Série : Economie en question (N°8)
Le chômage
est-il volontaire ou involontaire ?
Le clivage entre économistes orthodoxes et économistes
hétérodoxes – spécifiquement les post-keynésiens – éclate dans toute sa
splendeur quand il s’agit de déterminer la source du chômage. C’est en
déterminant la source du chômage que les orthodoxes concluent que le chômage
est généralement volontaire. Pendant que les post-keynésiens soutiennent qu’il
est principalement involontaire. Pourquoi une telle divergence de conception
pour un même phénomène économique ?
Le travail comme une marchandise
Les orthodoxes ont toujours considéré le travail comme
une marchandise parmi tant d’autres. Suivant cette logique, le marché du
travail devient une institution sociale qui est soumise à la loi de l’offre et
de la demande comme tous les autres biens et services marchands. La soumission
du travail à une telle loi – celle du marché – doit conduire forcément à
l’établissement d’un prix d’équilibre qui devient logiquement le salaire
réel du travailleur. Ce niveau de salaire établi sur le marché du travail
et conformément à l’idéologie orthodoxe du fonctionnement des marchés, est un salaire
concurrentiel.
C’est sur la base d’un tel raisonnement (axé sur le
fonctionnement concurrentiel des marchés) que les orthodoxes soutiennent que le
niveau de salaire établi sur le marché du travail qui est concurrentiel ne doit
faire l’objet d’aucun ajustement d’une force extérieure au marché, même pas
celle venant des autorités publiques. Si cette intuition se vérifie,
l’intervention d’une force extérieure sur le marché ne fera qu’écarter (soit à
la hausse soit à la baisse) le salaire réel du marché du travail de son niveau
assurant donc le plein usage de ce facteur de production. Et un tel changement de
salaire réel ne peut que conduire à la création d’un stock de travail qui ne
peut plus être absorbé par le fonctionnement normal du marché du travail. Ce
stock de travail qui est dorénavant non utilisé est appelé par les économistes
orthodoxes « chômage volontaire ». Un tel chômage est dit « volontaire »
parce qu’il est consécutif à l’invention d’une force extérieure au marché sur
ce dernier. Cette force (Etat et ou syndicats) de manière délibérée pour
ne pas dire volontaire a décidé d’intervenir sur le marché du travail en fixant
par exemple un salaire plancher que d’aucuns appellent le salaire minimum, ou
par des charges patronales importantes ou par des allocations de chômage
généreuses etc. Le caractère volontaire du chômage peut aussi être dû au refus
volontaire d’un ou des travailleurs de travailler au niveau de salaire réel
fixé sur le marché à la suite d’un fonctionnement normal du marché de travail
car ce ou ces travailleurs peuvent trouver que ce niveau de salaire réel établi
sur le marché est faible, donc inférieur à leur disponibilité à offrir leur
travail.
Le travail n’est pas une marchandise
Les hétérodoxes soutiennent que le facteur travail ne
peut être logé à la même enseigne que les autres facteurs de production. Pour
eux, même si marché du travail existe, il n’obéit pas aux conditions des
marchés concurrentiels parfaits comme le prétendent les orthodoxes à cause des
imperfections ou rigidités dont la principale est l’asymétrie d’information. Du
coup, pour les économistes hétérodoxes, le chômage ne peut tirer sa source d’un
mauvais fonctionnement du marché du travail. Mais plutôt que le chômage tire sa
source d’une atonie du marché des biens et services. Dans une telle
perspective, plus la demande des biens et services est importante plus les
entreprises embauchent davantage pour faire face à la demande. Ce qui conduit à
une baisse du stock de travail disponible dans l’économie. Cette situation de
vitalité du marché des biens et services va réduire le chômage. Par contre, si
sur ce marché la demande s’amenuise, l’embauche des entreprises s’affaiblit
concomitamment ce qui conduit à une augmentation du stock de travail dans
l’économie. Dans une telle éventualité, même si les travailleurs décident de
travailler pour n’importe quel niveau de salaire, ils n’en trouveraient probablement
pas. Donc, le chômage devient involontaire.
Et si… ?
Le chômage volontaire et le chômage involontaire sont
deux visions antagonistes expliquant le même phénomène omniprésent dans nos
économies contemporaines. Ces deux visions arrivent à deux conclusions
diamétralement opposées. Car pour les orthodoxes, une hausse du niveau des
salaires réels – toutes choses étant inchangées dans l’économie – conduit à une
hausse du chômage en réduisant les emplois ; pour les hétérodoxes une
hausse du salaire réel induit une baisse du taux de chômage par le truchement de
l’ augmentation du revenu des travailleurs qui boostera par ricochet la
consommation des ménages composante essentielle de la demande globale.
Si le chômage involontaire des hétérodoxes peut être
qualifié de chômage conjoncturel, le chômage volontaire des orthodoxes est
qualifié de chômage structurel. Toutes ces deux conceptions du chômage occultent
le chômage frictionnel et le chômage saisonnier. Quelles relations pouvons-nous
rétablir entre toutes ces formes de chômage et le chômage naturel ? La
réponse à cette question fera l’objet une prochaine publication dans cette même
rubrique « Série : Economie en question ».
Madou CISSE
FSEG
4 commentaires:
Bonjour Professeur,
L'article est bien détaillé merci beaucoup pour le service rendu à nous les jeunes apprenants. Ndiaye Boubacar, étudiant à l'ENETP
Je VOUS en prie.
Merci beaucoup Professeur ✨
Enregistrer un commentaire