Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

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Les nouvelles taxes au Mali tuent-elles les taxes ?

Pour se soustraire des aides, des dons de l’extérieur, un nombre croissant de pays africains ont jugé nécessaire de reformer leurs politiques fiscales afin de mobiliser suffisamment de ressources à l’interne pour faire face avec efficacité à leurs obligations régaliennes.

Dans le cas du Mali, les autorités de la transition ont décidé de taxer davantage les services du secteur des télécommunications et des services financiers numériques (le mobile money).

Alors que « la fiscalité joue un rôle central dans le processus de développement des nations », les pays en développement cherchent à accroître le niveau de ces ressources, ce qui entraîne une augmentation de la pression fiscale qui affecte le comportement des contribuables. Ainsi, le développement du comportement de conformité fiscale des contribuables reste également un instrument à privilégier.

De Ibn Khaldoun à Arthur Laffer

L'idée que « trop d'impôt tue l'impôt » ou que « le taux d’imposition mange l'assiette » est ancienne. Elle remonte au 14è siècle avec les écrits d’Ibn Kaldoun qui soutenait que plus le taux d'imposition est élevé moins l'État perçoit de recettes du fait de la non-conformité des contribuables. Au-delà d'un certain niveau, lorsque l'impôt dépasse ce qui est acceptable pour le contribuable, l'impôt devient une charge déraisonnable. M. Friedman (1948) arrivait à la même conclusion, qui affirme qu'une pression fiscale plus élevée réduit directement le revenu disponible du contribuable.

Mais il revient à l'économiste américain Arthur Laffer, dans les années 1970, d'avoir tenté de théoriser ce qu'il nommait « l'allergie fiscale », et de l'avoir popularisée à l'aide de la courbe qui porte son nom. Cette fameuse courbe (qui aurait été tracée par Laffer pour la première fois sur une nappe d’un restaurant) qui porte désormais son nom décrit l'évolution des recettes fiscales en fonction du taux marginal d'imposition (recette supplémentaire générée par une augmentation d’une unité supplémentaire du taux d’imposition). Il montre quun taux d'imposition nul entraîne des recettes fiscales nulles de l’Etat, tandis qu'une augmentation du taux d'imposition marginal entraîne des recettes fiscales supplémentaires. En revanche, lorsque le taux atteint un certain niveau (taux d’imposition optimal) cependant, toute nouvelle majoration réduit les rentrées fiscales. Ce phénomène s'explique par le fait qu'un taux d'imposition élevé constitue un frein important à l'acquisition et à la déclaration de revenus imposables. La réduction du taux marginal d'imposition pourrait par conséquent accroître les recettes fiscales.

Le principal enseignement de la courbe de Laffer soutient que l’augmentation des taux d’imposition ne s’accompagne pas, nécessairement, d’une augmentation des ressources fiscales. Le corolaire d’un tel enseignement conduit à affirmer que des taux de taxation élevés favorisent la fraude et l’évasion fiscale, et par conséquent, donc les contribuables vont être dirigés vers des comportements de corruption. Inversement, un faible recouvrement fiscal conduit à des coûts financiers élevés en termes de contrôle fiscal, et donc un rythme faible de collecte des recettes fiscales.

Une revue de littérature aux résultats ambigus

En Afrique, au cours de ces dernières décennies, les services téléphoniques et argent mobile sont devenus une nouvelle source de recettes fiscales. Actuellement, 15 pays africains ont introduit des taxes sur l’argent mobile et d’autres services financiers numériques (SFN). Ces pays taxent souvent plus lourdement que les autres services financiers et les taux d’impositions varient d’un pays à un autre comme les taux effectifs également liés du montant de la transaction. Dans ces pays africains à faible revenu, les critiques craignent que ces taxes ne freinent la croissance des services téléphonie et argent mobile n’exercent un impact disproportionné sur les ménages aux revenus les plus faibles.

Sous l’effet de pressions budgétaires ou politiques, les taxes sur les SNF ont été conçues à la hâte dans certains pays africains. Sans surprise, les résultats ont souvent été critiqués et ont tous connu des modifications précoces de leurs taxes sur les SFN.

Selon l’étude de Akol et Lees (2021), En juillet 2018, l’Ouganda a instauré une nouvelle taxe sur la valeur des transactions d’argent mobile. Cette taxe a été introduite rapidement, sans suivre le processus habituel d’élaboration des politiques fiscales. Entre autres défauts de conception, le dépôt, l’envoi, la réception et le retrait d’argent étaient initialement taxés séparément, ce qui entraînait de multiples couches d’imposition sur chaque paiement. Cette nouvelle taxe est venue s’ajouter aux taxes générales existantes sur les frais de l’argent mobile, introduites pour la première fois en 2013. Face aux protestations généralisées et à la forte pression politique, le gouvernement a fait marche arrière en novembre 2018, abaissant le taux et limitant l’assiette de la taxe aux retraits.

Pour Noah et Tacneng (2024), au Cameroun, l’Etat a imposé une taxe de 0,2 % uniquement sur la valeur des transactions d’argent mobile, les banques étant exemptées. Malgré un taux d’imposition apparemment modeste, les prestataires d’argent mobile ont connu une baisse significative de leur rentabilité. Cela a été particulièrement le cas pour les agents traitant des montants plus importants d’argent mobile et des valeurs de transaction plus élevées.

Au Ghana l’impact est plutôt mitigé. Selon les études réalisées par Anyidoho et al. (2022) ; Abounabhan et al. (2024) ; Scarpini et al. (2024) ; Carreras et al. (2024), Tout d’abord, les 100 premiers cedis transférés chaque jour par un utilisateur sont exonérés de la taxe. Cela a rendu le prélèvement plus progressif en réduisant son impact sur les personnes à revenu modeste. Cependant, les personnes à faible revenu travaillant dans le secteur informel et devant effectuer des transactions très fréquentes sont toujours fortement touchées, et la connaissance limitée de l’exemption empêche de nombreux utilisateurs d’en tirer le meilleur parti. Ensuite, afin d’encourager une plus grande formalisation, sont exonérés les paiements aux commerçants qui sont enregistrés en tant qu’entreprises à la fois auprès des prestataires d’argent mobile et de l’administration fiscale du Ghana.

Les nouvelles taxes instaurées au Mali sont-elles au-dessus du seuil de taux d’imposition optimal désigné par Laffer comme le niveau d’imposition pouvant assurer le niveau maximal des recettes fiscales ? Seul le temps pourra répondre à cette interrogation. Ce qui est sûr, les nouvelles taxes sont loin de faire l’unanimité au sein de la population malienne quant à leur utilité et leur opportunité.

M. Abdoulaye CAMARA

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