Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.
La monnaie (3ème
et dernière partie) : approche
conceptuelle de la monnaie
Apres les
deux premières parties consacrées aux formes et aux fonctions que remplit la
monnaie, cette troisième partie va aborder l’approche conceptuelle que
l’analyse économique a proposée de la monnaie. L’approche conceptuelle recouvre
trois conceptions de la monnaie qui en font soit un bien, soit un actif, soit
une institution.
La conception de la monnaie comme
un bien
La monnaie
est-elle un bien ? Ainsi, une série de questions est évoquée sur le type
de biens auquel la monnaie doit être rattachée. S’agit-il d’un bien de
consommation ou d’un bien de production ? S’agit-il d’un bien privé ou
d’un bien public ? Des réponses apportées à ces questions dépendent de
l’appréhension du phénomène monétaire
-
Bien de consommation ou bien de production
Il
appartient à ces deux économistes néo-classiques de renoms M. Friedman et Don
Patinkin d’avoir adopté et développé cette conception. La monnaie n’est pas
directement confondue avec ces deux types de biens mais ce sont les services
rendus par sa détention qui sont formellement assimilées aux services rendus
par les biens de consommation ou par les biens de production. En outre, il ne
s’agit pas de choisir entre l’une ou l’autre de ces assimilations, mais de
retenir le bien de consommation pour les ménages, et le bien de production pour
les entreprises.
-
Bien privé ou bien public
La monnaie
revêt à la fois les caractéristiques d'un bien privé et d'un bien public. La
monnaie est un bien privé au sens où elle est fait l'objet d'une offre et d'une
demande et que sa détention a un prix (sinon un coût d'opportunité : elle
coûte ce qu'elle ne rapporte pas, à savoir le taux d'intérêt qui rémunère
d'autres actifs moins liquides et plus risqués). Mais elle est aussi un bien
public ou collectif, au sens où sa disponibilité, sa circulation et la
préservation de sa valeur sont indispensables au bon fonctionnement des
échanges et donc à celui de l'économie dans son ensemble. Son usage relève
ainsi de l'intérêt général. Cette nature collective de la monnaie justifie
l'attention que lui portent les pouvoirs publics en réglementant les acteurs
qui la créent : banque centrale (la banque de premier rang) et banques de
second rang (ensemble des banques commerciales qui gèrent des dépôts et
octroient des crédits).La monnaie, détenue par chacun en tant que bien privé, a
les caractéristiques d'un bien exclusif et rival : la quantité de monnaie
que je détiens m'appartient exclusivement, c'est une partie infime de la
quantité totale de monnaie en circulation (appelée masse monétaire) qui, tant
que je ne la dépense pas, ne pourra pas être utilisée par quelqu'un d'autre…
La conception de la monnaie comme
actif
« La
monnaie détenue par un agent économique est un élément de sa richesse ». Ainsi
sont fournies les raisons qui permettent de considérer la monnaie comme un
actif. La monnaie est un actif parce qu’elle remplit la fonction de réserve de
valeur, la monnaie entre dans le patrimoine des agents aux cotés des actifs
financiers et d’actifs monétaires.
Pourquoi la
monnaie, plus précisément l’actif monétaire se distingue des autres actifs
présents dans le patrimoine ?
L’actif le
plus liquide : la monnaie se distingue parce qu’elle ne représente pas de
risque en principe. Sa valeur nominale est stable : absence de risque de
capital. Il est immédiatement disponible pour le règlement des
transactions : absence de risque d’illiquidité. « La monnaie est la
liquidité par excellence ». Le concept de monnaie est ainsi remplacé par
celui de liquidité. On déplace alors le problème de la définition de la monnaie
vers le problème de la définition de la liquidité et les actifs peuvent être
classés suivant leur degré de liquidité.
L’actif qui
ne rapporte pas d’intérêt : Sa distinction des autres actifs
se fait par le non-paiement d’un intérêt au débiteur. Pour J Hicks ce
non-rendement est dû à une structure monopolistique ou oligopolistique de
l’émission de la monnaie. Cependant la monnaie peut être détenue pour elle-même
à cause des coûts de transactions de la quasi monétaire, du taux d’intérêt
(arbitrage), coût d’opportunité (subjectivistes).
Les
propriétés de la monnaie qui en font l’actif le plus liquide, expliquent
pourquoi les agents cherchent à détenir une partie de leur patrimoine sous
forme de monnaie et c’est en vue d’expliquer ce comportement que des
économistes comme Keynes ont élaboré différentes théories. Keynes l’intitule la
théorie de la préférence pour la liquidité.
La conception de la monnaie comme
une institution
Menger dans
son analyse sur l’émergence de la monnaie va privilégier les caractéristiques
marchandes des biens et leur échangeabilité pour expliquer leur aptitude à être
sélectionnés comme moyens d’échange, à leurs caractéristiques physiques. Il
explique cette émergence comme celle d’une institution sociale organique
résultant de l’action humaine, sans être pour autant le produit d’un dessein
spécifique.
Pour
Menger, comme pour Wicksell, la nature décentralisée des échanges exige de
procéder à des échanges indirects et donc à utiliser des intermédiaires
d’échange. Au fur et à mesure de l’expansion des marchés, les intermédiaires
les plus avantageux sont ceux dont les propriétés marchandes sont les plus
grandes. Leur échangeabilité fonde leur acceptabilité en tant que moyen
d’échange, et la généralisation de cette acceptabilité résulte d’un processus
d’imitation des individus. Les moyens d’échange sont étroitement liés au
fonctionnement et au développement des marchés.
Institution
marchande par essence, la monnaie n’a pas été créée par décret. La monnaie est
constituée « indépendamment de toute convention et de toute loi »,
les agents sont conduits par leur propre intérêt, sans accord préalable, sans
contrainte législative, et même sans référence à l’intérêt général à adopter
l’institution monétaire qui facilite, au sein des économies de marché, la
coordination des actions et interactions individuelles. On retrouve ainsi le
principe de main invisible d’Adam Smith, et l’ordre spontané d’Hayek.
M. Abdoulaye CAMARA