Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la
FSEG, U-Bazo, ESGIC.
Temps de lecture : 9 min
Les
nouvelles taxes au Mali tuent-elles les taxes ?
Pour
se soustraire des aides, des dons de l’extérieur, un nombre croissant de pays
africains ont jugé nécessaire de reformer leurs politiques fiscales afin de
mobiliser suffisamment de ressources à l’interne pour faire face avec
efficacité à leurs obligations régaliennes.
Dans
le cas du Mali, les autorités de la transition ont décidé de taxer davantage les
services du secteur des télécommunications et des services financiers
numériques (le mobile money).
Alors
que « la fiscalité joue un rôle central dans le processus de développement
des nations », les pays en développement cherchent à accroître le niveau
de ces ressources, ce qui entraîne une augmentation de la pression fiscale qui
affecte le comportement des contribuables. Ainsi, le développement du
comportement de conformité fiscale des contribuables reste également un
instrument à privilégier.
De
Ibn Khaldoun à Arthur Laffer
L'idée
que « trop d'impôt tue l'impôt » ou que « le taux d’imposition mange
l'assiette » est ancienne. Elle remonte au 14è siècle avec les écrits
d’Ibn Kaldoun qui soutenait que plus le taux d'imposition est élevé moins
l'État perçoit de recettes du fait de la non-conformité des contribuables.
Au-delà d'un certain niveau, lorsque l'impôt dépasse ce qui est acceptable pour
le contribuable, l'impôt devient une charge déraisonnable. M. Friedman (1948)
arrivait à la même conclusion, qui affirme qu'une pression fiscale plus élevée
réduit directement le revenu disponible du contribuable.
Mais
il revient à l'économiste américain Arthur Laffer, dans les années 1970, d'avoir tenté de théoriser ce
qu'il nommait « l'allergie fiscale », et de l'avoir popularisée à
l'aide de la courbe qui porte son nom. Cette fameuse courbe (qui aurait été
tracée par Laffer pour la première fois sur une nappe d’un restaurant) qui
porte désormais son nom décrit l'évolution des recettes fiscales en fonction du
taux marginal d'imposition (recette supplémentaire générée par une augmentation
d’une unité supplémentaire du taux d’imposition). Il montre qu’un
taux d'imposition nul entraîne des recettes fiscales nulles de l’Etat, tandis
qu'une augmentation du taux d'imposition marginal entraîne des recettes
fiscales supplémentaires. En revanche, lorsque le taux atteint un certain
niveau (taux d’imposition optimal) cependant, toute nouvelle majoration réduit
les rentrées fiscales. Ce phénomène s'explique par le fait qu'un taux
d'imposition élevé constitue un frein important à l'acquisition et à la
déclaration de revenus imposables. La réduction du taux marginal d'imposition
pourrait par conséquent accroître les recettes fiscales.
Le
principal enseignement de la courbe de Laffer soutient que l’augmentation des
taux d’imposition ne s’accompagne pas, nécessairement, d’une augmentation des
ressources fiscales. Le corolaire d’un tel enseignement conduit à affirmer que
des taux de taxation élevés favorisent la fraude et l’évasion fiscale, et par
conséquent, donc les contribuables vont être dirigés vers des comportements de
corruption. Inversement, un faible recouvrement fiscal conduit à des coûts
financiers élevés en termes de contrôle fiscal, et donc un rythme faible de
collecte des recettes fiscales.
Une
revue de littérature aux résultats ambigus
En
Afrique, au cours de ces dernières décennies, les services téléphoniques et
argent mobile sont devenus une nouvelle source de recettes fiscales.
Actuellement, 15 pays africains ont introduit des taxes sur l’argent mobile et
d’autres services financiers numériques (SFN). Ces pays taxent souvent plus
lourdement que les autres services financiers et les taux d’impositions varient
d’un pays à un autre comme les taux effectifs également liés du montant de la
transaction. Dans ces pays africains à faible revenu, les critiques craignent
que ces taxes ne freinent la croissance des services téléphonie et argent
mobile n’exercent un impact disproportionné sur les ménages aux revenus les
plus faibles.
Sous
l’effet de pressions budgétaires ou politiques, les taxes sur les SNF ont été
conçues à la hâte dans certains pays africains. Sans surprise, les résultats
ont souvent été critiqués et ont tous connu des modifications précoces de leurs
taxes sur les SFN.
Selon
l’étude de Akol et Lees (2021), En juillet 2018, l’Ouganda a instauré une
nouvelle taxe sur la valeur des transactions d’argent mobile. Cette taxe a été
introduite rapidement, sans suivre le processus habituel d’élaboration des
politiques fiscales. Entre autres défauts de conception, le dépôt, l’envoi, la
réception et le retrait d’argent étaient initialement taxés séparément, ce qui
entraînait de multiples couches d’imposition sur chaque paiement. Cette nouvelle taxe est
venue s’ajouter aux taxes générales existantes sur les frais de l’argent mobile,
introduites pour la première fois en 2013. Face aux protestations généralisées et à la forte
pression politique, le gouvernement a fait marche arrière en novembre 2018, abaissant le taux et
limitant l’assiette de la taxe aux retraits.
Pour
Noah et Tacneng (2024), au Cameroun, l’Etat a imposé une taxe de 0,2 % uniquement
sur la valeur des transactions d’argent mobile, les banques étant exemptées. Malgré
un taux d’imposition apparemment modeste, les prestataires d’argent mobile ont connu
une baisse significative de leur rentabilité. Cela a été particulièrement le
cas pour les agents traitant des montants plus importants d’argent mobile et
des valeurs de transaction plus élevées.
Au
Ghana l’impact est plutôt mitigé. Selon les études réalisées par Anyidoho et
al. (2022) ; Abounabhan et al. (2024) ; Scarpini et al. (2024) ; Carreras et
al. (2024), Tout d’abord, les 100 premiers cedis transférés chaque jour par un
utilisateur sont exonérés de la taxe. Cela a rendu le prélèvement plus
progressif en réduisant son impact sur les personnes à revenu modeste.
Cependant, les personnes à faible revenu travaillant dans le secteur informel
et devant effectuer des transactions très fréquentes sont toujours fortement
touchées, et la connaissance limitée de l’exemption empêche de nombreux
utilisateurs d’en tirer le meilleur parti. Ensuite, afin d’encourager une plus
grande formalisation, sont exonérés les paiements aux commerçants qui sont
enregistrés en tant qu’entreprises à la fois auprès des prestataires d’argent
mobile et de l’administration fiscale du Ghana.
Les nouvelles taxes instaurées au Mali sont-elles
au-dessus du seuil de taux d’imposition optimal désigné par Laffer comme le
niveau d’imposition pouvant assurer le niveau maximal des recettes
fiscales ? Seul le temps pourra répondre à cette interrogation. Ce qui est
sûr, les nouvelles taxes sont loin de faire l’unanimité au sein de la
population malienne quant à leur utilité et leur opportunité.
M. Abdoulaye CAMARA
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