction induits par le change de monnaie pour les activités sur les biens
et services et sur les capitaux) et d’ordre macroéconomique (la mise en place
entre pays d’une politique monétaire commune). Pendant que les pertes sont
consécutives à l’existence du trilemme de Mundell stipulant qu’une fois que la
zone monétaire est actée, il est quasiment impossible de réconcilier de manière
simultanée stabilité du taux de change, libre circulation des capitaux et
autonomie de la politique monétaire.
Les régimes de politiques monétaires
sont passées de 1950 à nos jours (mars 2024) par quatre principales évolutions.
Du régime discrétionnaire keynésien (1950-1975) au régime de la confiance des
nouveaux keynésiens à partir des années 1990 en passant successivement par le
régime de la règle des monétaristes (1975-1982) et le régime de la crédibilité
des nouveaux classiques (1982-1990).
Dans le domaine des politiques de
change, les faits permettent de dégager trois (03) principales politiques de
changes. Les politiques d’ancrage ferme du taux de change sur une devise. Les
régimes d’ancrage souple. Ces types de régimes permettent de faire flotter le
taux change de la monnaie nationale en fonction de certaines limites. Et ces
limites qu’une banque centrale peut choisir, peuvent être une cible fixe, une
cible qui évolue, une bande de fluctuation (avec valeurs plafond et plancher).
Enfin, le flottement du taux de change clôt la liste des régimes de change.
Avec un tel régime de change la banque centrale est censée ne jamais intervenir
sur le marché de change pour stabiliser le taux de change.
L’ultime question de la liste des
vraies questions est relative aux déterminants du taux de change. La théorie
économique soutient (même si le consensus n’est pas absolu) que le taux de
change pour un pays donné dépend de l’offre et de la demande des biens et
services (à long terme), de l’offre et de la demande des capitaux (donc du taux
d’intérêt) à court terme et des anticipations des agents économiques (leur
degré de confiance) relativement à l’évolution de l’économie (à très court
terme). Car les anticipations peuvent être orientées vers les rendements futurs
des actions et des obligations.
AES
et sa nouvelle monnaie
Les pays membres de l’AES pour créer
leur monnaie commune vont quitter une zone monétaire (la zone franc) pour en
créer une nouvelle. Sur ce plan, il logique de penser que si ce n’est que le
nombres de pays qui diminue rien ne change. Cette nouvelle démarche des pays de
l’AES doit être vue à l’aune de la théorie de la zone monétaire optimale de R.
Mundell.
En créant une zone monétaire plus
restreinte qu’avant leur départ, il est clair que les pays de l’AES n’amélioreront
pas les avantages microéconomiques (suppression des coûts de transaction)
vis-à-vis des autres pays de l’UEMOA. Bien au contraire, ils détérioreront ce
volet les liant aux cinq (05) autres pays de l’UEMOA. En 2022, les pays de
l’AES ont présenté une balance commerciale déficitaire de plus de 650 milliards
de F CFA vis-à-vis de la zone UEMOA. Pendant que le commerce de biens et
services inter pays de l’AES n’atteignaient pas les 12% du montant total à la
même date.
La lueur d’espoir que pourrait
induire la nouvelle zone monétaire de l’AES (si elle devrait exister) peut
venir sûrement des avantages macroéconomiques à travers la mise en place d’une
politique monétaire commune. Dans la mesure où les trois pays sont sensiblement
équivalents sur le plan des structures de production économiques, la mise en
œuvre d’une politique monétaire peut être salutaire sur le plan
macroéconomique. Une dernière question demeure. Est-ce que les avantages
macroéconomiques pourront gommer les pertes microéconomiques présentées ? La
réponse à cette question dépasse largement le cadre du présent article de
presse.
En optant pour une nouvelle monnaie,
les pays membres de l’AES doivent aussi résoudre l’épineuse question du régime de
politique monétaire. La banque centrale de la zone UEMOA (la BCEAO) applique le
régime de la confiance des nouveaux keynésiens (à travers une politique de
ciblage d'inflation évoluant entre 1 et 3% à court terme). Tout en sachant que
ce type de régime de politique monétaire repose une indépendance totale de la
banque centrale vis-à-vis des décideurs politiques ; les pays de l’AES
vont-ils opter pour un tel régime ? Dans l’éventualité de
l’affirmative ; quelle cible d’inflation doivent-ils choisir ? ou,
vont-ils choisir une formule hybride d’organisation de la banque
centrale ? Je pense que fixer des objectifs de plein emploi et de lutte
contre l’inflation avec une cible fixée à 10% semblent opportuns dans le cas
des pays de l’AES.
Sur le plan du taux de change, les
pays de l’AES en quittant l’UEMOA abandonnent une zone monétaire qui pratique
une politique d’ancrage ferme du taux de change sur une devise (l’Euro). Tout
en étant en phase avec le régime de politique monétaire que j’ai déjà présentée
et en gardant en tête les bases du trilemme de Mundell, les pays de l’AES doivent
opter au moins pour une bande de fluctuation (avec des taux plafond et
plancher) de leur taux de change.
Les pays membres de l’AES réalisent
actuellement (en considérant les données de 2022) les déficits commerciaux les
plus importants avec l’ASIE (avec plus de 2300 milliards de F CFA) pendant
qu’ils réalisaient avec l’Europe à la même date un excédent commercial estimé à
un peu plus de 500 milliards de F CFA. En prenant en compte ces données, et en
admettant que le taux de change dépend principalement à long terme (comme la
théorie économique le prévoit) des exportations et des importations ; il
serait possible de soutenir que les pays de l’AES en adoptant une bande de
fluctuation comme régime de change, la valeur plancher de cette bande (au
certain) devrait être fixée à 0,12 (une unité monétaire de la zone AES serait
cédée contre 0,12 unité de Renminbi – la Chine étant le premier partenaire
économique de l’AES parmi les pays asiatiques – . Le taux de change plafond (au
certain) serait de 1,3 (une unité monétaire de la zone AES serait cédée contre
1,3 Euro).
Je note qu’un éventuel retrait des
pays de l’AES de l’UEMOA engendre des pertes au niveau microéconomique –
instauration des coûts de transaction entre les pays de l’AES et les cinq (05)
pays restants de l’UEMOA – au plan macroéconomique ce retrait pourrait leur être
salutaire. Le qualificatif de zone monétaire optimale ne sera décerné à la
nouvelle zone monétaire de l’AES que quand celle-ci parviendrait à générer plus
de gains que de pertes pour les citoyens de ce nouvel ensemble. L’obtention
d’un tel résultat dépendra forcément de l’alchimie que ces pays membres
réussiront à mettre en place en calibrant correctement les instruments suivants :
régimes de politique monétaire ; politiques de change ; le niveau de
taux de change et le degré d’indépendance de la nouvelle banque centrale. Tout
en l’assignant des objectifs clairs orientés davantage vers l’atteinte du plein
emploi.
Madou CISSE
FSEG
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