Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.
La création monétaire
est-elle endogène ou exogène ?
Au début du 19è siècle,
cette question a fait l’objet d’une controverse célèbre à l’occasion du débat
entre Currency School (école de la
circulation) et Banking School (école
de la banque). De nos jours, elle est réapparue dans l’opposition entre le
multiplicateur de crédit et diviseur de crédit. Et, plus récemment, dans
l’opposition entre l’économie d’endettement et l’économie de marché. Ces deux
écoles de pensée économique s’opposent sur la règle d’émission de la quantité
de monnaie en circulation par la Banque centrale.
Banking school versus Currency school
Dès
la fin du 18è siècle, en Angleterre, deux interrogations principales
vont susciter l’attention des économistes et les banquiers :
-
Comment peut-on réguler l’offre de monnaie
en Angleterre et in fine dans tous les pays qui connaissent un régime d’étalon
or ?
-
De quelle nature est la
monnaie ?
Ces
interrogations résultent du Bank Restriction Act de 1797 qui fait naitre la
controverse bullioniste dont l’enjeu était le suivant : la suspension de
la convertibilité en or des billets de la banque d’Angleterre suite à l’acte de
1797, est-elle responsable de la hausse du prix de l’or (qui devient supérieur
à la valeur de la monnaie, en d’autres termes il y a une dépréciation
monétaire) et de la hausse du prix des marchandises autrement dit est-elle
responsable de l’inflation ? Dès 1810 est publié le Bullion report sur
les causes de l’inflation, une controverse s’est développée à propos de
l’émission de monnaie dans le cadre du régime de l’étalon-or.
Pour
simplifier, ce débat va se poursuivre et se retrouver dans les discussions qui
opposent deux écoles : la Currency School représentée par David
Ricardo et la Banking School par Thomas Tooke dont leurs positions
antagonistes vont aboutir à l’énoncé de deux principes : le principe de la
circulation (Currency Principle) et
le principe de la banque (Banking Principle)
Le
« Currency Principle »
La
préoccupation de l’école de la circulation, dont le chef de file est D Ricardo,
est de maintenir stable la valeur de la monnaie et donc de contrôler sa création,
selon le principe de la Théorie Quantitative de la Monnaie (TQM).
Pour
Ricardo et les tenants de « l’école de la circulation » considèrent que la
quantité de billets émis par la banque centrale doit être intégralement
couverte par des encaisses or. Concrètement, la quantité de billets en
circulation doit donc être limitée. La création de monnaie par les banques est
donc vue comme pouvant générer le risque d'une inflation. L'émission de monnaie
doit être proportionnelle à l’encaisse métallique (principalement l’or) détenue
dans les réserves de la Banque Centrale pour éviter le risque d’une
dépréciation lorsqu’elle est émise en quantité trop élevée. Dans le contexte du
système de libre-convertibilité de l’étalon-or de l’époque, les tenants de
cette analyse voyaient aussi le risque que les banques ne puissent répondre à
la demande des clients souhaitant échanger leurs billets contre de l'or.
L’épisode de la faillite de la banque Law à la fin du XVIIIème siècle a
illustré ce type de risque.
De
ce principe découle le constant suivant : la monnaie en circulation est
mixte. En effet, elle est composée d’or, de billets convertibles en or
(c’est-à-dire que ces billets sont émis pour un montant qui reflète les
variations du stock d’or), et de billets inconvertibles (qui prennent la forme
de papier monnaie émis par l’Etat). Les billets de la banque d’Angleterre sont
donc assimilés à de la monnaie métallique : M (la masse monétaire) varie
en fonction de la quantité d’or dont dispose le pays. Mais d’où provient cet or
dont dispose le pays ? En fait, le raisonnement de ce principe s’applique
à des pays ayant chacun un régime d’étalon-or. Si bien que la quantité de métal
disponible va dépendre des entrées ou des sorties d’or qui traduisent la
situation des échanges extérieurs de la nation.
A
l’inverse de cette position, l’économiste britannique Thomas Tooke, remarque
dans l’analyse du principe de l’école de la circulation une confusion entre
monnaie et crédit. En effet, le currency school considère que la monnaie métallique
(l’or) et les billets inconvertibles sont de la monnaie ; mais il considère
également que les billets convertibles sont de la monnaie. Or ces derniers sont
aussi des instruments de crédit au même titre que les dépôts mobilisables par
chèques.
Par
ailleurs, les billets convertibles émis en contrepartie d’opérations de crédit
(c’est-à-dire pour répondre aux besoins de liquidité de l’économie) doivent ils
être soumis aux règles que celles concernant l’émission de la monnaie
fiduciaire ? Doivent-ils être soumis au principe de circulation ?
La
réponse par la négative à cette question va être caractéristique des partisans
de l’école de la Banque qui vont définir le « Banking Principle »
Le
« Banking Principle »
Pour
Tooke, et les tenants de l’« école de la banque », la hausse des prix
en Angleterre ne s’explique pas par la suspension de la convertibilité or des
monnaies mais par des causes réelles liées à la guerre avec la France. Cette
guerre a en effet interrompu les échanges et perturbé les récoltes. Autrement
dit l’économie est perturbée par la guerre qui provoque une augmentation des
prix qui s’accompagne quant à elle d’un accroissement de la monnaie en
circulation. Pour résumer, l’inflation n’a pas de causes monétaires mais à de
causes réelles. C’est un raisonnement inverse à celui de l’école de
circulation, car toute hausse de M (masse monétaire) entraine une augmentation
de P (niveau général de prix) alors que pour l’école de la banque la causalité
est inversée car c’est l’augmentation de P qui s’accompagne d’une hausse de M.
L’école
de la circulation estime qu’on ne peut pas faire dépendre l’émission de monnaie
de la quantité d’or disponible car cette quantité dépend de facteurs qui ne
sont économiques et qui sont liés à l’extraction de l’or et ses aléas. L’émission
monétaire doit se faire en fonction des besoins de l’économie c’est-à-dire l’occasion
d’opérations de crédit (opérations d’escompte). C’est pour cette raison qu’on admet
que l’école de la banque a une conception endogène de l’offre de monnaie.
Il
y a donc chez l’école de la banque une véritable distinction entre monnaie et crédit.
Seuls l’or et les billets inconvertibles peuvent être considérés comme de la
monnaie. De ce fait les billets convertibles et ce qu’on appelle aujourd’hui
les dépôts en compte courant utilisés pour les paiements scripturaux ne sont
que des instruments de crédit. Ils ne sont émis que parce qu’il y a une demande
préalable des agents économiques c’est à dire une demande de crédit. Cette
demande est fonction de l’activité économique. Même si la monnaie qui circule
est uniquement métallique, il faut faire en sorte que le crédit puisse
s’adapter aux besoins de l’économie. Ceci implique que pour les tenants de la
Banking school il peut y avoir un contrôle monétaire mais celui doit être
adapté à chaque catégorie d’instruments. C’est le principe de banque.
Au final, l’adoption en
1844 du Bank Charter Act à l’instigation
de Sir Robert Peel (act de Peel) consacre des thèses de la Currency School. La Banque d’Angleterre
est désormais divisée en deux départements :
Ø Le
département de l’émission ;
Ø Le
département de la banque
Le premier applique le
« Currency Principle » et vérifie que les billets qu’il émet sont
couverts par les réserves d’or au-delà d’un montant de 14 millions de livres.
Lorsque ce plafond est atteint le second département intervient et interrompt
l’escompte.
Toutefois, l’opposition
d’hier entre Currency School et Banking School s’est toujours perpétuée,
puisqu’elle n’a pas été clairement résolue. Il s’agit toujours de savoir la
nature de la monnaie. La monnaie est-elle endogène ? exogène ? active ?
neutre ? La théorie keynésienne, en mettant la monnaie au cœur de
l’analyse du circuit de production, a largement contribué à développer une
vision active de la monnaie. M. Friedman, quant à lui, a réactivé la théorie
quantitative de la monnaie et insisté sur le risque inflationniste de tout
excès de création monétaire.
Ainsi, depuis la crise de
2008, les banques centrales ont mis en œuvre des stratégies très actives de
création monétaire très rapide par le biais de rachats d’actifs sur le marché.
C’est ce qu’on appelle le quantitative easing (QE). Cette politique monétaire vise
à stimuler le crédit et favoriser l’investissement productif et la consommation
des ménages. Certains économistes, tels que Patrick Artus et Marie-Paule
Virard, dans leur livre La folie des banques centrales, ont estimé que,
par ces pratiques, les autorités monétaires ont éloigné la création monétaire
de l’économie dite « réelle ».
M. Abdoulaye CAMARA
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