Une application de la théorie orthodoxe de l’offre de travail au secteur de la santé au Mali.

Quelle est l’allure de la courbe d’offre de travail ? La bonne réponse à cette question est ça dépend ! Suivant les préceptes de l’économie orthodoxe, s’il s’agit de la courbe d’offre du marché, elle est inclinée vers le haut ; car toute augmentation du salaire horaire réel (salaire horaire nominal converti en quantité de biens et services – voir le blog N°2 https://cequejepensemali.blogspot.com/2024/07/serie-economie-en-question-n2-les.html intitulé Les valeurs nominales et réelles main dans la main pour expliquer l’économie –) entraînera plus d’offreurs (travailleurs) sur le marché du travail. Tandis que la courbe d’offre de travail individuelle a une allure « retournée ».

L’offre de travail : le dilemme entre le travail et le loisir

L’orthodoxie pour arriver à ces conclusions sur le marché du travail soutient que l’offre de travail individuelle s’obtient à la suite d’un arbitrage de la part de tout individu rationnel entre travail et loisir. Dans cette perspective, il est admis que le travail intrinsèquement parlant n’apporte point d’utilité à l’individu mais pas la consommation des biens et services qu’il permet de lui procurer. Ce dernier après avoir maximisé son utilité intégrant les quantités de biens et services de consommation et de loisir sous sa contrainte de revenu ou de richesse disponible parvient à atteindre son niveau optimal de travail qu’il offre sur le marché du travail ainsi que son niveau de loisir.

Cette offre de travail que l’individu effectue sur le marché du travail est sensée croitre avec des niveaux de salaire horaire réel faibles et décroitre au fur et à mesure que le salaire horaire réel devient de plus en plus important. C’est la présence de ces deux effets qui conduit à une courbe d’offre de travail individuelle « retournée ».

Alors pourquoi une augmentation du niveau du salaire horaire réel au-delà d’un certain seuil induirait-elle une baisse de la quantité de travail offerte par l’individu ? L’orthodoxie impute ce résultat respectivement à la présence simultanée de deux effets : un effet prix et un effet revenu.

Les analyses permettent d’établir que le premier effet est plus prégnant généralement chez travailleurs au début de leurs carrières que le second effet. Car à cette étape l’individu est en passe de réaliser de grands projets tels que le mariage, l’achat de voiture, la construction de maison etc. à cette période tout « argent serait bon à prendre ». Une fois ces différents projets réalisés, c’est l’effet revenu qui prendrait le contrôle de l’offre de travail. Et à cette nouvelle phase de leurs carrières, au lieu de continuer à hausser leurs offres de travail, les travailleurs sont enclins à réduire significativement leurs offres de travail au fur et à mesure que le salaire horaire réel augmente et surtout à ne plus participer même à certaines activités susceptibles de leur procurer un certain niveau de ressources supplémentaires.

Une application parmi tant d’autres

Une belle illustration de cette théorie est visible dans le milieu sanitaire malien (qui n’est point le seul secteur où la théorie peut être bien évidemment mise en exergue). Il n’est pas du tout rare de constater que dans nos structures de santé des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) aux Centres de Santé Communautaire en passant par les Centres de Santé de Référence (CSRef) que les permanences (gardes de nuit ou gardes ordinaires) ne soient pas assurées par les personnels titulaires mais par des agents subalternes. Alors une question demeure, pourquoi les personnels titulaires n’assurent pas lesdites permanences ?

Un constat s’impose. Les titulaires qui n’assurent plus les permanences étaient ceux qui les assuraient avant d’être titularisés. Par exemple, le médecin bénévole ou interne, tant qu’il est sous un de ces statuts ne rechigne pas à faire les gardes ordinaires. Mais après intégration au corps de métier, cet engouement s’effrite vis-à-vis de la garde de nuit. Comment expliquer ce volte-face ?

Pour certains, ce comportement ne peut être expliqué que par le manque de patriotisme. Pour d’autres un tel comportement est le fruit d’un manque de déontologie ou d’éthique. Je pense sincèrement que l’explication apportée par la théorie orthodoxe esquissée supra est plus rigoureuse dans la tentative d’expliquer cette situation que toutes les supputations relatives au degré de patriotisme ou à l’éthique des travailleurs concernés.

Comme la théorie le prévoit, le passage du statut de médecin bénévole ou interne à médecin titulaire (c’est-à-dire médecin intégré) par exemple améliore significativement sa condition financière. Avec ce changement de statut, l’effet revenu devient plus important chez ledit médecin que l’effet prix. Dans une telle situation, les primes de gardes si elles existent comme disposition au sein de la structure ne peuvent plus avoir la force nécessaire incitative le poussant à substituer son « sommeil » contre un tel montant. Et dans cette perspective, ce médecin préféra le loisir au travail comme prévu par la théorie. Car avec sa titularisation, son niveau de salaire horaire réel devient supérieur à son ancien niveau de salaire horaire réel, par conséquent il ne serait plus prêt à sacrifier son loisir (c’est-à-dire dormir la nuit) pour le travail à savoir garder la nuit.

Alors que faire pour amener les titulaires à substituer du travail au loisir ? Dit autrement, que faut-il faire pour que généralement les gardes ordinaires soient assurées totalement par les titulaires et non seulement dans certains cas par des agents subalternes ?

Ceux qui pensent déjà à l’ostracisation des agents concernés doivent rapidement déchanter. Car une telle pratique serait assimilée à l’inoculation à un malade d’un vaccin pire que les germes de la maladie.

L’évitement des permanences de nuit (gardes ordinaires) de la part des titulaires est purement et simplement imputable au manque d’incitation (ce qui est un comportement logique de la part d’un agent rationnel). La principale solution à apporter à un tel comportement réside dans l’amélioration effective des conditions de garde dans nos structures de santé. Avec des taux de garde fixés au plus à 5.000 F CFA par jour de garde, il est quasi impossible d’attirer principalement les titulaires durant les nuits dans nos structures. Un tel taux est très loin de résister à des comparaisons sous régionales dans la mesure où des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso affichent en 2024 des taux de gardes ordinaires à cinq chiffres.

Les conclusions de la théorie de l’offre de travail sont on ne peut plus précises. Elles apportent beaucoup de réponses précises à diverses situations. Comprendre que la domination de l’effet prix par l’effet revenu chez un individu peut être à la base d’une substitution du loisir au travail permet aux décideurs d’éviter de prendre des décisions scélérates.

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