Temps de lecture : 8 minutes 

Quand le Mali devient une victime collatérale des taxes de l’administration américaine

« Quand deux éléphants se battent l’herbe en souffre. » Ce dicton présente dans toute sa splendeur les impacts négatifs de la bataille commerciale opposant les Etats-Unis à la Chine et les autres pays occidentaux principalement. Cette lutte enclenchée depuis le premier mandat de l’actuel occupant de la maison blanche entre dans sa deuxième « saison » avec une virulence jamais égalée auparavant. Dans cette deuxième « saison » de ce bras de fer commercial, au lieu de faire le sniper, les autorités américaines ont fait sortir le bazooka en tirant sur tout ce qui bouge !

Dans cette deuxième « saison » les autorités américaines ont fait fort ! (1) une taxe plancher de 10% sur tous les produits importés aux Etats-Unis. (2) des taxes majorées fixées en fonction de la tête des clients (au nombre de 175 pays dont 48 pays africains). Les clients les moins taxés sont ceux qui sont frappés à hauteur de 10% comme le Mali et le Niger. Le taux plafond pour ces taxes majorées est de 50% auquel doivent être soumises les importations provenant du territoire Saint-Pierre-et-Miquelon augmentées des 10% la taxe plancher (soit 60% en tout). Quant à la Chine ses importations en direction des Etats-Unis sont majorées de 34% en plus des 20% déjà imposés lors du premier passage de l’actuel président américain dans le bureau ovale. Soit 54%, ce qui fait de la Chine le deuxième partenaire commercial des USA le plus imposé.

Face à une telle salve de tarifs douaniers des Etats-Unis, la question suivante mérite d’être légitiment posée. Quelles sont les raisons sous-jacentes justifiant un tel degré d’agression des fondements du commerce mondial de la part d’un pays qui représente près de 15% des importations mondiales de produits ?

Comme réponse à la question posée ci-dessus, c’est l’atteinte de l’équilibre de la balance commerciale des Etats-Unis qui est brandie par les autorités américaines. Si tel est le but ultime de ces mesures, alors pourquoi ne pas cibler exclusivement les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis qui présentent des balances commerciales bilatérales excédentaires ? Heureusement que ces pays sont même connus. Le top trois de ces pays en 2024 est pour un déficit commercial américain estimé à près de 1.000 de dollars américains : la Chine (+263 milliards de dollars) ; le Mexique (+179 milliards de dollars) ; le Canada (+102 milliards de dollars) à ce podium, les 27 pays de l’Union Européenne peuvent avoir un strapontin avec la réalisation d’un excédent commercial de 161,2 milliards de dollars vis-à-vis des Etats-Unis.

Un pays comme le Mali présente une balance commerciale bilatérale avec les Etats-Unis abyssalement déficitaire. En 2024, ce déficit a été estimé par l’INSTAT Mali à un peu plus de 97 milliards de francs CFA. Si c’est seulement l’équilibre de la balance commerciale qui est l’objectif visé par ces mesures, le Mali et beaucoup d’autres pays africains ne devraient pas être ciblés par les différentes taxes qui font au moins 20% pour tous les 48 pays africains concernés. Mais malheureusement, ils sont tous imposés ! Donc, l’objectif de l’équilibre de la balance commerciale ne me convainc pas. Je pense que la majorité des pays 48 africains ciblés par les taxes majorées et la taxe plancher de 10% sont des victimes collatérales de la guerre commerciale opposant les Etats-Unis et la Chine.

Au-delà des visées d’équilibre commercial, l’actuelle administration américaine vise à torpiller les efforts de développement économique des autorités chinoises. Conscientes de l’importance de la demande américaine dans le PIB chinois, une baisse de celle-ci produira logiquement des effets récessifs importants. Ceci est autant plus logique que l’économie chinoise dont la croissance est principalement tirée par les exportations des produits ne pourra atteindre ces objectifs quand ses produits sont ainsi taxés.

Je pense encore que les autorités américaines, dans le but de rendre aussi inefficace l’installation des entreprises chinoises dans d’autres pays pouvant leur servir de base arrière pour atteindre le marché américain et ainsi échappées aux 54% de taxes imposés n’ont pas hésité d’imposer une taxe plancher de 10% pour tous les pays, accompagnée d’une majoration de taxes de plus en plus élevée en fonction du degré de relations commerciales pouvant exister entre ces pays ciblés et la Chine. Je pense que le Mali fait partie des victimes collatérales par ce truchement. Car en 2024, le premier partenaire non africain du Mali était la Chine avec des importants estimées par l’INSTAT Mali à un plus de 600 milliards de francs CFA.

Non, l’actuelle administration américaine n’est pas anti-mondialisation. Elle connait parfaitement que le libre échange est plus efficace que toutes les autres formes connues d’organisation des activités commerciales ; en plus elle sait pertinemment que ce mode de fonctionnement fait toujours des gagnants et des perdants. Et en connaissance de cause, elle a estimé que les Etats-Unis ont été perdants depuis la libéralisation de l’économie mondiale à partir des années 80 et surtout vis-à-vis de la Chine. Dans le but de faire pencher la balance de leur côté et conformément à l’idéologie MAGA (Make America Great Again) ; l’administration américaine n’a pas dédaigné de secouer le cocotier tout en prenant soin de ne jamais l’arracher afin de pousser tous ses principaux partenaires à des négociations bilatérales. Même si pour le moment, la principale cible à savoir la Chine semble ne pas prête à s’assoir à la table de négociation. Bien au contraire, elle se rebiffe !


Madou CISSE
FSEG

 

Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

La liaison entre monnaie centrale et pouvoir de création monétaire de la part des banques

« Cette relation entre monnaie centrale et pouvoir de création monétaire, par octroi de crédit de la part des banques » a fait l’objet de deux approches théoriques différentes dans les années 70. Il s’agit du multiplicateur de crédit, un concept développé par les monétaristes, pour souligner le rôle premier de la banque centrale, et la notion de diviseur de crédit proposée par les keynésiens, pour insister sur le caractère endogène de la masse monétaire créée par les banques.

Le multiplicateur de crédit

Le multiplicateur de crédit est un concept qui permet de comprendre comment les banques commerciales peuvent augmenter l’offre de crédit dans une économie en accordant des crédits à partir des dépôts de leurs clients. Ce concept repose sur le système de réserve fractionnaire. De quoi s’agit-il ? Ce système de réserve fractionnaire est un mécanisme par lequel les banques commerciales sont tenues de conserver en réserve une partie des dépôts de leurs clients, le reste pouvant être utilisé pour accorder des prêts. Cela signifie que lorsqu’ un client fait un dépôt à sa banque, la banque ne va pas conserver la totalité de ce dépôt dans sa caisse ; mais elle va en prêter une partie à d’autres clients. La proportion minimale des dépôts que les banques doivent conserver (sous forme de liquidités ou de dépôts auprès de la banque centrale) se nomme les réserves obligatoires. Ce taux est fixé par la banque centrale et a pour objectif de garantir la stabilité du système bancaire en veillant à ce que les banques aient toujours suffisamment de liquidité pour répondre aux demandes de retrait de leurs clients.

Par exemple, supposons qu’un individu demande et obtienne un crédit de 10 000 UM auprès de sa banque, noté banque A. Ces 10 000 UM de crédit se transforment en 10 000 UM de dépôt. Supposons que le taux de réserves obligatoires – appelé également coefficient de réserve – soit de 10 %. La banque A doit alors alimenter son compte auprès de la banque centrale, c’est à dire constituer des réserves obligatoires, pour un montant de 1000 UM (soit 10 000 UM × 10 %). La banque dispose donc de 9000 UM (soit 10 000 UM − 1000 UM) de réserves excédentaires. Sachant que ces réserves excédentaires ne sont pas, pour l’instant, rémunérées, la banque A va donc les utiliser pour accorder des prêts.

Que se passe-t-il ensuite ?

Ces 9000 UM de crédit créent 9000 UM de dépôt dans une autre banque, noté banque B. Tout comme la banque A, la banque B doit, elle aussi, alimenter son compte auprès de la banque centrale, c’est à dire constituer des réserves obligatoires. La banque B maintient ainsi 900 UM (soit 9000 UM × 10 %) de réserves obligatoires et dispose de 8100 UM (soit 9000 UM – 900 UM) de réserves excédentaires. Ces réserves n’étant pas rémunérées, la banque B utilise ces 8100 UM pour octroyer de nouveaux prêts. Ces 8100 UM de crédit créent, à leur tour, 8100 UM de dépôt dans une banque C. Dès lors, la banque C doit, comme les banques A et B de notre système bancaire, constituer des réserves obligatoires pour un montant de 810 UM (soit 8100 UM × 10 %). La banque C dispose alors de 7290 UM (soit 8100 UM – 810 UM) de réserves excédentaires qu’elle utilise pour accorder des nouveaux prêts. Et ainsi de suite jusqu’à ce que le mécanisme des 10 % de réserves obligatoires fasse tendre les liquidités disponibles vers zéro. Le montant total de monnaie créée à partir des dépôts initiaux de 10 000 UM sera ainsi le résultat de tous ces crédits, réduits à chaque fois du montant des réserves obligatoires. Au total, dans cet exemple, il sera créé 100 000 UM de monnaie, soit dix fois le montant initial de dépôts. On dira que le « multiplicateur de crédit » est de 10. Ainsi donc plus le taux de réserves obligatoires est élevé et plus le pouvoir de création monétaire des banques est limité.

« Ce mécanisme du multiplicateur fait de la masse monétaire une quantité que la banque centrale peut contrôler puisqu’elle dépend en grande partie des réserves qu’elle impose aux banques et de la quantité de monnaie centrale qu’elle met à leur disposition. C’est pourquoi [certains] économistes disent que la monnaie est une quantité exogène parfaitement contrôlée par la banque centrale. »

Limite du multiplicateur du crédit :

Cette théorie du multiplicateur du crédit a été critiquée parce que plusieurs facteurs influencent son fonctionnement et font qu’il ne va pas être aussi efficace que ce que le prévoit la théorie. D’abord on peut citer la prudence des banques notamment en période de crise. Ces périodes de crise ou les banques ne sont pas très confiantes envers l’avenir, celles-ci vont alors pouvoir choisir de prêter moins que le maximum théorique qu’elles auraient le droit. C’est le cas, par exemple, si un client dépose 10 000 UM à la banque, celle-ci doit conserver 10% de réserve sur son compte à la banque mais rien ne l’empêche de conserver plus si elle le souhaite, et notamment en période de crise, les banques ont tendance à être frileuses à prêter de l’argent parce qu’elles ont des préoccupations concernant le risque du crédit (le risque de ne pas être remboursées) ou la stabilité financière globale et donc choisissent de faire des réserves au cas où pour être sures de ne pas être en difficulté par la suite. Ensuite, il y a également la demande de crédit. Il se peut aussi que les consommateurs ou les entreprises, notamment en période de récession ou de faible croissance, aient une faible demande de prêt et donc, si les banques ont de l’argent à prêter mais que les individus ne veulent pas emprunter, et bien la création monétaire ne sera pas aussi importante que ce que le prévoyait le multiplicateur. Enfin, les banques sont également soumises à des règlementations autres que les réserves obligatoires. Par exemple, suite à la crise de 2008, plusieurs réglementations ont été mises en place pour renforcer la stabilité financière, notamment les accords de Bale III qui imposent des exigences de capital plus strictes et des ratios de liquidité aux banques qui vont limiter leur capacité à prêter et donc à créer de la monnaie. Au point de vue théorique, certains auteurs vont également soutenir que la monnaies est endogène ce qui va conduire au concept du diviseur de crédit.

Le diviseur de crédit

Les diviseurs de crédits sont développés par des économistes postkeynésiens. Ceux-ci mettent en avant l’idée que l’offre de monnaie est endogène, c’est-à-dire la quantité de monnaie qui va être créée est influencée plus par les interactions entre agents économiques que par les actions extérieures ou exogène de la banque centrale. Par exemple, c’est parce que les ménages et les entreprises demandent des prêts que les banques commerciales vont créer de l’argent en accordant ces prêts. Ainsi, la base de la création monétaire ne va pas être le dépôt des clients mais la demande de crédit, et cette demande de crédit, une fois accordée, vont créer des dépôts. Le processus de création monétaire va alors dépendre des besoins de crédit dans l’économie. De façon générale le processus de création monétaire dans le cadre du diviseur de crédit va commencer par la demande de crédit des agents économiques, notamment des entreprises et des ménages. Les agents vont en fait solliciter des prêts pour pouvoir financer leurs activités, leurs investissements ou leurs dépenses de consommation. Les banques vont alors créer de la monnaie pour répondre à cette demande de crédit et les fonds prêtés par les banques vont alors être déposés sur les comptes bancaires des clients. Ainsi, les prêts bancaires vont créer des dépôts dans le système bancaire. Les dépôts bancaires sont en fait la conséquence de cette création de crédit et non l’inverse. Le modèle du diviseur de crédit est plus flexible et réactif aux conditions économiques que celui du multiplicateur de crédit, puisque les banques répondent directement aux besoins de financement des agents économiques, ce qui va permettre une adaptation rapide aux fluctuations de la demande de crédit. Par exemple, en période de croissance économique, la demande de crédit augmente rapidement, et il va y avoir une augmentation correspondante de la masse monétaire pour faire face à la demande.

Dans le modèle du diviseur de crédit les réserves obligatoires jouent un rôle secondaire puisque les banques doivent encore maintenir des réserves puisque celles-ci sont mises en place par la banque centrale, mais les réserves ne vont pas limiter directement à la capacité des banques à accorder des prêts. En fait, les réserves vont pouvoir être obtenues notamment sur le marché interbancaire ou en empruntant directement auprès de la banque centrale. Dans cette logique du diviseur de crédit, les banques vont en fait ajuster leurs réserves après avoir accordés des prêts pour pouvoir satisfaire aux exigences règlementaires. Cela signifie donc que le montant des réserves dans le système bancaire est influencé par le volume de prêts et non l’inverse puisque les banques centrales vont pouvoir fournir les réserves nécessaires pour pouvoir soutenir l’activité de prêt des banques commerciales.

En fait, dans cette vision, la banque centrale intervient surtout pour influencer la demande de crédit, notamment la banque centrale va pouvoir influencer la demande de crédit et donc la création monétaire en utilisant ses taux directeurs. En faisant cela la banque centrale ajuste ses taux pour influencer le coût du crédit. Ainsi, si les taux directeurs baissent, cela signifient que les banques se refinancent auprès de la banque centrale a taux, plus bas, elles vont donc prêter à des taux plus bas à leurs clients. Si les taux auxquels les clients empruntent diminuent la demande de prêts va augmenter. Inversement, si la banque centrale souhaite freiner la création monétaire elle augmente alors ses taux directeurs. Cela signifie que les banques commerciales se refinancent à la banque centrale à des taux plus élevés, donc vont prêter leur argent à leurs clients à des taux plus élevés. Si les taux augmentent, la demande de prêt va diminuer. En répondant aux besoins de crédit, les banques centrales peuvent alors jouer un rôle central pour lisser les fluctuations économiques, notamment donc en soutenant l’économie en période de récession ou de faible inflation.

M. Abdoulaye CAMARA

Temps de lecture : 5 min

Série : Economie en question (N°22)

Comprendre comment l’élasticité prix de la demande élucide l’impact des nouvelles taxes

L’instauration des taxes de 10% et de 1% sur les services de télécommunication et de FinTech au Mali a été répercutée logiquement et intégralement sur les prix nominaux des services concernés par les opérateurs. Face à un tel constat, une interrogation demeure. Dans quelle mesure les demandes des services ainsi imposés réagiront-elle aux différentes hausses de prix imposées ?

Pour répondre à cette interrogation, les économistes utilisent un outil d’analyse très puissant et incontournable dans le cas d’espèce, qui se nomme « élasticité prix de la demande ».

Cet outil mesure la sensibilité de la quantité demandée mesurée en pourcentage consécutive à une variation (augmentation ou diminution) de 1% du prix du bien ou du service en question toutes choses étant égales par ailleurs.

L’élasticité prix de la demande devient positive (dans des cas on ne peut plus rares) pour les biens ou services « atypiques » ; c’est-à-dire des biens ou des services pour lesquels la loi de la demande n’est pas respectée.

L’élasticité prix de la demande devient négative (dans les cas les plus fréquents) pour les biens ou services « typiques » ; c’est-à-dire des biens ou des services pour lesquels la loi de la demande est respectée (prix et quantité demandée évoluant en sens opposé).

En réalité, la sensibilité de la quantité demandée consécutive à la variation en pourcentage du prix d’un bien ou d’un service dépend de plusieurs éléments dont les principaux sont :

-          le niveau de rareté ou d’abondance du bien ou du service concerné par la variation de prix ;

-          l’importance ou pas du bien ou du service dans le maintien de la vie des consommateurs (bien ou service indispensable) ;

-          l’existence de biens ou de services substituables au bien ou service ayant subi la hausse de prix (niveau de concurrence présent sur le marché en question).

Si par exemple, un bien ou un service dont le prix a enregistré une variation est un bien ou service indispensable pour les consommateurs, l’élasticité prix de la demande prendra dans ce cas une valeur absolue comprise entre zéro et un. Pour ce type de bien ou service, les économistes disent que la demande est inélastique au prix ou elle répond peu à la variation du prix du bien du service.

Si par contre, le bien ou le service n’est pas indispensable pour les consommateurs par exemple, la valeur absolue de l’élasticité prix de la demande sera dans ce cas plus grande que l’unité. La demande dans un tel contexte est considérée par les économistes comme élastique au prix. En d’autres termes, les économistes soutiendront que la demande répond de manière substantielle à la variation du prix.

Si la valeur absolue de l’élasticité prix de la demande est unitaire (égale à un), alors la demande est dite neutre par rapport à la variation du prix.

Dans les deux cas polaires, soit la quantité demandée ne répond pas du tout à la variation du prix (élasticité prix de la demande nulle) soit elle y répond de manière infinie ; suivant le cas, les économistes diront que la quantité demandée répond de manière parfaitement inélastique au prix soit de parfaitement élastique au prix.

Une application de cet outil aux services des recharges voix et forfait Internet dans le cas du Mali – sous hypothèse que ces services soient considérés comme indispensables pour les consommateurs – permet d’inférer que l’augmentation de 10% qu’ont enregistrée leurs prix, entrainera une baisse de la quantité demandée de ces services de moins de 10% toutes choses étant égales par ailleurs. Dans un tel scénario, les économistes admettent que les demandes de ces deux services sont inélastiques à la variation de leurs prix. Quid de l’élasticité prix de la demande des boissons alcoolisées dans la mesure où celles-ci ont été soumises aussi à des taxes pouvant atteindre jusqu’à 15% pour certaines d’entre elles ?

Madou CISSE

FSEG

 Temps de lecture : 5 min

Révision de la charte des partis politiques : les formations politiques sur une ligne de crête ?

La révision de la loi n°05-047 / du 18 août 2005 portant charte des partis politiques occupe actuellement sans surprise toute l’attention des partis politiques maliens qui fourbissent leurs arguments dans le but de préserver l’essentiel de leurs intérêts ; ce qui est tout à fait rationnel de leur part. Leur comportement est d’autant plus justifié que la révision pourrait toucher au nombre des partis politiques et au mode de financement public des activités des partis politiques.

Faut-il limiter le nombre de partis politiques au Mali ?

Pour répondre efficacement à la question libellée ci-dessus, il serait judicieux de répondre clairement à celle-ci : pourquoi faut-il limiter le nombre des partis politiques au Mali ? Si la réponse à la première question peut être oui ou non ; celle qu’exige la seconde semble être moins simple.

Le principal objectif des formations politiques est la conquête du pouvoir (municipal, législatif (Assemblée et Sénat), Présidentiel et Exécutif), en tout cas dans les nations et territoires démocratiques. L’atteinte de cet objectif par les formations politiques passe préalablement par la fixation de leurs ancrages idéologiques politiques respectifs qui sous-tendent leurs programmes de société.

Les idéologies politiques forment un continuum partant de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les idéologies centristes. Les deux principaux fondements contribuant à assoir les principales limites de chacune des formes d’idéologies politiques sont le degré de liberté économique et le degré de liberté individuelle acceptés par chaque formation politique. Si, les partis politiques d’extrême gauche prônent plus de liberté individuelle et moins de liberté économique ; ceux positionnés à l’extrême droite de l’échiquier politique sont moins enclins à la liberté individuelle tout en acceptant plus de liberté économique.

A cet effet, vouloir, un instant limiter le nombre des partis politiques dans un pays revient à s’attaquer frontalement à la liberté de pensée des citoyens. Car chaque formation politique est l’incarnation d’une idéologie politique singulière. Même s’il n’est pas rare de voir dans un pays plusieurs partis politiques partageant le même substratum idéologique tels que les partis socialistes, les partis républicains, les partis centristes, etc. C’est partant d’une telle considération que les « pères » du mouvement démocratique malien ont judicieusement opté pour le multipartisme intégral.

Partis politiques et pognon de l’Etat

Au premier article du chapitre V de la charte des partis politiques du Mali datée du 18 août 2005, il est écrit ceci : « Les partis politiques bénéficient d'une aide financière de l'Etat inscrite au budget de l'Etat à raison de 0,25 % des recettes fiscales. ». Sur la base de cet article (le 29ème de ladite charte), sous certaines conditions spécifiées dans le deuxième alinéa dudit article, l’Etat malien contribue financièrement au fonctionnement des formations politiques.

Question : la nouvelle charte doit-elle garder cet article ? Ma réponse est non. Cet article doit purement et simplement être supprimé. D’aucuns peuvent soutenir qu’un tel dispositif existe dans les pays occidentaux majeurs tels que la France, les Etats-Unis, l’Allemagne etc. Ma réponse demeure la même, les pays ne se valent pas ! En plus, la quasi absence de vertu politique au Mali annihile toute gestion vertueuse des financements reçus au sein des formations politiques. Enfin, la suppression du financement public des « activités des partis politiques » contribuera sûrement à réguler de manière sous-jacente l’épineuse problématique du nombre des partis politiques au Mali. En stoppant de manière définitive et irréversible ce financement, les partis politiques « zombies » seront frappés au portefeuille, ce qui sonnera le glas de leur existence.

Si limiter le nombre de partis politiques est une pratique liberticide ; par contre, arrêter le financement des partis politiques dans un pays comme le Mali ne peut être considéré comme une pratique contribuant significativement à rendre l’environnement socio-politique malien beaucoup plus ataraxique.

Madou CISSE

FSEG

 

Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

Temps de lecture : 9 min

Les nouvelles taxes au Mali tuent-elles les taxes ?

Pour se soustraire des aides, des dons de l’extérieur, un nombre croissant de pays africains ont jugé nécessaire de reformer leurs politiques fiscales afin de mobiliser suffisamment de ressources à l’interne pour faire face avec efficacité à leurs obligations régaliennes.

Dans le cas du Mali, les autorités de la transition ont décidé de taxer davantage les services du secteur des télécommunications et des services financiers numériques (le mobile money).

Alors que « la fiscalité joue un rôle central dans le processus de développement des nations », les pays en développement cherchent à accroître le niveau de ces ressources, ce qui entraîne une augmentation de la pression fiscale qui affecte le comportement des contribuables. Ainsi, le développement du comportement de conformité fiscale des contribuables reste également un instrument à privilégier.

De Ibn Khaldoun à Arthur Laffer

L'idée que « trop d'impôt tue l'impôt » ou que « le taux d’imposition mange l'assiette » est ancienne. Elle remonte au 14è siècle avec les écrits d’Ibn Kaldoun qui soutenait que plus le taux d'imposition est élevé moins l'État perçoit de recettes du fait de la non-conformité des contribuables. Au-delà d'un certain niveau, lorsque l'impôt dépasse ce qui est acceptable pour le contribuable, l'impôt devient une charge déraisonnable. M. Friedman (1948) arrivait à la même conclusion, qui affirme qu'une pression fiscale plus élevée réduit directement le revenu disponible du contribuable.

Mais il revient à l'économiste américain Arthur Laffer, dans les années 1970, d'avoir tenté de théoriser ce qu'il nommait « l'allergie fiscale », et de l'avoir popularisée à l'aide de la courbe qui porte son nom. Cette fameuse courbe (qui aurait été tracée par Laffer pour la première fois sur une nappe d’un restaurant) qui porte désormais son nom décrit l'évolution des recettes fiscales en fonction du taux marginal d'imposition (recette supplémentaire générée par une augmentation d’une unité supplémentaire du taux d’imposition). Il montre quun taux d'imposition nul entraîne des recettes fiscales nulles de l’Etat, tandis qu'une augmentation du taux d'imposition marginal entraîne des recettes fiscales supplémentaires. En revanche, lorsque le taux atteint un certain niveau (taux d’imposition optimal) cependant, toute nouvelle majoration réduit les rentrées fiscales. Ce phénomène s'explique par le fait qu'un taux d'imposition élevé constitue un frein important à l'acquisition et à la déclaration de revenus imposables. La réduction du taux marginal d'imposition pourrait par conséquent accroître les recettes fiscales.

Le principal enseignement de la courbe de Laffer soutient que l’augmentation des taux d’imposition ne s’accompagne pas, nécessairement, d’une augmentation des ressources fiscales. Le corolaire d’un tel enseignement conduit à affirmer que des taux de taxation élevés favorisent la fraude et l’évasion fiscale, et par conséquent, donc les contribuables vont être dirigés vers des comportements de corruption. Inversement, un faible recouvrement fiscal conduit à des coûts financiers élevés en termes de contrôle fiscal, et donc un rythme faible de collecte des recettes fiscales.

Une revue de littérature aux résultats ambigus

En Afrique, au cours de ces dernières décennies, les services téléphoniques et argent mobile sont devenus une nouvelle source de recettes fiscales. Actuellement, 15 pays africains ont introduit des taxes sur l’argent mobile et d’autres services financiers numériques (SFN). Ces pays taxent souvent plus lourdement que les autres services financiers et les taux d’impositions varient d’un pays à un autre comme les taux effectifs également liés du montant de la transaction. Dans ces pays africains à faible revenu, les critiques craignent que ces taxes ne freinent la croissance des services téléphonie et argent mobile n’exercent un impact disproportionné sur les ménages aux revenus les plus faibles.

Sous l’effet de pressions budgétaires ou politiques, les taxes sur les SNF ont été conçues à la hâte dans certains pays africains. Sans surprise, les résultats ont souvent été critiqués et ont tous connu des modifications précoces de leurs taxes sur les SFN.

Selon l’étude de Akol et Lees (2021), En juillet 2018, l’Ouganda a instauré une nouvelle taxe sur la valeur des transactions d’argent mobile. Cette taxe a été introduite rapidement, sans suivre le processus habituel d’élaboration des politiques fiscales. Entre autres défauts de conception, le dépôt, l’envoi, la réception et le retrait d’argent étaient initialement taxés séparément, ce qui entraînait de multiples couches d’imposition sur chaque paiement. Cette nouvelle taxe est venue s’ajouter aux taxes générales existantes sur les frais de l’argent mobile, introduites pour la première fois en 2013. Face aux protestations généralisées et à la forte pression politique, le gouvernement a fait marche arrière en novembre 2018, abaissant le taux et limitant l’assiette de la taxe aux retraits.

Pour Noah et Tacneng (2024), au Cameroun, l’Etat a imposé une taxe de 0,2 % uniquement sur la valeur des transactions d’argent mobile, les banques étant exemptées. Malgré un taux d’imposition apparemment modeste, les prestataires d’argent mobile ont connu une baisse significative de leur rentabilité. Cela a été particulièrement le cas pour les agents traitant des montants plus importants d’argent mobile et des valeurs de transaction plus élevées.

Au Ghana l’impact est plutôt mitigé. Selon les études réalisées par Anyidoho et al. (2022) ; Abounabhan et al. (2024) ; Scarpini et al. (2024) ; Carreras et al. (2024), Tout d’abord, les 100 premiers cedis transférés chaque jour par un utilisateur sont exonérés de la taxe. Cela a rendu le prélèvement plus progressif en réduisant son impact sur les personnes à revenu modeste. Cependant, les personnes à faible revenu travaillant dans le secteur informel et devant effectuer des transactions très fréquentes sont toujours fortement touchées, et la connaissance limitée de l’exemption empêche de nombreux utilisateurs d’en tirer le meilleur parti. Ensuite, afin d’encourager une plus grande formalisation, sont exonérés les paiements aux commerçants qui sont enregistrés en tant qu’entreprises à la fois auprès des prestataires d’argent mobile et de l’administration fiscale du Ghana.

Les nouvelles taxes instaurées au Mali sont-elles au-dessus du seuil de taux d’imposition optimal désigné par Laffer comme le niveau d’imposition pouvant assurer le niveau maximal des recettes fiscales ? Seul le temps pourra répondre à cette interrogation. Ce qui est sûr, les nouvelles taxes sont loin de faire l’unanimité au sein de la population malienne quant à leur utilité et leur opportunité.

M. Abdoulaye CAMARA

Temps de lecture : 3min

Série : Economie en question (N°21)

Pourquoi la courbe d’offre de biens et services est-elle inclinée vers le haut ?

Le référentiel sacro-saint de l’économie de marché est le marché tant que faire se peut. Le marché sous-entend la confrontation pérenne entre offre et demande.

L’existence du marché des biens et services exige que la disponibilité à acheter des consommateurs soit toujours supérieure ou égale à la disponibilité à vendre des vendeurs. Sinon, l’existence du marché est entière compromise. Si les économistes admettent qu’en arrière-plan de la demande des biens et services il y a les utilités marginales des consommateurs et que cette présence explique généralement l’allure décroissante des courbes de demandes (le lecteur intéressé peut voir ma publication sur cette thématique à l’adresse suivante : https://cequejepensemali.blogspot.com/2024/11/serie-economie-en-question-n15-pourquoi.html ) ; alors qu’est-ce qui explique l’allure croissante de la courbe d’offre des biens et services ?

Le vendeur accepte toujours de vendre son bien ou son service tant que le gap entre son prix de vente (ou sa disponibilité à vendre) et les disponibilités à acheter des consommateurs demeure positif ou nul. Généralement, sur les marchés des biens et services libres de toutes entraves, la disponibilité à vendre de chaque unité produite est mise en regard du coût supporté pour produire l’unité en question. Et dans les processus de production (sauf en cas de présence d’économies d’échelle ou d’autres formes de défaillances de marché majeures) le coût de production de chaque unité supplémentairement produite augmente au fur et à mesure que le vendeur augmente son échelle de production. En réalité, c’est cette dynamique d’augmentation de coût de chaque unité supplémentaire que d’aucuns appellent coût marginal de production qui explique l’allure croissante de la courbe d’offre des biens et services. Car en creux, la disponibilité à vendre du vendeur intègre toujours ce coût marginal de production.

L’allure croissante de la courbe d’offre des biens et services a comme arrière-plan la croissance du coût marginal de production de chaque unité supplémentaire produite. Tant que ce coût croitra, la courbe d’offre sera toujours inclinée vers le haut. Et par voie de conséquence, le prix de vente du bien ou service augmentera aussi. C’est partant d’une telle liaison entre la quantité produite et le coût marginal de production que les économistes admettent la définition suivante du concept de l’offre de biens et services : les quantités de biens ou de services que les producteurs désirent vendre pour tout niveau de prix donné (donc, de coût marginal donné si le marché est concurrentiel pur et parfait).

Madou CISSE

FSEG

 Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

La création monétaire est-elle endogène ou exogène ?

Au début du 19è siècle, cette question a fait l’objet d’une controverse célèbre à l’occasion du débat entre Currency School (école de la circulation) et Banking School (école de la banque). De nos jours, elle est réapparue dans l’opposition entre le multiplicateur de crédit et diviseur de crédit. Et, plus récemment, dans l’opposition entre l’économie d’endettement et l’économie de marché. Ces deux écoles de pensée économique s’opposent sur la règle d’émission de la quantité de monnaie en circulation par la Banque centrale.

Banking school versus Currency school

Dès la fin du 18è siècle, en Angleterre, deux interrogations principales vont susciter l’attention des économistes et les banquiers :

-          Comment peut-on réguler l’offre de monnaie en Angleterre et in fine dans tous les pays qui connaissent un régime d’étalon or ?

-          De quelle nature est la monnaie ? 

Ces interrogations résultent du Bank Restriction Act de 1797 qui fait naitre la controverse bullioniste dont l’enjeu était le suivant : la suspension de la convertibilité en or des billets de la banque d’Angleterre suite à l’acte de 1797, est-elle responsable de la hausse du prix de l’or (qui devient supérieur à la valeur de la monnaie, en d’autres termes il y a une dépréciation monétaire) et de la hausse du prix des marchandises autrement dit est-elle responsable de l’inflation ? Dès 1810 est publié le Bullion report sur les causes de l’inflation, une controverse s’est développée à propos de l’émission de monnaie dans le cadre du régime de l’étalon-or.

Pour simplifier, ce débat va se poursuivre et se retrouver dans les discussions qui opposent deux écoles : la Currency School représentée par David Ricardo et la Banking School par Thomas Tooke dont leurs positions antagonistes vont aboutir à l’énoncé de deux principes : le principe de la circulation (Currency Principle) et le principe de la banque (Banking Principle)

Le « Currency Principle »

La préoccupation de l’école de la circulation, dont le chef de file est D Ricardo, est de maintenir stable la valeur de la monnaie et donc de contrôler sa création, selon le principe de la Théorie Quantitative de la Monnaie (TQM).

Pour Ricardo et les tenants de « l’école de la circulation » considèrent que la quantité de billets émis par la banque centrale doit être intégralement couverte par des encaisses or. Concrètement, la quantité de billets en circulation doit donc être limitée. La création de monnaie par les banques est donc vue comme pouvant générer le risque d'une inflation. L'émission de monnaie doit être proportionnelle à l’encaisse métallique (principalement l’or) détenue dans les réserves de la Banque Centrale pour éviter le risque d’une dépréciation lorsqu’elle est émise en quantité trop élevée. Dans le contexte du système de libre-convertibilité de l’étalon-or de l’époque, les tenants de cette analyse voyaient aussi le risque que les banques ne puissent répondre à la demande des clients souhaitant échanger leurs billets contre de l'or. L’épisode de la faillite de la banque Law à la fin du XVIIIème siècle a illustré ce type de risque.

De ce principe découle le constant suivant : la monnaie en circulation est mixte. En effet, elle est composée d’or, de billets convertibles en or (c’est-à-dire que ces billets sont émis pour un montant qui reflète les variations du stock d’or), et de billets inconvertibles (qui prennent la forme de papier monnaie émis par l’Etat). Les billets de la banque d’Angleterre sont donc assimilés à de la monnaie métallique : M (la masse monétaire) varie en fonction de la quantité d’or dont dispose le pays. Mais d’où provient cet or dont dispose le pays ? En fait, le raisonnement de ce principe s’applique à des pays ayant chacun un régime d’étalon-or. Si bien que la quantité de métal disponible va dépendre des entrées ou des sorties d’or qui traduisent la situation des échanges extérieurs de la nation.

A l’inverse de cette position, l’économiste britannique Thomas Tooke, remarque dans l’analyse du principe de l’école de la circulation une confusion entre monnaie et crédit. En effet, le currency school considère que la monnaie métallique (l’or) et les billets inconvertibles sont de la monnaie ; mais il considère également que les billets convertibles sont de la monnaie. Or ces derniers sont aussi des instruments de crédit au même titre que les dépôts mobilisables par chèques.

Par ailleurs, les billets convertibles émis en contrepartie d’opérations de crédit (c’est-à-dire pour répondre aux besoins de liquidité de l’économie) doivent ils être soumis aux règles que celles concernant l’émission de la monnaie fiduciaire ? Doivent-ils être soumis au principe de circulation ?

La réponse par la négative à cette question va être caractéristique des partisans de l’école de la Banque qui vont définir le « Banking Principle »

Le « Banking Principle »

Pour Tooke, et les tenants de l’« école de la banque », la hausse des prix en Angleterre ne s’explique pas par la suspension de la convertibilité or des monnaies mais par des causes réelles liées à la guerre avec la France. Cette guerre a en effet interrompu les échanges et perturbé les récoltes. Autrement dit l’économie est perturbée par la guerre qui provoque une augmentation des prix qui s’accompagne quant à elle d’un accroissement de la monnaie en circulation. Pour résumer, l’inflation n’a pas de causes monétaires mais à de causes réelles. C’est un raisonnement inverse à celui de l’école de circulation, car toute hausse de M (masse monétaire) entraine une augmentation de P (niveau général de prix) alors que pour l’école de la banque la causalité est inversée car c’est l’augmentation de P qui s’accompagne d’une hausse de M.

L’école de la circulation estime qu’on ne peut pas faire dépendre l’émission de monnaie de la quantité d’or disponible car cette quantité dépend de facteurs qui ne sont économiques et qui sont liés à l’extraction de l’or et ses aléas. L’émission monétaire doit se faire en fonction des besoins de l’économie c’est-à-dire l’occasion d’opérations de crédit (opérations d’escompte). C’est pour cette raison qu’on admet que l’école de la banque a une conception endogène de l’offre de monnaie.

Il y a donc chez l’école de la banque une véritable distinction entre monnaie et crédit. Seuls l’or et les billets inconvertibles peuvent être considérés comme de la monnaie. De ce fait les billets convertibles et ce qu’on appelle aujourd’hui les dépôts en compte courant utilisés pour les paiements scripturaux ne sont que des instruments de crédit. Ils ne sont émis que parce qu’il y a une demande préalable des agents économiques c’est à dire une demande de crédit. Cette demande est fonction de l’activité économique. Même si la monnaie qui circule est uniquement métallique, il faut faire en sorte que le crédit puisse s’adapter aux besoins de l’économie. Ceci implique que pour les tenants de la Banking school il peut y avoir un contrôle monétaire mais celui doit être adapté à chaque catégorie d’instruments. C’est le principe de banque.

Au final, l’adoption en 1844 du Bank Charter Act à l’instigation de Sir Robert Peel (act de Peel) consacre des thèses de la Currency School. La Banque d’Angleterre est désormais divisée en deux départements :

Ø  Le département de l’émission ;

Ø  Le département de la banque

Le premier applique le « Currency Principle » et vérifie que les billets qu’il émet sont couverts par les réserves d’or au-delà d’un montant de 14 millions de livres. Lorsque ce plafond est atteint le second département intervient et interrompt l’escompte.

Toutefois, l’opposition d’hier entre Currency School et Banking School s’est toujours perpétuée, puisqu’elle n’a pas été clairement résolue. Il s’agit toujours de savoir la nature de la monnaie. La monnaie est-elle endogène ? exogène ? active ? neutre ? La théorie keynésienne, en mettant la monnaie au cœur de l’analyse du circuit de production, a largement contribué à développer une vision active de la monnaie. M. Friedman, quant à lui, a réactivé la théorie quantitative de la monnaie et insisté sur le risque inflationniste de tout excès de création monétaire.

Ainsi, depuis la crise de 2008, les banques centrales ont mis en œuvre des stratégies très actives de création monétaire très rapide par le biais de rachats d’actifs sur le marché. C’est ce qu’on appelle le quantitative easing (QE). Cette politique monétaire vise à stimuler le crédit et favoriser l’investissement productif et la consommation des ménages. Certains économistes, tels que Patrick Artus et Marie-Paule Virard, dans leur livre La folie des banques centrales, ont estimé que, par ces pratiques, les autorités monétaires ont éloigné la création monétaire de l’économie dite « réelle ».

M. Abdoulaye CAMARA

Temps de lecture : 13 min

Les taxes sur les secteurs de la télécommunication et de la Fintech au Mali, un mal pour un bien

La situation actuelle du Mali a remis au goût du jour la politique budgétaire de rigueur. Cette politique de rigueur consiste à augmenter l’imposition dans le but d’assainir les dépenses publiques. A cet effet, l’ordonnance N°2025-008/PT-RM du 07 février 2025, instituant le Fonds de Soutien aux Projets d’Infrastructures de Base et de Développement Social présente en son 2ème article l’objectif du Fonds de Soutien (FS) dans ces termes « [Qu’il] est destiné à apporter une contribution financière, en cas de nécessité et d’urgence, aux actions socio-économiques initiées par le Gouvernement dans divers secteurs, notamment le secteur énergétique ». Si ces réformes traduisent une volonté d’autonomisation budgétaire, elles provoquent des indignations et des inquiétudes chez les maliens.

Les taxes pour deux secteurs ciblés : un rendement attendu de plusieurs milliards de FCFA

Le fonds social doit être ravitaillé par des prélèvements spécifiques du secteur des télécommunications et celui de la Fintech, spécifiquement le mobile money. Comme toute taxe, les autorités maliennes ont fixé (1) les assiettes des prélèvements, ce sont les valeurs faciales des recharges de communication voix (prépaid) ; les factures de communication voix (postpaid) ainsi que les forfaits Internet prépaid et postpaid et les montants des retraits « mobile money ». (2) les taux applicables qu’elles ont spécifiés sont respectivement 10% pour les valeurs faciales des services du secteur des télécommunications et 1% pour les montants du service de « retraits mobile money ». (3) en usant de leur troisième pouvoir en matière de taxes, les autorités maliennes ont désigné les opérateurs télécoms pour la collecte des montants issus de l’implémentation des différentes taxes spécifiées dans ladite ordonnance.

Télécoms : des recettes fiscales tirées par l’Internet

Le rapport d’activités 2023 de l’Autorité Malienne de Régulation des Télécommunications /TIC et des Postes (AMRTP) signalait qu’en fin décembre 2023, le revenu moyen par utilisateur (ARPU = Average Revenue Per User) pour les communications voix fixe et mobile faisaient respectivement 1.104 F CFA et 1.518 F CFA. Le même rapport mentionnait qu’à la même période, le parc total de la communication voix mobile faisait 25.259.489 SIM actives pendant que celui du fixe a été estimé à 347.704 clients. Une analyse de ces chiffres permet d’inférer que si la taxe était appliquée en 2023, le secteur des communications voix mobile et fixe permettrait de collecter une somme annuelle moyenne de près de 3,88 milliards de F CFA. La contribution moyenne du secteur de la voix mobile dans ce résultat total serait de 3,83 milliards et un plus de 38 millions pour le segment de la communication fixe.

L’ARPU du segment Internet dominé à 98% par l’accès en situation mobile faisait 7.513 F CFA en fin 2023. La contribution moyenne de ce segment au renflouement de la caisse du Fonds de Soutien sur la base des données de 2023 permettrait de collecter dans une fourchette moyenne près de 10,07 milliards de F CFA auprès d’un parc de 13.409.405 clients.

La contribution de la Fintech dans le Fonds de Soutien

Le Fonds Social doit normalement bénéficier aussi de la contribution du secteur de la Fintech, spécifiquement le service « retrait mobile money ». A cet effet, partant toujours des données de 2023, sur ce secteur, pour un chiffre d’affaire total estimé à 83,7 milliards de F CFA ; les retraits ont culminé à près de 51 milliards. Une application de 1% de la taxe sur ce montant permettrait aux autorités maliennes de collecter 507 millions de F CFA.

Il ressort de l’analyse présentée supra, en prenant l’année 2023 comme une année de référence, tous les prélèvements (télécommunications et Fintech) apporteraient en moyenne, environ 14 milliards de F CFA annuellement au Fonds de Soutien.

Incidence des prélèvements spécifiques pour qui ?

La problématique de l’incidence d’une taxe pose la question de savoir qui supporte réellement le poids de la taxe ? En guise de réponse à cette interrogation, les préceptes économiques sont formels. Aucune autorité ne peut décider de cela. Ce pouvoir est exclusivement détenu par les forces du marché. C’est elles seules qui peuvent répartir le poids d’une taxe entre vendeurs et acheteurs. L’article 7 de l’ordonnance tente d’aller à l’encontre de ce principe en ciblant préalablement les consommateurs des services taxés. Partant d’une interprétation rigide de l’esprit de cet article, le résultat de la communication gouvernementale est devenu on ne plus poussif.

Venons aux faits. En appliquant une taxe de 1% aux services « retrait » du secteur de la FinTech (faisant abstraction de l’article 7 de l’ordonnance) ; personne ne peut prévoir dans ces conditions qui des consommateurs maliens ou des opérateurs supporteront l’entièreté de la taxe. L’application de la nouvelle taxe portera les frais de retrait à 2% toutes choses égales par ailleurs. Ce pourcentage de retrait n’est pas inédit au Mali. Les frais de retraits variaient entre au moins 2,5% et 10% des montants retirés, avant d’être fixés par l’opérateur leader du marché à 1% après trois changements successifs de grilles tarifaires en décembre 2021.

Le marché malien du mobile money est un oligopole à la Stackelberg avec un leader détenant 78% de part de marché en fin décembre 2023 et trois suiveurs (Moov money, Sama Money et Wave). Sur ce marché, pendant que le leader applique un taux de retrait de 1% comme Wave ; les frais de retrait de Moov Money et de Sama Money font respectivement 0,9% et 0,5% en février 2025. Sur un tel marché, rien ne prédit que l’instauration d’une nouvelle taxe de 1% va être automatique répercutée sur les frais de retrait (donc supportés exclusivement par les consommateurs). Bien au contraire, cette nouvelle taxe pourrait être une opportunité pouvant redessiner la configuration du marché malien de la Fintech permettant ainsi l’entrée ou l’éclosion sur ledit marché d’opérateurs plus efficaces.

Les opérateurs efficaces pourraient supporter toute ou partie de la nouvelle taxe en imitant la start-up américaine Wave lors de son implantation au Mali en 2021. L’instauration de la nouvelle taxe « recrée » simplement les mêmes conditions de marché quasiment identiques à celles qui ont prévalu avant l’entrée de Wave en 2021 sur le marché malien de la Fintech. A cette époque et contrairement à la nouvelle donne qu’imposera la nouvelle taxe, tous les frais de retraits (entre au moins 2,5% et 10%) étaient captés exclusivement par les opérateurs. Donc, soutenir que l’incidence de la nouvelle taxe de 1% imposée sur le service de « retrait mobile money » sera exclusivement à la charge des consommateurs maliens n’a aucun fondement de sciences économiques.

En plus, une autre faiblesse de la taxe de 1% sur le service de « retrait  mobile money » réside aussi dans le choix de l’assiette. Le marché de la Fintech, spécifiquement, la filière « mobile money » propose en plus du service « retrait » les services de « transfert » et de « paiements électroniques ». le chiffre d’affaire réalisé en 2023 par les sociétés émettrices de la monnaie électronique (EME) a été estimé par l’AMRTP à 83,74 milliards. Le service « retrait » a contribué à ce chiffre d’affaire à hauteur de 60,5% en ayant enregistré une progression annuelle de 35% par rapport à 2022. Les services « transfert » et « paiements électroniques » ont contribué à hauteur de près de 20% chacun. Mais en termes de progression sur une année, c’est le service « paiements électroniques » qui a réalisé la plus forte progression avec 68%. Une telle progression de ce service permet d’inférer que les consommateurs peuvent significativement éviter la nouvelle taxe de 1% imposée sur le service « retrait » en substituant à ce dernier le service « paiement électronique ». Cet évitement devrait être envisagé avant la mise en place de la nouvelle taxe.

La taxe de 10% sur le secteur des télécommunications voix et Internet souffre aussi des mêmes lacunes que celles déjà signalées relativement au service de retrait mobile money. L’article 7 a voulu faire porter par le consommateur l’incidence de cette nouvelle taxe. Ce qui ne peut être fait malheureusement à partir d’un bureau.

L’imposition de 10% sur les valeurs faciales des recharges voix et Internet devrait être seulement notifiée à la population malienne. Les deux services n’étant pas soumis aux mêmes conditions réglementaires – libre administration des prix pour l’Internet et prix plafond pour la voix – a priori, les autorités devraient faire confiance au fonctionnement du marché pour la répartition de l’incidence de cette nouvelle taxe. En cas de présence de faillances majeures constatées ex post, elles pourraient intervenir. Je suis sûr que c’est sur le marché de la voix qu’une telle intervention allait être « peut-être » nécessaire pour aider les opérateurs à travers une hausse marginale du prix plafond de la communication voix. Et une telle intervention allait aussi par ricochet améliorer les recettes de la TRATOP.

Que faire ?

Retenir qu’aucun législateur ou technocrate ne peut décider de l’incidence des taxes depuis un parlement ou d’un bureau ! Et en s’obstinant dans une telle voie, le législateur ou le technocrate devient comparable à un physicien qui décide de défier la loi de la gravitation universelle. Cette mission (fixation de l’incidence des taxes) doit être confiée aux forces du marché. Dans le cas d’espèce, faire en sorte que le décret d’application de l’ordonnance ne limite pas l’implémentation desdites taxes dans le temps. En ne fixant pas de deadline, cela pourrait donner les incitations nécessaires aux opérateurs (surtout ceux qui sont les plus efficaces) de faire des efforts en termes d’efficacité de production, ce qui pourrait leur permettre de réduire leurs coûts unitaires donc, de réduire significativement le poids des taxes imposées par l’ordonnance sur les consommateurs maliens.

En définitive, ces taxes au lieu d’être vues comme un frein au développement des secteurs ciblés peuvent contribuer à les rendre plus concurrentiels tout en mettant des ressources à la disposition des autorités maliennes, même si, je trouve que leurs estimations des ressources futures que peuvent générer les nouvelles taxes semblent être déconnectées de la réalité que dépeignent les chiffres disponibles actuellement.

Madou CISSE

FSEG

 Temps de lecture : 8min

L’augmentation de la TARTOP peut-elle être répercutée par les opérateurs maliens de télécommunication ?

Les Etats, qu’ils soient monarchiques, despotiques ou républicains ont de tout temps lever des impôts et des taxes pour assurer leurs obligations régaliennes et tutélaires.

Le « pouvoir » hors norme du marché en matière de taxe

L’économie positive soutient que la mise en œuvre d’une taxe exige la maîtrise de quatre « pouvoirs » qui sont : (1) la détermination du taux de la taxe ; (2) la détermination de l’assiette de la taxe ; (3) la désignation de l’agent économique qui doit payer le montant de la taxe (4) la détermination l’incidence de la taxe.

En suivant les préceptes de l’économie positive, il est admis et démontré que les Etats disposent les coudées franches quand il s’agit de fixer le taux, de déterminer l’assiette et l’agent qui doit payer les taxes qu’ils mettent en place. Malheureusement, pour les Etats, ils ne disposent d’aucun pouvoir quant à la fixation de l’incidence des taxes qu’ils mettent en place. En d’autres termes, aucun Etat ne peut fixer préalablement de manière certaine la répartition du poids d’une taxe entre les deux participants aux transactions économiques à savoir les acheteurs et les vendeurs. Ce pouvoir échoit principalement aux forces du marché, en une phrase aux lois de l’offre et de la demande. Seules les forces du marché déterminent qui des consommateurs ou des producteurs supporteront quels poids ou incidence d’une taxe instaurée.

Le marché pour déterminer l’incidence d’une taxe s’appuie sur l’élasticité de la demande du bien ou du service – la sensibilité de la quantité demandée d’un bien ou d’un service à la variation de son prix unitaire de 1% toutes choses égales par ailleurs – soumis à la taxe. Si la demande est élastique au prix les producteurs supporteront plus le poids de la taxe que les acheteurs. Dans une telle éventualité, les premiers cités ne peuvent répercuter qu’une infime partie de la taxe sur leurs prix de ventes. Ils supportent l’incidence en réduisant leurs marges bénéficiaires. (dans le cas théorique extrême des demandes parfaitement élastiques, les producteurs supporteront l’entièreté de la taxe qui sera ponctionnée dans leurs marges). Par contre, si la demande est inélastique au prix du bien ou du service, l’incidence de la taxe est supportée majoritairement par les acheteurs (dans le cas théorique extrême des demandes parfaitement inélastiques, les acheteurs supporteront l’entièreté de la taxe). Dans le cas théorique d’élasticité de la demande prix unitaire, les vendeurs et les acheteurs supporteront l’incidence de la taxe fifty-fifty.

Quid de la TARTOP ?

Dans le communiqué du Conseil des Ministres du 05 février 2025 (CM N°2025-06/SGG), les autorités de la transition du Mali sur un rapport du Ministre de l’Economie et des Finances, ont adopté un projet de loi portant modification de la Loi n°06-067 du 29 décembre 2006, modifiée, portant Code général des Impôts. Spécifiquement, le Conseil des Ministres a adopté un projet d’ordonnance qui modifie le Code général des Impôts en augmentant de 2% le taux de la Taxe sur l’Accès au Réseau des Télécommunications Ouvert au Public (TARTOP) initialement fixé à 5%.

En fixant ce nouveau taux de la TARTOP à 7%, comme le prévoient les préceptes de l’économie positive, les autorités maliennes ont usé des trois (03) pouvoir dont elles sont détentrices en matière de fiscalité, à savoir (1) fixer à 7% le taux de la TARTOP ; (2) déterminer l’assiette de ladite taxe (le chiffre d’affaire global hors taxes des opérateurs télécom) (3) l’agent économique qui doit faire le chèque ou le virement bancaire pour le fisc : elles ont désigné les opérateurs télécom pour cela. Ce que les autorités de la transition a priori ne peuvent fixer, c’est l’incidence de cette taxe c’est-à-dire qui entre consommateurs et opérateurs doivent supporter combien pourcent des 7% de la TARTOP. Seuls les marchés des télécoms (voix, Internet, sms) ont ce pouvoir dans un contexte de marché soumis à la concurrence.

Les marchés des télécoms au Mali

Le marché des télécoms compte trois (03) opérateurs de réseaux mobiles (Orange Mali, SOTELMA et ALPHA TELECOM). Ces opérateurs évoluent tous sur le marché de la télécommunication voix mobile, sur celui du fixe et sur celui de l’Internet mobile et fixe et du SMS. En fin 2022, le chiffre d’affaire global toutes taxes comprises qu’ils ont déclaré auprès de l’autorité de régulation faisait 586 milliards. Ce chiffre d’affaire est archi dominé par les recettes issues du marché de la télécommunication voix mobile à hauteur de 94%.

Le prix du marché de la voix mobile est régulé et fixé par l’autorité malienne de régulation des télécoms à 80 F CFA la minute (prix plafond). Celui de l’Internet est libre.

Dans un tel contexte, une augmentation de la TARTOP ne peut induire aucune nouvelle incidence pour les consommateurs sur le marché de la voix mobile car le plafonnement du prix unitaire sur ce marché rend impossible toute répercussion sur le prix de ce service. Le plafonnement du prix unitaire de la communication voix mobile suspend automatiquement le pouvoir que peut avoir le marché de répartir le poids de la TARTOP entre les consommateurs maliens et les opérateurs télécom.

C’est sur le maché de l’Internet que les opérateurs peuvent avoir une certaine latitude de répercuter une partie de l’augmentation de la TARTOP sur les prix des forfaits. Même là, comme les préceptes de l’économie positive le présentent clairement, seules les forces du marchés à travers l’élasticité prix de la demande de ce service fixent le niveau des incidences pour les opérateurs télécoms et les consommateurs maliens.

Madou CISSE

FSEG

 

Temps de lecture : 6 min

Le protectionnisme au service d’objectifs politiques

Dans le précédent papier publié sur mon blog que le lecteur peut consulter à l’adresse suivante : https://cequejepensemali.blogspot.com/2025/01/temps-de-lecture-5-min-quand-le-47-eme.html, je promettais de répondre à la question suivante : que disent les préceptes de l’économie positive sur l’impact de la mise en place des mesures protectionnistes dans un pays? Dans le présent article la focale concerne les mesures tarifaires et plus spécifiquement les droits de douane sur les importations.

Mesures protectionnistes pour quels objectifs ?

Les mesures protectionnistes peuvent être tarifaires ou non tarifaires. Ces mesures peuvent viser les prix, les volumes ou les qualités des biens et services étrangers qui doivent être introduits sur un territoire national. Durant toute la période des trente glorieuses, les mesures protectionnistes avaient principalement des visées commerciales. Actuellement, ces mesures (surtout tarifaires) peuvent être mobilisées pour atteindre des objectifs politiques ou environnementaux ou écologiques.

La mise en œuvre des mesures tarifaires protectionnistes pour l’atteinte d’objectifs politiques est illustrée par les récentes mesures édictées par l’actuel Président américain à l’encontre du Canada et du Mexique. En voulant imposer toutes les importations américaines de biens et services provenant de ces deux pays frontaliers de 25%, l’administration américaine vise principalement une forte implication de ces deux pays dans la lutte contre l’immigration irrégulière et aussi en sus pour le Mexique une lutte sans merci contre le trafic de la drogue fentanyl qui est en train de faire des ravages aux Etats-Unis. Même si les déficits commerciaux américains vis-à-vis de ces deux pays et de la Chine sont abyssaux sur un déficit total estimé à près de 1.000 de dollars US en fin 2024 ; les mesures protectionnistes prises par l’administration américaine ont principalement des visées plus politiques (lutte contre l’immigration irrégulière) que commerciales ou économiques.

Protectionnisme : impacts

Dans le but de décrire les impacts prévus par l’économie positive suite à l’imposition d’une taxe sur les importations de biens et services étrangers, je considère (1) d’abord une économie ouverte – c’est-à-dire une économie commerçant sans entraves majeures avec le reste monde, comme le cas des Etats-Unis sous l’administration précédente où le taux moyen d’imposition des importations de biens et services était de 3% – (2) l’imposition de la taxe est supposée frapper tous les biens et services étrangers sans aucun ciblage de secteurs ou de filières spécifiques (comme veut le faire l’actuelle administration américaine vis-à-vis du Canada, du Mexique, de la Chine et de l’Union Européenne).

En situation d’économie ouverte (sans entraves majeures), le prix des biens et services sont bas et tendent vers leurs coûts unitaires de production. Dans ce contexte, les marges des entreprises nationales et étrangères sont faibles. La concurrence est rude et les gains des consommateurs sont importants. Le manque à gagner que génère une telle situation par rapport à la situation de référence qu’est la concurrence parfaite est faible. Dans une pareille économie, seules les entreprises efficaces (produisant au minimum de coûts pour le maximum d’outputs) peuvent émarger et rester sur les différents marchés.

L’imposition d’une taxe à l’encontre des importations étrangères peut réduire normalement l’offre étrangère ou si la distribution des élasticités entre offre et demande est plus favorable à l’offre qu’à la demande des biens ou services, les entreprises étrangères peuvent répercuter tout bonnement la hausse de la taxe sur leurs prix de vente. Dans les deux éventualités, cela conduira à une hausse des prix des biens et services à l’intérieur du pays (donc possibilité d’inflation). L’introduction de la taxe peut aussi ressusciter des entreprises nationales inefficaces. Ce réveil fouettera positivement la demande nationale de travail. Cette nouvelle situation réduit significativement les gains des consommateurs tout en restituant une partie des gains perdus par les consommateurs aux producteurs nationaux et étrangers capables de satisfaire la demande nationale qui ne resterait pas inchangée et qui baisserait du fait de l’augmentation du niveau moyen des prix. Un tel transfert de gains des consommateurs vers les producteurs passe par une amélioration des marges des derniers cités. Contrairement à la situation de l’économie ouverte, les manques à gagner de cette économie « fermée » deviennent très importants par rapport à la situation de référence qui est la concurrence parfaite.

Les Etats-Unis ont la faveur des arguments

Cet épisode d’imposition des droits de douane par l’actuelle administration américaine prouve que les taxes aux frontières visant les biens et services importés peuvent être utilisées pour atteindre des objectifs politiques. Mais que la mise en place d’un tel engrenage doit obéir à certaines réalités socio-économiques telles qu’être une puissance économique et militaire, avoir des déficits commerciaux importants vis-à-vis des pays concernés et surtout avoir une possibilité quasi illimitée de diversification de partenaires commerciaux tout en ayant aussi des marges de manœuvres importantes en termes de possibilité de production domestique. Tous ces critères mis bout à bout permettent de comprendre le pourquoi du comment du comportement de l’actuelle administration américaine. En définitive, cet épisode doit aussi permettre de comprendre en creux qu’un pays pauvre ne peut pas s’offrir un luxe de défier sempiternellement par l’usage de droits de douane ses différents partenaires commerciaux.

Madou CISSE

FSEG

Articles les plus consultés