Série : Economie en question (N°14)
Interventionnisme et
marchés, attention il y a danger !
Le nouveau keynésien P. KRUGMAN soutient que « les
marchés sont de bons organisateurs des activités économiques » (Krugman,
P., & Wells, R. 2008). Cette assertion de l’économiste américain s’inscrit
dans le sillage de la principale doxa de l’économie mainstream.
Une structure de marché irréaliste mais très utile
L’orthodoxie économique défend une philosophie du « moins
Etat » dans les activités économiques. Elle fait pleinement confiance aux
marchés (des biens et services, du travail et du capital) pour répondre aux
questions suivantes : que produire ? comment produire ? et pour
qui produire ? Heureusement que cette confiance de l’orthodoxie en la
capacité des marchés à allouer de manière efficace les ressources de l’économie
est loin d’être simplement dogmatique !
Le point de départ de l’orthodoxie pour défendre sa
conception non interventionniste des autorités dans le fonctionnement des
activités économiques est la théorie de la concurrence pure et parfaite (CPP).
Même si le principal défaut de ce type d’organisation de marché est son
irréalisme, il a toutefois le mérite de mettre en évidence le fonctionnement
optimal que devrait atteindre n’importe quelle structure de marché pour assoir
les vertus de l’efficacité économique. Partant de ce constat, l’économie
mainstream accepte que dans l’économie réelle, tout marché qui coche
approximativement toutes les cases conduisant à une structure de CPP ne
présente pas suffisamment de causes de défaillance de marché (lire le blog à
l’adresse suivante : https://cequejepensemali.blogspot.com/2024/08/serie-economie-en-question-n6-les.html
pour revenir sur les quatre principales causes de défaillance que j’ai déjà
traitées) pouvant justifier une intervention extérieure dans son
fonctionnement.
Toute structure de marché qui enregistre du côté de
l’offre beaucoup d’offreurs, qui peuvent y entrer sans être empêchés ou y sortir
sans subir de coûts irrécupérables importants et qu’en plus du côté de la
demande, les consommateurs considèrent leurs produits respectifs comme
substituables ; tout ceci s’exécutant dans un environnement dans lequel
chaque participant (offreurs et demandeurs) avant d’agir connaît au préalable toutes
les caractéristiques des produits et des technologies (prix, qualité,
localisation etc.) ne doit point faire d’intervention extérieure dans son
fonctionnement habituel. Pourquoi ?
La principale raison de la non intervention prônée par les
orthodoxes réside dans le fait qu’avec ce type de structure de marché (proche
de la CPP) l’écart entre les prix fixés et les minimums des coûts économiques unitaires
de production est quasi nul. Dans ce cas, toute intervention extérieure en
termes de régulation tarifaire ou de rationnement sur ces structures de marché ne
fera qu’exacerber cet écart soit en faveur des demandeurs (par des prix plafonds)
soit en faveurs des offreurs (par des prix planchers). Et dans toutes les
éventualités, le résultat final se traduira par des pertes sèches – prix élevés
et quantités réduites – par rapport au fonctionnement normal du marché qui est
celui de la concurrence non régulée.
Par contre, l’orthodoxie n’est pas contre une intervention
extérieure dans tous les autres cas de concurrence imparfaite (monopole,
oligopole à produits homogènes, oligopole à produits hétérogènes et la
concurrence monopolistique). La concurrence imparfaite est toujours le résultat
d’au moins une défaillance de marché. Et dans un tel contexte, l’écart entre
les prix de marché et les minima de coûts économiques unitaires est très
important. C’est pour cette raison que l’interventionnisme extérieur peut
réduire significativement cet écart à condition qu’il soit bien mené.
Une régulation pour rien !
Au Mali, il n’est pas rare que les autorités interviennent
sur le marché des biens et services en fixant des prix plafonds pour certains
produits comme le sucre (local et importé), l’huile (locale, importée), la
farine de blé et l’aliment bétail comme ce fut le cas en avril 2022 par
exemple.
Une analyse des interventions des autorités maliennes à
l’aune de la conception faite par l’orthodoxie économique du fonctionnement des
marchés permet de comprendre que ces mesures de prix plafonds ne peuvent être
concluantes sur les marchés de détails des produits ciblés. Bien au contraire, elles
détériorent le fonctionnement de ces marchés (hausse des prix et pénurie) comme
prévu par la théorie orthodoxe présentée supra ; pourquoi ?
Une fine observation permet de noter que les marchés de
détails ciblés par les autorités cochent tous, toutes les principales
caractéristiques de la structure de marché concurrentielle côté offre et côté
demande. Donc par voie de conséquence, toute intervention sur ces marchés ne
fera que détériorer davantage l’écart déjà existant entre prix et minima des
coûts économiques unitaires de production. Toute la teneur des échecs de l’intervention
des autorités sur ces marchés de détails est résumée dans ces quelques lignes « Les
Maliens sont majoritairement déçus par les autorités. Ils en veulent
singulièrement au ministère du Commerce qui semble avoir renoncé à ses sorties,
parfois médiatiques, pour contrôler les prix des denrées de première nécessité. »
publiées ce 22 novembre 2022 sur maliweb.net à l’adresse suivante : https://www.maliweb.net/societe/commerce-a-quoi-sert-le-controle-des-prix-2999963.html
.
Bah oui, les maliens et maliennes ne peuvent qu’être
déçus ! Car l’intervention la plus inutile est celle qui se fait sur les
marchés concurrentiels. Elle envenime toujours les conditions initialement
présentes par des hausse de prix et des pénuries ! Bref, la principale « utilité »
des interventions des autorités maliennes sur les marchés de détails des
produits ciblés est le gaspillage des ressources économiques au sens propres.
Comme le prévoient les préceptes orthodoxes,
l’intervention des autorités est requise et même encouragée sur les structures
de marché de concurrence imparfaite. Dans cette perspective, comme les marchés
de détails des produits ou marchés aval ciblés par les autorités maliennes sont
concurrentiels, l’attention doit se porter exclusivement sur les marchés de
gros ou marché amont. Et heureusement, toutes les observations soutiennent que
ce segment est oligopolistique (donc concurrence imparfaite). Ceci étant, toujours
en phase avec les enseignements de l’orthodoxie économique, l’intervention des
autorités maliennes ne peut qu’être souhaitée et même encouragée sur ce segment
de marché. En utilisant les bons outils sur ce marché amont, les autorités
peuvent atteindre leur principal objectif consistant à réduire l’écart entre
les prix de marché et les minima des coûts économiques unitaires des produits
ciblés et cela surtout pendant les périodes de forte demande comme durant le
mois de ramadan.
Madou CISSE
FSEG
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