Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

Banque centrale et monnaie : que retenir des agrégats monétaires ?

L’opération de mesure de la quantité de monnaie existante dans un pays relève de la mission des autorités monétaires (Banque Centrale). D’abord, les autorités monétaires doivent veiller au bon fonctionnement de l’ensemble des paiements et surveiller le système bancaire et financier. Ensuite, elles doivent définir et mettre en œuvre la politique monétaire.

Dans la zone UEMOA, la BCEAO (Banque centrale) dispose un ensemble d'agrégats monétaires harmonisés : Ml, M2 et M3. Ces agrégats permettent de calculer la quantité de monnaie en circulation dans la zone UEMOA. La part de chaque pays de la zone est aussi calculée.

La construction des agrégats monétaires dans la zone UEMOA

On appelle agrégat monétaire au sens strict l’ensemble des moyens de paiement ou de règlement détenus par les agents non financiers d’un pays donné. Cette monnaie peut avoir deux formes : fudiciaire et scripturale. Cette définition ne tient pas compte d’autres actifs financiers qui, sans être parfaitement liquides et utilisables en tant que tels comme moyens de règlements, sont très facilement transformables en monnaie au sens strict. Mais vont donc être inclus dans des agrégats au sens large, en plus de la monnaie au sens strict, l’ensemble des actifs financiers qui sont facilement et rapidement convertibles en moyens de paiements.

Le principal problème conceptuel, dans la construction des agrégats monétaires, est celui de la frontière entre monnaie proprement dite et autres actifs financiers plus ou moins liquides. En pratique, la construction des agrégats utilise plusieurs critères. Tout d’abord un critère fonctionnel qui consiste à distinguer entre ce qui est un moyen de paiement proprement dit et ce qui ne l’est pas, et à classer ces seconds éléments selon un degré de liquidité décroissant. Mais ce critère ne suffit pas à ordonner la grande variété des actifs financiers intégrables dans les agrégats.

Un critère institutionnel est également utilisé : les actifs vont être distingués selon la nature de l’institution (banques, trésor, entreprises, etc.) qui les gère ou les émet. Ces deux critères sont appliqués dans beaucoup de pays, mais le critère de durée de l’actif est aussi adopté dans d’autres pays.

Enfin, beaucoup de pays adoptent le principe de l’emboitement, c’est-à-dire que tout agrégat est inclus dans un autre agrégat de rang supérieur jusqu’à un rang maximum.

Le contenu actuel des agrégats de la zone UEMOA

La masse monétaire (quantité de monnaie en circulation dans une économie) regroupe les actifs liquides, y compris les actifs négociables sans risque en capital. Ce regroupement s’effectue en 3 étapes, définissant chacune un agrégat incorporant des actifs de moins en moins liquides et dénommés respectivement M1, M2 et M3.

a°) L’agrégat M1, est le plus étroit. Il correspond aux disponibilités monétaires ou ensemble des « moyens de paiement » et comprend la monnaie divisionnaire (les pièces), la monnaie fiduciaire (les billets) et la monnaie scripturale (les dépôts à vue appelés comptes courants) détenues par les agents non financiers résidents dans la zone UEMOA.

b°) L’agrégat M2, appelé agrégat monétaire intermédiaire, comprend de l’agrégat M1, auquel s'ajoute les éléments intégrés dans (M2-M1), c'est-à- dire toutes les autres formes de dépôts. L'agrégat M2 regroupe donc l'ensemble des actifs monétaires disponibles à vue ou avec un préavis inférieur ou égal à trois mois, rémunérés ou non, ou à terme mais d'une durée inférieure à deux ans qui sont détenus par les agents non financiers résidents et qui sont les plus directement liés aux transactions sur biens et services.

c°) L’agrégat M3, agrégat monétaire au sens large, est constitué de M2 auquel s'ajoutent les éléments intégrés dans (M3-M2), c'est-à-dire des instruments négociables émis par les institutions financières monétaires. Il s'agit des pensions, des fonds de placement commun, des titres de créance d'une durée initiale inférieure  à deux ans et des titres du marché monétaire. L'agrégat M3 est donc constitué en ajoutant à l'agrégat M2 les placements à court ou moyen terme pour lesquels la liquidité avant le terme du placement fait courir un risque de perte sur le montant nominal du placement qui est nul (cas des bons non négociables par exemple) ou probablement limité (les titres de créances négociables sur le marché monétaire etc. et les fonds de placement commun).

M. Abdoulaye CAMARA

Série : Economie en question (N°15)

Pourquoi la demande des biens et services est généralement une fonction décroissante de leurs prix ?

S’il y a une question en science économique dont la réponse semble être triviale même pour les économistes « apprentis », c’est celle relative à l’allure de la courbe de la demande des biens et services. La réponse qui est systématiquement donnée fait référence à la loi de la demande (une loi qui établit une relation inverse entre la quantité demandée des biens ou des services et leurs niveaux de prix).

La réponse devient moins systématique, même parmi les économistes de « métiers » face à la question tentant maintenant à déterminer le fondement de la loi de la demande !

Si la loi de la demande peut être assimilée au plan, le mécanisme qui la fonde peut être assimilée à l’arrière-plan pour reprendre l’expression utilisée par P. A. Samuelson dans son livre L’Economique (Tome 1).

Le triomphe du marginalisme à partir de la fin du 19ème siècle a imposé le concept de l’utilité totale et son corollaire logique le concept de l’utilité marginale comme les principes déclencheurs de la demande des biens et des services. Suivant les préceptes de cette école de pensée, au fur et à mesure que la consommation d’un bien ou d’un service augmente (suite à une disponibilité accrue dudit bien / service), les quantités successivement consommées apportent des niveaux d’utilité supplémentaires de plus en plus faibles. Donc, c’est la décroissance de l’utilité marginale qui fonde la loi de la demande. Comment ?

Comme les économistes aiment très souvent à le dire, l’économie, c’est la subtilité. Si l’utilité totale obtenue à la suite de la consommation d’un bien ou d’un service représente la valeur de ce bien ou de ce service pour le consommateur ; et cette utilité étant obtenue par le cumul de l’utilité marginale qui est décroissante au fur et à mesure que la quantité consommée augmente. Partant d’une telle conception, il est logique d’admettre que plus la quantité disponible d’un bien ou d’un service augmente, moins ce bien ou ce service serait désiré par les consommateurs. Dans une telle perspective, le consommateur ne serait plus prêt à mettre autant de valeur dans ledit bien / service quand sa quantité disponible devient importante.

La présentation faite supra conduit à conclure que l’élément fondateur de la loi de la demande est le principe de la décroissance de l’utilité marginale qui est en arrière-plan de la fameuse loi de la demande. Ce qui permet de soutenir que la fonction de la demande va mettre en relation en ce moment, les quantités disponibles des biens et services et les différents niveau d’utilités supplémentaires (utilités marginales) que chaque unité consommée du bien ou du service génère. En estimant monétairement chaque niveau d’utilité marginale par le prix, il est possible dans ce cas, de mettre en relation les quantités demandées d’un bien / service et les niveaux de prix. Ce qui conduit à l’établissement des fonctions de demande régulières ou typiques.

Si c’est la décroissance de l’utilité marginale qui fonde la loi de la demande et conduit par voie de conséquence aux fonctions de demande typiques, comment expliquer alors l’existence des fonctions de demande atypiques ?

Madou CISSE

FSEG

 Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

La monnaie (3ème et dernière partie) : approche conceptuelle de la monnaie

Apres les deux premières parties consacrées aux formes et aux fonctions que remplit la monnaie, cette troisième partie va aborder l’approche conceptuelle que l’analyse économique a proposée de la monnaie. L’approche conceptuelle recouvre trois conceptions de la monnaie qui en font soit un bien, soit un actif, soit une institution.

La conception de la monnaie comme un bien

La monnaie est-elle un bien ? Ainsi, une série de questions est évoquée sur le type de biens auquel la monnaie doit être rattachée. S’agit-il d’un bien de consommation ou d’un bien de production ? S’agit-il d’un bien privé ou d’un bien public ? Des réponses apportées à ces questions dépendent de l’appréhension du phénomène monétaire

-          Bien de consommation ou bien de production

Il appartient à ces deux économistes néo-classiques de renoms M. Friedman et Don Patinkin d’avoir adopté et développé cette conception. La monnaie n’est pas directement confondue avec ces deux types de biens mais ce sont les services rendus par sa détention qui sont formellement assimilées aux services rendus par les biens de consommation ou par les biens de production. En outre, il ne s’agit pas de choisir entre l’une ou l’autre de ces assimilations, mais de retenir le bien de consommation pour les ménages, et le bien de production pour les entreprises.

-          Bien privé ou bien public

La monnaie revêt à la fois les caractéristiques d'un bien privé et d'un bien public. La monnaie est un bien privé au sens où elle est fait l'objet d'une offre et d'une demande et que sa détention a un prix (sinon un coût d'opportunité : elle coûte ce qu'elle ne rapporte pas, à savoir le taux d'intérêt qui rémunère d'autres actifs moins liquides et plus risqués). Mais elle est aussi un bien public ou collectif, au sens où sa disponibilité, sa circulation et la préservation de sa valeur sont indispensables au bon fonctionnement des échanges et donc à celui de l'économie dans son ensemble. Son usage relève ainsi de l'intérêt général. Cette nature collective de la monnaie justifie l'attention que lui portent les pouvoirs publics en réglementant les acteurs qui la créent : banque centrale (la banque de premier rang) et banques de second rang (ensemble des banques commerciales qui gèrent des dépôts et octroient des crédits).La monnaie, détenue par chacun en tant que bien privé, a les caractéristiques d'un bien exclusif et rival : la quantité de monnaie que je détiens m'appartient exclusivement, c'est une partie infime de la quantité totale de monnaie en circulation (appelée masse monétaire) qui, tant que je ne la dépense pas, ne pourra pas être utilisée par quelqu'un d'autre…

La conception de la monnaie comme actif

« La monnaie détenue par un agent économique est un élément de sa richesse ». Ainsi sont fournies les raisons qui permettent de considérer la monnaie comme un actif. La monnaie est un actif parce qu’elle remplit la fonction de réserve de valeur, la monnaie entre dans le patrimoine des agents aux cotés des actifs financiers et d’actifs monétaires.

Pourquoi la monnaie, plus précisément l’actif monétaire se distingue des autres actifs présents dans le patrimoine ?

L’actif le plus liquide : la monnaie se distingue parce qu’elle ne représente pas de risque en principe. Sa valeur nominale est stable : absence de risque de capital. Il est immédiatement disponible pour le règlement des transactions : absence de risque d’illiquidité. « La monnaie est la liquidité par excellence ». Le concept de monnaie est ainsi remplacé par celui de liquidité. On déplace alors le problème de la définition de la monnaie vers le problème de la définition de la liquidité et les actifs peuvent être classés suivant leur degré de liquidité.

L’actif qui ne rapporte pas d’intérêt : Sa distinction des autres actifs se fait par le non-paiement d’un intérêt au débiteur. Pour J Hicks ce non-rendement est dû à une structure monopolistique ou oligopolistique de l’émission de la monnaie. Cependant la monnaie peut être détenue pour elle-même à cause des coûts de transactions de la quasi monétaire, du taux d’intérêt (arbitrage), coût d’opportunité (subjectivistes).

Les propriétés de la monnaie qui en font l’actif le plus liquide, expliquent pourquoi les agents cherchent à détenir une partie de leur patrimoine sous forme de monnaie et c’est en vue d’expliquer ce comportement que des économistes comme Keynes ont élaboré différentes théories. Keynes l’intitule la théorie de la préférence pour la liquidité.

La conception de la monnaie comme une institution

Menger dans son analyse sur l’émergence de la monnaie va privilégier les caractéristiques marchandes des biens et leur échangeabilité pour expliquer leur aptitude à être sélectionnés comme moyens d’échange, à leurs caractéristiques physiques. Il explique cette émergence comme celle d’une institution sociale organique résultant de l’action humaine, sans être pour autant le produit d’un dessein spécifique.

Pour Menger, comme pour Wicksell, la nature décentralisée des échanges exige de procéder à des échanges indirects et donc à utiliser des intermédiaires d’échange. Au fur et à mesure de l’expansion des marchés, les intermédiaires les plus avantageux sont ceux dont les propriétés marchandes sont les plus grandes. Leur échangeabilité fonde leur acceptabilité en tant que moyen d’échange, et la généralisation de cette acceptabilité résulte d’un processus d’imitation des individus. Les moyens d’échange sont étroitement liés au fonctionnement et au développement des marchés.

Institution marchande par essence, la monnaie n’a pas été créée par décret. La monnaie est constituée « indépendamment de toute convention et de toute loi », les agents sont conduits par leur propre intérêt, sans accord préalable, sans contrainte législative, et même sans référence à l’intérêt général à adopter l’institution monétaire qui facilite, au sein des économies de marché, la coordination des actions et interactions individuelles. On retrouve ainsi le principe de main invisible d’Adam Smith, et l’ordre spontané d’Hayek.

M. Abdoulaye CAMARA

 Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

La monnaie (2ème partie) : ses fonctions

Pour définir la monnaie, les économistes s’appuient plus souvent sur une définition fonctionnelle, c’est-à-dire les différentes fonctions qu’elle remplit. L’essence de la monnaie, dans la tradition aristotélicienne, est appréhendée par les trois fonctions

La monnaie comme une unité de compte : est celui de la monnaie comme instrument de mesure de la valeur relative de biens hétérogènes. Prenons l’exemple d’une économie composée de trois biens : tomates, pain et ordinateurs. Dans une telle économie, les prix relatifs correspondent au prix des tomates en termes de pain ; au prix des tomates en termes d’ordinateurs ; au prix du pain en termes d’ordinateurs. Il y a donc trois prix relatifs. Si nous avions étudié une économie avec quatre biens, nous aurions obtenu six prix relatifs, etc. Le nombre de prix relatifs se calcule selon la formule : n (n-1) / 2 (où n est le nombre de produits échangeables).

On voit donc que plus il y a de biens dans l’économie, plus il y a de prix relatifs. D’où l’utilité d’obtenir un dénominateur commun qu’est la monnaie. La monnaie permet en effet d’exprimer les prix des biens avec une seule et même unité (par exemple en euro, en dollar, etc.).

La monnaie comme un Intermédiaire des échanges : La monnaie permet de pallier aux inconvénients du troc en intervenant comme moyen de règlement accepté par tous. Elle permet non seulement d’acquérir n’importe quel bien ou service, mais également de régler n’importe quelle dette. On dit que la monnaie a un pouvoir libératoire.

1.     Les inconvénients du troc

Est qualifié de troc, lorsque les transactions se font en nature, les biens s’échangeant contre les biens. Le système de troc le plus primitif est celui où les agents désireux de procéder à un échange n’ont ni lieu précis, ni date connue d’avance, ni partenaire privilégié pour effectuer leurs transactions. Par ses inconvénients, un tel système peut servir de référence pour comprendre l’apparition d’autres d’organisation des échanges. Ces inconvénients comportent des coûts liés aux échanges.

Les couts du troc : deux types de couts liés aux échanges peuvent être distingués :

-         Les couts de transaction correspondent aux couts engendrés directement par le déplacement de l’individu qui souhaite réaliser un échange ainsi que les couts liés au temps et aux efforts requis pour réaliser la double coïncidence entre les désirs d’échange.

-         Le cout d’information : pour que la transaction puisse avoir lieu, il faut une double coïncidence de volonté, c’est-à-dire l’agent désireux d’échangé par exemple du bien A contre du bien B, devra tout d’abord trouver un autre agent qui accepte, lui, d’échanger du bien B contre du bien A.

2.     La réduction des inconvénients du troc :

Le système de troc « primitif », s’il a existé dans des sociétés closes ou les agents et les biens sont en nombre limité. Dans des économies plus complexes, la réduction des inconvénients du troc devient essentielle pour atteindre l’équilibre des échanges. Cette réduction a été assurée par des innovations dans les techniques d’échange dont les deux principales sont :

-         La place d’échange : pour faciliter la rencontre est de créer une place d’échange en un lieu déterminé, ouverte à certaines dates précises, et sur laquelle les agents peuvent se retrouver pour échanger leurs. Ce marché au sens courant du terme, comme les souks des pays arabes ou les foires u Moyen Age, réduit les couts d’information du troc, sans les supprimer totalement.

-         La maison de compensation : la création d’une maison de compensation, d’un organisme de « clearing », permet de desserrer les contraintes du troc. Elle introduit une sorte d’écran entre les agents désireux de modifier leur dotation initiale de biens. Ces agents n’échangent plus directement entre eux, mais passent par l’intermédiaire que constitue la maison de compensation. Chacun y dispose ses biens à échanger, et peut obtenir pour une valeur équivalente des biens disposés par les autres.

La monnaie comme une réserve de valeur : après les fonctions d’évaluation et de transaction, la troisième fonction généralement attribuée à la monnaie est une conservation des valeurs. Enoncer que la monnaie remplit la fonction de réserve de valeur correspond en fait à deux acceptions différentes :

-         Reserve de valeur au sens fort : la monnaie est une réserve de valeur lorsqu’elle est conservée, concurremment aux autres biens capitaux pour constituer le portefeuille ou le patrimoine des agents.

-         Reserve de valeur au sens faible : lorsqu’elle est détenue temporairement, non comme élément constitutif d’un patrimoine, mais en tant que « moyen d’échange futur ».

Au sens faible comme au sens fort, l’aspect réserve de valeur de l’intermédiaire général des échanges supposent que la monnaie soit détenue par les agents et que soient donc constituées des encaisses monétaires.

M. Abdoulaye CAMARA

Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC

La monnaie (1ère partie): les formes de monnaie 

Contrairement aux lois et aux règlements, la monnaie n’a pas été instituée par aucun comité ou groupe de personnes de manière volontaire. Elle est le fruit d’une imitation. En d’autres termes, la monnaie est le résultat d’un ordre spontané (Kosmos) pour reprendre une expression popularisée par Friedrich August von Hayek (1899-1992) économiste et philosophe.

Lorsque l’on évoque la monnaie en économie, on pense immédiatement aux pièces et aux billets dont on se sert dans la vie de tous les jours. Toutefois, comme nous le verrons, la monnaie est bien plus complexe. Mais avant d’entrer dans les détails des descriptions de la monnaie, il convient, ne serait-ce que pour savoir de quoi l’on parle, de répondre à la question suivante : qu’est-ce que la monnaie ?

La réponse à la précédente question ne peut être immédiate et précise car il existe plusieurs façons d’appréhender la monnaie. La diversité des visions permet de rendre compte de l’aspect multidimensionnel de l’instrument monétaire. Aussi, nous proposons de cerner, tant bien que mal, dans une série de publications dont la première est celle-ci la nature de la monnaie en développant trois approches : les formes de monnaie, les fonctions d’une monnaie et enfin la dimension conceptuelle de la monnaie.

Dans la présente contribution, nous faisons un focus sur les principales formes de monnaie à travers l’évolution histoire.

Des paléomonnaies à la monnaie virtuelle (le bitcoin)

Traditionnellement, la naissance de la monnaie, dans sa forme métallique, est attribuée à la Lydie (Anatolie) au début du VIIè siècle avant Jésus Christ. C’est à cette date que l’on voit apparaitre des pièces d’electrum (mélange or et argent). Mais des formes métalliques de monnaie ont bien existé antérieurement, ce fut le cas de la Chine dont la découverte semble remonter à plus de 1000 ans avant Jésus Christ.

Dans le code d’Hammurabi, on en trouve aussi des traces à plus de 1700 ans avant Jésus Christ. On ne peut donc dater la naissance de la monnaie et considérer, comme pour d’autres inventions, que sa diffusion ait répondu continu et progressif.

Par ailleurs, la monnaie initialement utilisée n’est pas un objet particulier spécifiquement créé pour sa fonction monétaire mais plutôt un objet, notamment une marchandise déjà connue, auquel on va attribuer plus ou moins le rôle de la monnaie. Il s’agit d’un objet accepté par tout le monde comme contrepartie dans les échanges. Si les métaux précieux (or, argent) sont souvent utilisés comme monnaie (c’est le cas de la Grèce antique et chez les Romains) bien d’autres objets (coquillage, barre de sel, épi d’orge, tête de betail…) ont joué ce rôle. On remarquera qu’il s’agissait toujours d’une marchandise, elle-même objet d’échange, d’où le nom de monnaie marchandise.

La forme métallique est la plus fréquente parce qu’elle présente simultanément les caractéristiques suivantes : elle est inaltérable ; facilement divisible ; enfin les métaux précieux sont rares et recherchés.

La monnaie métallique, la forme idéale de la monnaie marchandise, elle a connu plusieurs techniques d’utilisation.

-         la monnaie pesée : le règlement des transactions s’effectue en pesant des lingots d’or et/ou argent. Dans l’empire romain, ce rôle de porteur de balance était tenu par le libripens qui pesait la quantité d’or convenue par les co-contractants. En Chine, en Egypte ancienne, comme dans l’antiquité, existaient des peseurs chargés de garantir le poids de métal correspondant à la valeur de la transaction.

-         la monnaie comptée : les lingots étaient coupés en morceaux de poids prédéfinis, fourré des métaux non précieux en boules et disques aplaties plus commodes et plus sûrs.

-         la monnaie frappée : des autorités, religieuses ou politiques, vont attester, par le seau ou le signe qu’elles frapperont sur les pièces, la valeur de celle-ci (titre, poids).

Un tournant majeur : les monnaies fiduciaire, scripturale et électronique

En dépit du rôle considérable de la monnaie métallique, d’autres formes de monnaie cœxistaient et étaient utilisées comme moyen de paiement : la monnaie fiduciaire (les billets) et la monnaie scripturale (les comptes courant).

-         Monnaie fiduciaire (en latin fudicia signifie confiance) composée des billets de banque et des pièces de monnaie appelées monnaie divisionnaire. La monnaie fiduciaire est donc celle dont la valeur repose sur la confiance qu’ont les individus dans les institutions qui émettent.

-         La monnaie scripturale: Son nom vient du latin « scriptura » qui signifie écriture. Elle est créée par un simple jeu d’écritures dans les comptes de dépôts à vue. La monnaie scripturale s’exprime donc sous la forme d’un jeu d’écritures (crédit ou débit d’un compte bancaire courant) entre deux individus ayant un compte bancaire au sein d’une même banque ou entre deux individus détenant des comptes bancaires dans deux banques distinctes.

-         Monnaie électronique ou monétique: La monnaie électronique peut être définie comme l’ensemble des techniques informatiques, magnétiques, électroniques et télématiques permettant l’échange de fonds sans support de papier. Il s’agit d’une nouvelle façon de gérer la monnaie scripturale. Actuellement, avec le développement de la programmation informatique, les différentes banques centrales commencent à lancer des monnaies numériques de banque centrale (MNBC). L’objectif visé par une telle initiative de la part des banques centrales est de ne pas perdre de terrain face aux nouvelles monnaies numériques qui essaiment la toile mondiale. Dont la principale est le bitcoin.

M. Abdoulaye CAMARA

 Situation socio-politique du Mali : un dilemme du prisonnier à ciel ouvert

L’existence d’interactions entre les agents économiques est une réalité socio-économique qui a été intégrée dans les analyses économiques depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. A la suite des travaux des premiers théoriciens des jeux, – Oskar Morgenstern (1902-1977) et John von Neumann (1903-1957) – les sciences économique et politique se sont véritablement saisies de cette donne des interactions stratégiques.

Interactions le fondement des jeux

La prise en compte des interactions stratégiques appréhende toutes les situations de la vie courante comme des jeux. Qui parle de jeu, parle, en plus des règles du jeu de trois (03) autres éléments indispensables à tout jeu, à savoir : les joueurs ou participants, les stratégies ou actions des joueurs et leurs paiements ou résultats à la fin du jeu (positifs ou négatifs). C’est sur une telle base que les relations les plus sérieuses telles que les conquêtes géopolitiques, les joutes politiques pour accéder au pouvoir, la concurrence entre entreprises etc., à celles qui sont puériles comme draguer une fille sont toujours assimilées à des jeux. Toutes ces situations ont en commun les interactions comme fondement. Ce qui laisse penser que le résultat obtenu par un participant à un jeu précis n’est point lié exclusivement à ses efforts seuls. Mais son résultat dépend aussi du ou des comportements adoptés par les autres participants contre lesquels il joue.

La présence des interactions conduit à considérer la terre, pour ne pas dire l’univers comme un grand échiquier. Sur cet échiquier, au niveau international prennent place des jeux entre nations pour le contrôle des ressources naturelles et à l’intérieur de chaque nation, des jeux peuvent opposer des groupes (partis politiques, entreprises, syndicats, associations etc.) de centres d’intérêt différents pour le contrôle du pouvoir et des ressources internes.

Jeux non coopératifs vs jeux coopératifs

En termes de catégorisation, les jeux peuvent être coopératifs ou non coopératifs. Quand les joueurs se concertent et développent leurs stratégies respectives de manière collégiale, le jeu devient coopératif. Des exemples d’organisations au sein desquelles les jeux coopératifs prennent place sont : à l’échelle nationale La Synergie des enseignants, à l’échelle sous-régionale l’AES, l’UEMOA, la CEDEAO et au plan international l’UA, l’ONU et sur un plan économique je retiens l’OPEP+. Dans toutes ces organisations, les joueurs se cartellisent en vue d’atteindre des objectifs communs par le biais de jeux dits coopératifs. Par contre, quand les participants de manière unilatérale prennent leurs décisions respectives sans aucune consultation des autres joueurs, le jeu devient non coopératif. Le fonctionnement des marchés concurrentiels est basé exclusivement sur ce type de jeu. Et il peut arriver aussi qu’au plan national, la situation politique interne d’une nation soit régie par des jeux non coopératifs. Dans une telle éventualité, le parti ou le groupe au pouvoir et l’opposition prennent leurs décisions respectives sans consultation préalable de l’autre camp. Au plan géopolitique aussi, les jeux peuvent devenir non coopératifs entre différentes nations pour divers mobiles.

Heureusement que les jeux conduisent généralement à des équilibres stables. C’est-à-dire des situations dans lesquelles chaque participant obtient un gain qu’il ne peut améliorer en adoptant de manière unilatérale une nouvelle action. Et la quintessence de l’équilibre est mise en évidence à travers l’équilibre de Nash – de John Forbes Nash (1928-2015). Avec un tel équilibre, chaque joueur joue sa meilleure stratégie comme réponse à celles jouées par ses adversaires. Ce type d’équilibre étant passé sous les radars des pères fondateurs de la théorie de jeux a suscité tellement de curiosité ; qu’en 1950 A Tucker avec de deux de ses collègues a mis au point un jeu fictif pour tester la robustesse dudit équilibre. Ce jeu nommé le dilemme du prisonnier par les auteurs est devenu par la suite célèbre à cause de ses multiples applications dans la vie réelle.

Le dilemme du prisonnier qui relève de la catégorie des jeux non coopératifs, est basé sur deux principes (1) chaque joueur adopte la stratégie qui lui est favorable au détriment des autres joueurs et (2) en adoptant un tel comportement l’équilibre établi dans le jeu devient sous optimal par rapport à un équilibre pouvant être obtenu à la suite d’une coopération entre les joueurs dans le jeu. Même l’introduction de la dynamique dans ce type de jeu n’affecte pas fondamentalement la structure de l’équilibre sous optimal surtout quand l’horizon temporel à partir duquel le jeu doit prendre fin n’est pas connu d’avance.

Le dilemme du prisonnier au Mali

Tout observateur averti de la situation socio-politique actuelle du Mali ne peut qu’être frappé par les similitudes qui existent entre cette situation et le jeu du dilemme du prisonnier.

En partant des règles du jeu fixées par la Constitution du 22 juillet 2023 et la Charte de la Transition ; il est possible de constater la présence de trois (03) principaux joueurs évoluant sur l’échiquier socio-politique malien. Les détenteurs actuels des principaux leviers du pouvoir et leurs divers soutiens (le 1er joueur), une « opposition civile » qui comprend des partis politiques, les exilés politiques et économiques, les prisonniers « politiques » et « d’opinion » (le 2ème joueur) et les groupes armés (rebelles, terroristes et autres) formant le 3ème joueur. Ces derniers ne peuvent être intégrés à aucun des deux autres camps ; car ils ne sont pas en odeur de sainteté avec aucun des deux précédents joueurs. Histoire d’appuyer davantage la thèse de la similitude entre la situation socio-politique du Mali et le dilemme de prisonnier, je constate que chacun des trois (03) joueurs joue de manière unilatérale. Donc, le jeu est réellement non coopératif. Ce qui m’amène finalement à dire que les trois joueurs participent à un dilemme du prisonnier à horizon temporel « infini » ; car est malin celui qui est capable de préciser la fin de ce jeu !

Comme la théorie le prévoit, les joueurs en adoptant unilatéralement des comportements qui leur sont favorables, cela conduit à des résultats sous optimaux pour chacun des participants par rapport à la situation de coopération. Je trouve que ce résultat théorique est corroboré par la situation socio-politique actuelle du Mali. Une situation caractérisée au plan économique par un accroissement de l’incertitude dans les activités économiques, ce qui conduit à une contraction de la production réelle qui est passée de 4,4% en 2023 à une estimation pour 2024 fixée à 3,8% (https://www.imf.org/fr/News/Articles/2024/04/30/pr-24131-mali-agreement-on-rapid-credit-facility-and-completes-2024-article-iv-mission ). L’équilibre sous optimal de ce jeu ne se limite pas aux indicateurs économiques seuls. C’est toute la vie sociale qui est affectée. Alors que faire ?

Je pense que, tant que la structure du jeu demeurera intacte (jeu non coopératif et de type dilemme du prisonnier), l’équilibre demeurait sous optimal. Dans ce cas, c’est la structure du jeu auquel participent les trois (03) joueurs qu’il faut changer. Dit autrement, les joueurs doivent abandonner l’unilatéralisme dans le développement de leurs stratégies respectives et opter pour la coopération. Comme prévu par les principes de la théorie du dilemme du prisonnier, l’équilibre issu d’une telle éventuelle coopération entre les joueurs sera supérieur à celui que le pays enregistre actuellement.

Ceci étant posé, maintenant, comment instaurer la coopération entre les joueurs ? Pour répondre à cette interrogation, je laisse la parole à Montesquieu (1689-1755) « il ne faut pas toujours tellement épuiser un sujet, qu'on ne laisse rien à faire au lecteur. Il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire penser. »

Madou CISSE

FSEG

 Série : Economie en question (N°14)

Interventionnisme et marchés, attention il y a danger !

Le nouveau keynésien P. KRUGMAN soutient que « les marchés sont de bons organisateurs des activités économiques » (Krugman, P., & Wells, R. 2008). Cette assertion de l’économiste américain s’inscrit dans le sillage de la principale doxa de l’économie mainstream.

Une structure de marché irréaliste mais très utile

L’orthodoxie économique défend une philosophie du « moins Etat » dans les activités économiques. Elle fait pleinement confiance aux marchés (des biens et services, du travail et du capital) pour répondre aux questions suivantes : que produire ? comment produire ? et pour qui produire ? Heureusement que cette confiance de l’orthodoxie en la capacité des marchés à allouer de manière efficace les ressources de l’économie est loin d’être simplement dogmatique !

Le point de départ de l’orthodoxie pour défendre sa conception non interventionniste des autorités dans le fonctionnement des activités économiques est la théorie de la concurrence pure et parfaite (CPP). Même si le principal défaut de ce type d’organisation de marché est son irréalisme, il a toutefois le mérite de mettre en évidence le fonctionnement optimal que devrait atteindre n’importe quelle structure de marché pour assoir les vertus de l’efficacité économique. Partant de ce constat, l’économie mainstream accepte que dans l’économie réelle, tout marché qui coche approximativement toutes les cases conduisant à une structure de CPP ne présente pas suffisamment de causes de défaillance de marché (lire le blog à l’adresse suivante : https://cequejepensemali.blogspot.com/2024/08/serie-economie-en-question-n6-les.html pour revenir sur les quatre principales causes de défaillance que j’ai déjà traitées) pouvant justifier une intervention extérieure dans son fonctionnement.

Toute structure de marché qui enregistre du côté de l’offre beaucoup d’offreurs, qui peuvent y entrer sans être empêchés ou y sortir sans subir de coûts irrécupérables importants et qu’en plus du côté de la demande, les consommateurs considèrent leurs produits respectifs comme substituables ; tout ceci s’exécutant dans un environnement dans lequel chaque participant (offreurs et demandeurs) avant d’agir connaît au préalable toutes les caractéristiques des produits et des technologies (prix, qualité, localisation etc.) ne doit point faire d’intervention extérieure dans son fonctionnement habituel. Pourquoi ?

La principale raison de la non intervention prônée par les orthodoxes réside dans le fait qu’avec ce type de structure de marché (proche de la CPP) l’écart entre les prix fixés et les minimums des coûts économiques unitaires de production est quasi nul. Dans ce cas, toute intervention extérieure en termes de régulation tarifaire ou de rationnement sur ces structures de marché ne fera qu’exacerber cet écart soit en faveur des demandeurs (par des prix plafonds) soit en faveurs des offreurs (par des prix planchers). Et dans toutes les éventualités, le résultat final se traduira par des pertes sèches – prix élevés et quantités réduites – par rapport au fonctionnement normal du marché qui est celui de la concurrence non régulée.

Par contre, l’orthodoxie n’est pas contre une intervention extérieure dans tous les autres cas de concurrence imparfaite (monopole, oligopole à produits homogènes, oligopole à produits hétérogènes et la concurrence monopolistique). La concurrence imparfaite est toujours le résultat d’au moins une défaillance de marché. Et dans un tel contexte, l’écart entre les prix de marché et les minima de coûts économiques unitaires est très important. C’est pour cette raison que l’interventionnisme extérieur peut réduire significativement cet écart à condition qu’il soit bien mené.

Une régulation pour rien !

Au Mali, il n’est pas rare que les autorités interviennent sur le marché des biens et services en fixant des prix plafonds pour certains produits comme le sucre (local et importé), l’huile (locale, importée), la farine de blé et l’aliment bétail comme ce fut le cas en avril 2022 par exemple.

Une analyse des interventions des autorités maliennes à l’aune de la conception faite par l’orthodoxie économique du fonctionnement des marchés permet de comprendre que ces mesures de prix plafonds ne peuvent être concluantes sur les marchés de détails des produits ciblés. Bien au contraire, elles détériorent le fonctionnement de ces marchés (hausse des prix et pénurie) comme prévu par la théorie orthodoxe présentée supra ; pourquoi ?

Une fine observation permet de noter que les marchés de détails ciblés par les autorités cochent tous, toutes les principales caractéristiques de la structure de marché concurrentielle côté offre et côté demande. Donc par voie de conséquence, toute intervention sur ces marchés ne fera que détériorer davantage l’écart déjà existant entre prix et minima des coûts économiques unitaires de production. Toute la teneur des échecs de l’intervention des autorités sur ces marchés de détails est résumée dans ces quelques lignes « Les Maliens sont majoritairement déçus par les autorités. Ils en veulent singulièrement au ministère du Commerce qui semble avoir renoncé à ses sorties, parfois médiatiques, pour contrôler les prix des denrées de première nécessité. » publiées ce 22 novembre 2022 sur maliweb.net à l’adresse suivante : https://www.maliweb.net/societe/commerce-a-quoi-sert-le-controle-des-prix-2999963.html .

Bah oui, les maliens et maliennes ne peuvent qu’être déçus ! Car l’intervention la plus inutile est celle qui se fait sur les marchés concurrentiels. Elle envenime toujours les conditions initialement présentes par des hausse de prix et des pénuries ! Bref, la principale « utilité » des interventions des autorités maliennes sur les marchés de détails des produits ciblés est le gaspillage des ressources économiques au sens propres.

Comme le prévoient les préceptes orthodoxes, l’intervention des autorités est requise et même encouragée sur les structures de marché de concurrence imparfaite. Dans cette perspective, comme les marchés de détails des produits ou marchés aval ciblés par les autorités maliennes sont concurrentiels, l’attention doit se porter exclusivement sur les marchés de gros ou marché amont. Et heureusement, toutes les observations soutiennent que ce segment est oligopolistique (donc concurrence imparfaite). Ceci étant, toujours en phase avec les enseignements de l’orthodoxie économique, l’intervention des autorités maliennes ne peut qu’être souhaitée et même encouragée sur ce segment de marché. En utilisant les bons outils sur ce marché amont, les autorités peuvent atteindre leur principal objectif consistant à réduire l’écart entre les prix de marché et les minima des coûts économiques unitaires des produits ciblés et cela surtout pendant les périodes de forte demande comme durant le mois de ramadan.

Madou CISSE

FSEG

 Série : Economie en question (N°13)

Coûts comptables ou coûts économiques ?

La concrétisation des activités économiques de consommation et de production exige des dépenses monétaires qui sont appelées charges ou coûts. Ces dépenses mesurées en monnaie sont la principale source des calculs comptables dont la justification passe par l’établissement de divers justificatifs dont des factures.

Les économistes aussi utilisent le même concept de coûts ; sauf qu’en économie, ce concept revêt le plus souvent des dimensions beaucoup plus larges que la seule dimension monétaire mise en avant chez les comptables. C’est pour cette raison que les économistes utilisent le concept de coûts économiques dans le but d’établir une différence nette entre leur acception du concept de coûts et celle des comptables qui s’appuient sur les coûts comptables.

Illustrons nos propos dans le but d’établir un net distinguo entre les deux acceptions du concept « coûts ». Supposons une entreprise A qui offre un bien en supportant des dépenses de montant X pour le fonctionnement normal mensuel de son processus de production. En plus, l’entreprise continue d’utiliser une camionnette de livraison pour laquelle elle ne peut plus faire des provisions pour amortissement (car déjà amortie au plan comptable). Mais les frais de location d’une camionnette équivalente sur le marché font Y.

A partir de l’illustration présentée supra, nous pouvons faire les remarques suivantes : le montant total dépensé par l’entreprise A pour couvrir son fonctionnement mensuel est nommé par les économistes de coûts explicites ; l’entreprise A paie réellement ces dépenses en question en émettant des chèques par exemple. Tandis que pour le montant Y, l’entreprise ne paie pas effectivement, c’est-à-dire elle n’émet pas de chèque. Mais pourtant ce coût existe pour les économistes. C’est pour cela que les économistes l’intègrent dans leurs calculs des coûts de l’entreprise A. Et il porte le nom de coûts implicites. Même s’il n’exige pas de sortie réelle d’argent, ce type de coûts existe. Donc, il faut l’intégrer dans les coûts de l’entreprise A. Le coût économique de l’entreprise A se compose d’un point de vue économique de deux (02) coûts, à savoir les coûts explicites X et les coûts implicites Y. Pendant que les comptables se limiteront exclusivement aux coûts explicites X seuls dans la présente illustration.

Les gains que l’entreprise A ne peut plus engranger pour le fait que l’utilisation dans le fonctionnement mensuel du montant X la prive d’une utilisation alternative dudit montant et combinés aux gains qu’elle devrait aussi avoir dans une utilisation alternative de la camionnette amortie sont nommés coûts d’opportunité.

Si les comptables se limitent aux coûts explicites, les économistes dans leurs analyses vont au-delà des coûts explicites en prenant en compte aussi les coûts implicites s’ils existent. Cela crée une différence majeure entre le concept de coûts selon que l’on soit comptable ou économiste. En plus des coûts explicites et implicites, les économistes tiennent comptent aussi d’un troisième type de coûts à savoir les coûts d’opportunité qui ne doivent être en aucun cas confondus avec les deux autres.

Madou CISSE

FSEG

 

Série : Economie en question (N°12)

Entre vendeurs et acheteurs qui supportent réellement le poids des taxes (la TVA par exemple) ?

Le dictionnaire Larousse définit la taxe comme « [un] Prélèvement à caractère fiscal, destiné à alimenter la trésorerie de l'État, d'une collectivité locale ou d'un établissement public administratif en contrepartie d'un service rendu aux administrés. »

Dans ce blog, je réponds à la question suivante : entre vendeurs et consommateurs qui supportent réellement le poids des taxes appelé dans le jargon financier l’incidence de la taxe ?

La réponse à cette question me semble importante, car elle dissipe des malentendus quant à l’incidence réelle des taxes. Il n’est pas rare d’entendre très souvent que c’est le consommateur final qui supporte l’incidence ou le poids des taxes, spécifiquement la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA).

J’utilise la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comme base de démonstration dans le présent papier. Ce choix est motivé par le fait que cette taxe au Mali a représenté en 2021 la principale source des recettes fiscales avec 28% de celles-ci très loin devant les impôts sur les bénéfices des sociétés estimés à la même période à 16% des recettes fiscales. https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/topics/policy-sub-issues/recettes-fiscales-mondiales/statistiques-recettes-publiques-afrique-mali.pdf .

Beaucoup de personnes, parmi elles des « professionnels » admettent que ce sont les consommateurs finals qui supportent l’incidence de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Effectivement, quand un consommateur achète par exemple un forfait Internet, il le paie toute taxe comprise (TTC). Donc, le montant payé par le consommateur inclut toutes les taxes dont la TVA. Et pour régler son achat de forfait Internet, le consommateur met effectivement la main à la poche. C’est cet acte effectué par le consommateur qui pousse certains observateurs à soutenir que c’est le consommateur final qui supporte toute la totalité de la TVA. Est-ce vrai que ce sont les consommateurs finals qui supportent tout le poids de la TVA ? Le lecteur de ce blog ne doit pas surtout confondre payer une taxe et supporter le poids d’une taxe (incidence). Oui le consommateur paie toute l’entièreté de la taxe facturée par le vendeur du forfait Internet. Mais est-ce que cela implique qu’il supporte la totalité de la TVA ainsi payée ?

Les économistes soutiennent que ce n’est pas celui qui paie la taxe ou qui fait le chèque pour les services des impôts (qu’il soit acheteur ou vendeur) qui supporte réellement l’incidence ou le poids d’une taxe. Ils soutiennent que l’incidence de la taxe dépend en réalité des élasticités prix de l’offre et de la demande des biens ou services soumis à la taxe – une élasticité prix mesure la réaction en pourcentage de la demande ou de l’offre à la variation en pourcentage du prix d’un bien ou d’un service donné.

Dans une telle perspective, le poids de la taxe ou l’incidence de la taxe est supporté principalement par le côté du marché (acheteur ou vendeur) qui enregistre la réaction à la variation du prix du bien ou du service la plus faible. En d’autres termes, le côté du marché qui est le moins élastique qui supportera réellement le poids le plus important de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). Ce qui veut dire que les vendeurs ne peuvent pas répercuter tout le montant de la TVA sur le prix de vente si la demande du bien ou du service vendu est plus élastique que son offre. Dans une telle éventualité, le vendeur supportera une partie de la TVA en réduisant sa propre marge. Par contre dans le cas contraire (si la demande est moins élastique que l’offre), le vendeur dispose les coudées franches lui permettant de répercuter une frange importante de la TVA sur le prix de vente. Dans ce cas, c’est le consommateur qui supportera significativement la TVA. Dans tous les cas, il extrêmement rare de rencontrer des cas réels dans lesquels, seul le consommateur final supporte entièrement la totalité de la TVA. Cas qui ne se réaliseront que quand la demande est parfaitement inélastique (la demande du bien ou du service reste inchangée à toute variation du niveau du prix du bien ou du service).

Le développement présenté supra permet d’affirmer que : (1) penser que ce sont les consommateurs finals qui supportent la totalité de la TVA est un argument spécieux. (2) Celui paie la taxe n’est pas toujours celui qui supporte réellement le poids de la taxe. (3) Les autorités ne peuvent pas non plus imputer le poids d’une taxe de manière spécifique à un côté du marché (vendeurs ou acheteurs). (4) En définitive, l’incidence de la taxe dépend principalement de la distribution effective des élasticités prix de l’offre et de la demande sur les marchés.

Selon vous, une taxe exceptionnelle de 30% appliquée en même temps sur le prix du litre de l’essence et sur le ticket de concert de Faty Niamè KOUYATE peut-elle impacter les consommateurs dans les mêmes proportions ? Pourquoi ?

Madou CISSE

FSEG

 

Série : Economie en question (N°11)

Marché mondial de l’or : la quantité demandée a -t-elle augmenté ? ou c’est la demande qui a augmenté ?

Quand les économistes analysent les phénomènes économiques relatifs aux marchés, ils utilisent très souvent les expressions suivantes : « augmentation ou diminution de la demande » ; « augmentation ou diminution de la quantité demandée » ; « augmentation ou diminution de l’offre » et « augmentation ou diminution de la quantité offerte ».

Variation du prix une force motrice mais pas la seule

Si les économistes sont attentifs en s’exprimant, ils savent que ces expressions décrivent des réalités économiques distinctes. Ils vont toujours dire « augmentation ou diminution de la quantité demandée » respectivement « augmentation ou diminution de la quantité offre » pour décrire les conséquences d’une variation (augmentation ou diminution) du prix d’un bien ou d’un service sur les marchés réels. Tandis qu’ils vont dire « augmentation ou diminution de la demande » respectivement « augmentation ou diminution de l’offre » pour dépeindre l’impact de la variation de tout autre déterminant de la demande ou de l’offre d’un bien ou d’un service sur les marchés réels. Les conséquences ultimes de ce dernier type de déplacement peuvent conduire soit à un renchérissement du prix du marché soit à une diminution du prix du bien ou du service concerné.

De manière métaphorique, la variation du prix d’un bien ou d’un service peut être considérée comme un déplacement le long de la courbe de demande ou de celle de l’offre. Alors que le changement dans les autres déterminants (excepté le prix) se traduit par un déplacement parallèle soit de la courbe de demande soit de celle de l’offre pour tout niveau de prix donné.

Un déplacement sur le marché mondial de l’or

Actuellement le prix mondial du métal jaune est en train de battre tous les précédents records déjà établis. Le prix de l’once (soit 31,104 grammes) tutoie les 2.500 dollars US (soit 1.250.000 F CFA). Pourquoi une telle hausse ?

La hausse actuelle du prix mondial de l’or est principalement entretenue par une augmentation de la demande de ce métal occasionnée par les banques centrales du sud global (spécifiquement celles de la Russie, de la Chine et de l’Inde) qui sont en train de dédollariser leurs actifs au profit de l’or.

Un économiste qui interprète cette hausse inédite du prix mondial de l’once d’or présume d’abord qu’une telle hausse se fait à offre constante. Donc, la hausse du prix mondial est à chercher du côté de la demande. La préférence des banquiers centraux pour une « dédollarisation » de leurs actifs va être traduite par l’économiste comme un déplacement parallèle de « la courbe » de demande de l’or. Ensuite, l’économiste soutiendra qu’avec le même niveau d’or offert et le même prix de vente, toute hausse de la demande se traduira par une augmentation du prix du bien ou du service. C’est exactement ce qui s’est produit sur le marché mondial de l’or. Dans une telle situation, il dira tout simplement qu’une augmentation de la demande (et non une augmentation de la quantité demandée) due à un changement dans la préférence des banquiers centraux du Sud Global vis-à-vis du dollar a conduit à une hausse du prix du métal jaune.

En étant attentif, aucun économiste de métier ne dira que la hausse actuelle du prix mondial de l’once d’or est le résultat d’une augmentation de la quantité demandée d’or (c’est-à-dire un déplacement le long de la courbe de demande), mais plutôt un déplacement parallèle de la courbe de demande du métal jaune.

Madou CISSE

FSEG

 

La Constitution du 22 juillet 2023 du Mali dit stop à l’idéologie économique ultra libérale.

Je reviens dans ce papier sur les implications économiques de la nouvelle Constitution du 22 juillet 2023, un peu plus d’une année après son adoption.

La Constitution du 22 juillet 2023 : ses implications économiques

La lecture de la Constitution du 22 juillet 2023 permet de soutenir que les préoccupations économiques sont présentées de manière claire et précise. Déjà dans son préambule, la Constitution considère que la corruption et l’enrichissement illicite compromettent les efforts de développement du pays. A la suite de cette assertion, et toujours dans le préambule, l’objectif économique suprême y est précisé à savoir : promouvoir le bien-être social. Cet objectif est en parfaite conformité avec le contenu de l’article 30 où, il y est stipulé que le Mali est une République sociale. La concrétisation d’une telle république dans les faits passera logiquement par une implémentation réelle des dispositions contenues dans le 33ème article de l’actuelle Constitution qui considère que l’État prend les mesures nécessaires à l’effet d’assurer les principes de solidarité, d’égalité, de justice, de protection et d’intégration qu’impose la conception d’une République sociale.

Les libertés d’entreprise et de circulation des Hommes sont toutes garanties respectivement par les 13ème et 17ème articles.

Les modalités d’intervention de l’Etat dans les activités économiques octroyées par la Constitution du 22 juillet 2023 sont spécifiées par l’article 116. Cet article précise que par le truchement de la loi, les nationalisations d'entreprises, les dénationalisations et le transfert de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ainsi que l'organisation de la production deviennent possibles au Mali.

L’analyse sous l’angle économique la Constitution du 22 juillet 2023 basée sur son contenu permet de soutenir que (1) le capitalisme n’est pas remis en cause ; (2) le libéralisme économique – se traduisant par la libre circulation des Hommes (du travail), des biens et services et du capital – est aussi accepté ; (3) l’interventionnisme étatique dans les activités économiques est envisageable ; et enfin (4) l’intégration économique n’est pas aussi remise en cause.

Une telle analyse la Constitution doit interpeller quant à l’ancrage philosophique et moral de l’idéologie économique prônée dans ladite Constitution.

Les idéologies économiques – physiocratie, mercantilisme, communisme, libéralisme, ultra-libéralisme etc. – ont toujours eu des fondements philosophiques et moraux. Le plus souvent, pour la même idéologie économique, il peut y avoir une diversité d’approches imputable au choix de la pierre de touche servant de mesure de la valeur de l’opportunité de la mise en œuvre ou pas d’une politique économique. Pour revenir à la Constitution du Mali, il y ressort clairement que la pierre de touche retenue est le « bien-être social » mis en évidence dès le préambule.

Le « bien-être social » sert d’étalon de mesure de toutes les politiques économiques pouvant être mises en œuvre au Mali, conformément à la Constitution définitivement adoptée le 22 juillet 2023. Le choix d’un tel étalon de mesure de l’efficacité des politiques économiques permet de soutenir que la Constitution du Mali prône une idéologie économique identique à celle du « libéralisme classique » défendue par A. Smith, J. Bentham et D. Ricardo. Des libéraux qui ont toujours prôné la libre circulation (des marchandises, du travail et du capital) et la nécessité de l’intervention étatique tant que ces politiques économiques sont susceptibles d’améliorer « le bonheur collectif ». Le choix du « bien-être social » comme référentiel de jugement de toutes les politiques économiques dans la Constitution du Mali écarte d’emblée l’idéologie ultra-libérale prônée par F. C. Bastiat, L. V Mises, F. Hayek et M. Friedman dont la pierre de touche est la « liberté économique » rendant du coup l’interventionnisme étatique exceptionnel, car ce type de comportement induit par un Etat peut restreindre les différentes libertés surtout celles conférées aux marchés selon les tenants de l’idéologie ultra libérale.

Mesures sociales incontournables

La Constitution du Mali, en érigeant une République sociale axée sur un « libéralisme classique » exige que l’Etat du Mali se revête de tous les attributs d’un Etat social. Les principaux attributs d’une telle organisation sociale sont :

La protection sociale : elle exige la mise en place de filets sociaux de protection qui sont principalement la retraite, les allocations familiales, l’assurance maladie. L’assurance chômage et les minima sociaux dont la mise en place au Mali va consacrer de manière certaine la naissance d’une vraie République sociale.

Les infrastructures et services publics : leurs développements et leurs entretiens continus (pour les infrastructures publiques) et la production de services publics sont les piliers du fonctionnement d’une République sociale. Le Mali, sur ce plan, doit fournir de colossaux efforts pour mériter la qualification d’un Etat social digne de ce nom.

La régulation du marché du travail : dans un Etat social, l’interventionnisme étatique doit conduire à créer les conditions d’épanouissement du travail (surtout pour les ouvriers) ainsi que la protection des travailleurs contre les invectives des propriétaires des capitaux. En plus, son intervention doit logiquement tarir les licenciements abusifs que subissent au quotidien les travailleurs au Mali. Et permettre à tous les travailleurs du secteur formel de bénéficier d’une couverture sociale digne de ce nom.

La protection des industries : dans un tel Etat, la protection des industries nationales contre la concurrence déloyale extérieure doit être de mise.

Les politiques économiques : se déclinant respectivement en politique budgétaire, monétaire et de contrôle de prix, doivent toutes être sous le contrôle du Gouvernement. Inutile de soutenir que dans le cas du Mali, la politique monétaire est entièrement mise en œuvre par une autorité supra nationale et indépendante. Ce qui rend impossible la mise sous tutelle de cette institution et par ricochet rendant quasiment impossible l’utilisation de cette politique dans le but de l’atteinte d’un objectif social quelconque de la part de l’Etat malien. Ce qui est loin d’être le cas pour la politique budgétaire et celle de contrôle des prix qui peuvent être toujours utilisées par l’Etat malien dans le but d’atteindre des visées économiques socialement efficaces.

La Constitution du Mali, en ciblant le « bien-être social » comme la pierre de touche de toute politique économique pouvant être mise en œuvre au Mali cadenasse la porte à l’épanouissement de toute idéologie ultra-libérale. Mais en même temps, dans le vaste champ du « libéralisme classique », il ouvre la porte à un éclectisme en termes d’approches idéologiques.

Madou CISSE

FSEG

Articles les plus consultés