Série : Economie en question (N°4)

Les économies d’échelle conduisent à un « mal nécessaire »

Normalement, les entreprises enregistrent des augmentations successives de leurs coûts unitaires de production ou coûts totaux moyens de production au fur et à mesure que leurs niveaux de production augmentent. Cette normalité de la croissance des coûts unitaires de production quand la production augmente peut être remise en cause dans certains processus particuliers de production. De telles situations se traduiront par une décroissance des coûts unitaires lorsque les niveaux de production augmentent. C’est ce phénomène que les économistes nomment les « économies d’échelle » à la suite d’Alfred Marshall économiste anglais qui a développé cette notion dans son ouvrage intitulé « Principes d’économie politique » (1906).

Les économies d’échelle ne doivent pas être confondues avec les rendements d’échelle croissants même si les deux n’apparaissent dans les processus de production qu’à long terme. Le dernier des deux concepts conduit à une augmentation plus que proportionnelle de la production d’une entreprise consécutive à une augmentation dans les mêmes proportions des facteurs de production utilisés dans le processus de production. Dit autrement, si par exemple, tous les facteurs de production utilisés pour produire un bien X augmentent respectivement de 20% et que cela entrainerait une augmentation de 28% de la production, il serait admis dans une telle éventualité qu’il y a rendements d’échelle croissants.

Origines des économies d’échelle

D’entrée de jeu, je soutiens que l’existence des rendements d’échelle croissants dans le processus de production est une condition suffisante mais pas nécessaire pour qu’il y ait des économies d’échelle dans le processus de production d’une entreprise.

La source des économies d’échelle la plus fréquente est l’existence de coûts fixes de production importants dans la structure de coûts d’une entreprise par rapport aux coûts variables de production. Si les coûts fixes de production sont plus importants (donc existence de facteurs fixes importants) que les coûts variables de production (rémunérant les facteurs variables), cela entraine la supériorité de l’effet de répartition des coûts de production (coûts unitaires fixes) sur l’effet de rendement (coûts unitaires variables). En ce moment, le coût unitaire de production décline quand le niveau de production croît. Et une entreprise qui produit sur une telle frange de son coût unitaire de production peut vendre son bien ou son service à des prix bas.

Conséquence économique des économies d’échelle

La principale conséquence de l’existence des économies d’échelle dans le processus de production conduit à l’érection des monopoles naturels.

Ces types de monopoles qui sont la conséquence directe des économies d’échelle sont présents dans nos économies contemporaines. Ils dominent généralement les secteurs de l’énergie (eau et électricité).

En présence d’un monopole naturel – c’est-à-dire un monopole bénéficiant des économies d’échelle – les économistes (orthodoxes et hétérodoxes confondus) soutiennent qu’il n’est pas judicieux d’ouvrir le secteur sur lequel il évolue à la concurrence. Car en optant pour l’ouverture à la concurrence, les avantages induits par la décroissance des coûts unitaires c’est-à-dire  la présence des économies d’échelle seraient perdus ou amoindris. Dans une telle éventualité, le monopole qui est considéré par les économistes comme la structure de marché la plus inefficace – fixant un prix assez supérieur au coût marginal de production du bien ou du service qu’il offre – devient un « mal nécessaire ». C’est d’ailleurs ce qui explique qu’au Mali, le marché de l’eau potable et celui de l’électricité urbaine en ce qui concerne leurs segments respectifs de production et de transport doivent demeurer monopolistique. Ces deux secteurs à travers leurs coûts fixes de production assez importants liés à des facteurs de production fixes tels que les barrages hydroélectriques, les châteaux d’eau, les poteaux électriques, les autres ouvrages en Bâtiments Travaux Publics (BTP) etc. génèrent des économies d’échelle.

Ce « mal nécessaire » qu’est le monopole naturel doit toujours être soumis à une surveillance des autorités publiques afin de le pousser à maintenir un niveau de tarif orienté de manière pérenne vers son coût de production économique. Et pour atteindre un tel objectif, celles-ci ont à leur disposition moult méthodes de régulation parmi lesquelles figurent des mesures de régulation visant le prix que peut fixer le monopole naturel et des mesures hors prix.

 

Une application de la théorie orthodoxe de l’offre de travail au secteur de la santé au Mali.

Quelle est l’allure de la courbe d’offre de travail ? La bonne réponse à cette question est ça dépend ! Suivant les préceptes de l’économie orthodoxe, s’il s’agit de la courbe d’offre du marché, elle est inclinée vers le haut ; car toute augmentation du salaire horaire réel (salaire horaire nominal converti en quantité de biens et services – voir le blog N°2 https://cequejepensemali.blogspot.com/2024/07/serie-economie-en-question-n2-les.html intitulé Les valeurs nominales et réelles main dans la main pour expliquer l’économie –) entraînera plus d’offreurs (travailleurs) sur le marché du travail. Tandis que la courbe d’offre de travail individuelle a une allure « retournée ».

L’offre de travail : le dilemme entre le travail et le loisir

L’orthodoxie pour arriver à ces conclusions sur le marché du travail soutient que l’offre de travail individuelle s’obtient à la suite d’un arbitrage de la part de tout individu rationnel entre travail et loisir. Dans cette perspective, il est admis que le travail intrinsèquement parlant n’apporte point d’utilité à l’individu mais pas la consommation des biens et services qu’il permet de lui procurer. Ce dernier après avoir maximisé son utilité intégrant les quantités de biens et services de consommation et de loisir sous sa contrainte de revenu ou de richesse disponible parvient à atteindre son niveau optimal de travail qu’il offre sur le marché du travail ainsi que son niveau de loisir.

Cette offre de travail que l’individu effectue sur le marché du travail est sensée croitre avec des niveaux de salaire horaire réel faibles et décroitre au fur et à mesure que le salaire horaire réel devient de plus en plus important. C’est la présence de ces deux effets qui conduit à une courbe d’offre de travail individuelle « retournée ».

Alors pourquoi une augmentation du niveau du salaire horaire réel au-delà d’un certain seuil induirait-elle une baisse de la quantité de travail offerte par l’individu ? L’orthodoxie impute ce résultat respectivement à la présence simultanée de deux effets : un effet prix et un effet revenu.

Les analyses permettent d’établir que le premier effet est plus prégnant généralement chez travailleurs au début de leurs carrières que le second effet. Car à cette étape l’individu est en passe de réaliser de grands projets tels que le mariage, l’achat de voiture, la construction de maison etc. à cette période tout « argent serait bon à prendre ». Une fois ces différents projets réalisés, c’est l’effet revenu qui prendrait le contrôle de l’offre de travail. Et à cette nouvelle phase de leurs carrières, au lieu de continuer à hausser leurs offres de travail, les travailleurs sont enclins à réduire significativement leurs offres de travail au fur et à mesure que le salaire horaire réel augmente et surtout à ne plus participer même à certaines activités susceptibles de leur procurer un certain niveau de ressources supplémentaires.

Une application parmi tant d’autres

Une belle illustration de cette théorie est visible dans le milieu sanitaire malien (qui n’est point le seul secteur où la théorie peut être bien évidemment mise en exergue). Il n’est pas du tout rare de constater que dans nos structures de santé des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) aux Centres de Santé Communautaire en passant par les Centres de Santé de Référence (CSRef) que les permanences (gardes de nuit ou gardes ordinaires) ne soient pas assurées par les personnels titulaires mais par des agents subalternes. Alors une question demeure, pourquoi les personnels titulaires n’assurent pas lesdites permanences ?

Un constat s’impose. Les titulaires qui n’assurent plus les permanences étaient ceux qui les assuraient avant d’être titularisés. Par exemple, le médecin bénévole ou interne, tant qu’il est sous un de ces statuts ne rechigne pas à faire les gardes ordinaires. Mais après intégration au corps de métier, cet engouement s’effrite vis-à-vis de la garde de nuit. Comment expliquer ce volte-face ?

Pour certains, ce comportement ne peut être expliqué que par le manque de patriotisme. Pour d’autres un tel comportement est le fruit d’un manque de déontologie ou d’éthique. Je pense sincèrement que l’explication apportée par la théorie orthodoxe esquissée supra est plus rigoureuse dans la tentative d’expliquer cette situation que toutes les supputations relatives au degré de patriotisme ou à l’éthique des travailleurs concernés.

Comme la théorie le prévoit, le passage du statut de médecin bénévole ou interne à médecin titulaire (c’est-à-dire médecin intégré) par exemple améliore significativement sa condition financière. Avec ce changement de statut, l’effet revenu devient plus important chez ledit médecin que l’effet prix. Dans une telle situation, les primes de gardes si elles existent comme disposition au sein de la structure ne peuvent plus avoir la force nécessaire incitative le poussant à substituer son « sommeil » contre un tel montant. Et dans cette perspective, ce médecin préféra le loisir au travail comme prévu par la théorie. Car avec sa titularisation, son niveau de salaire horaire réel devient supérieur à son ancien niveau de salaire horaire réel, par conséquent il ne serait plus prêt à sacrifier son loisir (c’est-à-dire dormir la nuit) pour le travail à savoir garder la nuit.

Alors que faire pour amener les titulaires à substituer du travail au loisir ? Dit autrement, que faut-il faire pour que généralement les gardes ordinaires soient assurées totalement par les titulaires et non seulement dans certains cas par des agents subalternes ?

Ceux qui pensent déjà à l’ostracisation des agents concernés doivent rapidement déchanter. Car une telle pratique serait assimilée à l’inoculation à un malade d’un vaccin pire que les germes de la maladie.

L’évitement des permanences de nuit (gardes ordinaires) de la part des titulaires est purement et simplement imputable au manque d’incitation (ce qui est un comportement logique de la part d’un agent rationnel). La principale solution à apporter à un tel comportement réside dans l’amélioration effective des conditions de garde dans nos structures de santé. Avec des taux de garde fixés au plus à 5.000 F CFA par jour de garde, il est quasi impossible d’attirer principalement les titulaires durant les nuits dans nos structures. Un tel taux est très loin de résister à des comparaisons sous régionales dans la mesure où des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso affichent en 2024 des taux de gardes ordinaires à cinq chiffres.

Les conclusions de la théorie de l’offre de travail sont on ne peut plus précises. Elles apportent beaucoup de réponses précises à diverses situations. Comprendre que la domination de l’effet prix par l’effet revenu chez un individu peut être à la base d’une substitution du loisir au travail permet aux décideurs d’éviter de prendre des décisions scélérates.

Série : Economie en question (N°3)

Productivité, l’alpha et l’oméga du niveau de vie ?

Paul Krugman dans son livre Microéconomie 1ère édition (2009) disait en substance que le niveau de vie de chaque pays dépend de sa productivité. Cette assertion suppose donc que si un pays veut améliorer le niveau de vie de ses citoyens, il doit obligatoirement booster le niveau de productivité de son économie. Dans la mesure où en économie, il y a deux principales notions de productivité liées aux facteurs de production (travail, capital) ; à quelle productivité cet éminent Professeur faisait-il référence ?

Un coup d’œil sur la fonction de production néoclassique des biens et services permet de comprendre que les économistes infèrent de cette fonction de production les deux principales formes de productivité. Cette fonction relie de manière positive mais décroissante la quantité produite de biens et services (Produit Intérieur Brut (PIB) réel) dans une économie aux facteurs de production utilisés à leur production. Et ces deux productivités sont : la productivité marginale et la productivité moyenne des facteurs.

Si la productivité marginale mesure l’impact sur la production réelle de l’augmentation d’une unité supplémentaire d’un facteur de production ; la productivité moyenne quant à elle mesure l’apport unitaire de ce facteur dans la richesse réelle produite dans le pays en question. Si la première est le résultat du rapport entre la variation de la production réelle et celle du facteur retenu, la seconde est mesurée par le rapport entre la production réelle et la quantité du facteur choisi. La première contribue à déterminer le niveau optimal de la production réelle qu’une économie peut atteindre sur la base d’un niveau de dotation initiale de facteurs disponibles. La deuxième mesure l’apport de chaque unité du facteur considéré dans la production réelle. Et c’est cette mesure qui est retenue par tous les économistes dont le Professeur Krugman.

Ceci étant, plus ce rapport est élevé, plus le niveau de vie du pays est élevé. La preuve de cette causalité proportionnelle entre niveau de vie et productivité est mise en évidence à travers les données de productivité de 2023 publiées par la Banque Mondiale. A cette date, pendant que la productivité moyenne horaire du travail au Mali faisait 167 F CFA (soit 0,28 USD) celle de la Côte d’Ivoire culminait à 478 F CFA (soit 0,75 USD). Et très loin des niveaux maliens et ivoiriens des productivités horaires du travail, les Etats-Unis et la France affichaient à la même date des niveaux de productivité stratosphériques de 10.964 F CFA (soit 17,26 USD) et 6.859 F CFA (soit 10,80 USD) respectivement.

Face à un tel constat, une légitime question demeure : que faut-il faire alors pour améliorer la productivité horaire du travail ?

Répondre à cette question revient à répondre à celle-ci : que faut-il faire pour augmenter le numérateur du rapport en question pour un même niveau d’heure travaillée ? (N’oublions pas que la productivité moyenne horaire s’obtient en divisant la production réelle ou PIB réel par le volume horaire travaillé).

Tout pays après avoir instauré les conditions d’une gestion vertueuse des affaires publiques peut améliorer sa productivité (1) en augmentant son niveau de capital physique disponible. Et pour ce faire, il doit hausser son niveau d’épargne ; (2) rehausser la qualité de ses formations initiale (écoles et universités) et continue et la santé ; (3) rendre incitatif son cadre d’innovation ; (4) si possible réallouer ses facteurs de production et enfin, (5) augmenter sa population active.

Une augmentation de la productivité moyenne horaire induite par celle de l’augmentation de la production nationale réelle va normalement se traduire par une amélioration globale des conditions de vie des citoyens, même si cette amélioration peut ne pas garantir un partage équitable des fruits issus de cette hausse de productivité. Ce qui est un autre débat !

 

Série : Economie en question (N°2)

Les valeurs nominales et réelles main dans la main pour expliquer l’économie.

Supposons que deux pays A et B proposent les salaires mensuels nets suivants payés en unité monétaire (UM) : dans le pays A le salaire net fait 100.000 UM et dans le pays B il est fixé à 1.000.000 UM. En admettant que les conditions climatiques et administratives dans les deux pays soient identiques ; lequel des deux pays allez-vous choisir comme lieu de travail si vous avez la possibilité de faire un tel choix ?

Ces niveaux de salaires en réalité ne permettent pas de choisir ! Ils permettent seulement d’un point de vue de l’analyse économique de soutenir que les travailleurs du pays B sont dix fois plus payés que ceux du pays A. Ces salaires sont appelés par les économistes « salaires nominaux ». Pour la prise de décision dans le cas d’espèce, les économistes font appel au concept de salaire réel. Ce salaire sur la base des éléments donnés sur les deux pays A et B permet de trancher définitivement la question !

Si le prix des biens et services dans le pays A fait 10 UM et dans le pays B il est estimé à 1.000 UM. Connaissant ces prix nominaux, il est possible de déterminer maintenant les salaires réels dans les deux pays. Dans le pays A ce salaire fera 10.000 exprimé quantité de biens et services et il sera de 1.000 dans le pays B. Ces niveaux de salaires réels renversent définitivement la conclusion à laquelle pourrait arriver un quidam. Les salaires réels ainsi établis permettent de d’inférer que dans le pays A un travailleur consomme dix fois plus de quantité de biens et services qu’un travailleur du pays B. La réponse à la question posée supra est toute trouvée maintenant : le pays A doit être choisi.

Cette mini illustration hypothético-déductive met en exergue de manière sous-jacente deux approches fondamentalement opposées d’aborder les questions économiques. Si les hétérodoxes, spécifiquement les keynésiens soutiennent que les valeurs nominales servent à la prise de décision, les orthodoxes quant à eux considèrent que les agents économiques décident en tenant compte des valeurs réelles. Et ces différents positionnements conduisent à des propositions centrales en termes de théories économiques pour chaque camp.

C’est en partant de la conception des prix réels – rapport entre prix nominaux – que sur le marché des biens et services les orthodoxes parviennent à conclure que ce sont les biens ou les services qui s’échangent entre eux. Et par voie de conséquence la neutralité de la monnaie est établie. Proposition en soutient de laquelle la théorie quantitative de la monnaie (TQM) est mobilisée. Pendant que les économistes hétérodoxes concluent que la neutralité de la monnaie est un faux débat dans la mesure où pour eux, ce sont les valeurs monétaires des biens et services qui sont considérées par les intervenants sur ce marché.

Pendant que les hétérodoxes admettent que le salaire nominal doit être la variable d’ajustement sur le marché du travail ; les orthodoxes considèrent que c’est le salaire réel – rapport entre salaire nominal et niveau général des prix des biens et services – qui est la principale variable d’ajustement. Dans cette perspective ces derniers considèrent que ce n’est pas le salaire payé par l’employeur qui compte pour le salarié mais plutôt la quantité de biens ou services que le salaire peut réellement acheter sur le marché des biens et services. Donc, ce n’est pas le niveau seul du salaire nominal qui maintient un travailleur à son poste mais un rapport favorable entre salaire nominal et niveau général des prix des biens et services.

La même opposition entre les deux camps continue sur le troisième marché réel à savoir le marché du capital. Sur celui-ci, le taux d’intérêt nominal – taux fixé par les sociétés financières au sens large ou le taux écrit sur les contrats de prêt ou les taux d’épargne – est brandi par l’hétérodoxie comme la variable d’ajustement. La réplique des économistes du courant dominant passe par le taux d’intérêt réel – le taux d’intérêt nominal diminué de l’inflation – qui est considéré par ces économistes comme la principale variable déterminante sur ce marché. La justification de la théorie orthodoxe du taux d’intérêt réel stipule qu’il n’est pas opportun d’avoir des montants importants sous forme d’intérêt si ces montants ne peuvent avoir que des colifichets à cause de l’inflation.

Dans l’optique de réconcilier ces prises de position (hétérodoxie vs orthodoxie) que l’école de pensée de la synthèse animée dans les années 70 par quatre économistes de renom ayant tous eu le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel (appelé « prix Nobel d’économie » par abus de langage) soutenait que les théories sur les variables nominales gardent toute leur validité à court terme. Tandis que les argumentaires orthodoxes basés sur les variables réelles deviennent crédibles à long terme.

Même si ces conclusions ont été bottées en touche par les Post-Keynésiens, elles ont quand même continué à être considérées comme satisfaisantes et enseignées dans toutes les facultés d’économie du monde.

 

Série : Economie en question (N°1)

Vous parlez d’équilibre ou d’optimum ?

Le concept « équilibre » est incontournable en analyse économique. La recherche de l’équilibre est une quasi obsession chez les économistes. Les différents programmes objectifs des consommateurs (ménages), des producteurs (entreprises) et de l’Etat (les administrations publiques) sont utilisés par les économistes (surtout ceux du courant dominant) dans le but ultime de déterminer l’équilibre. Le Dictionnaire Le Robert définit l’équilibre comme suit : « Juste proportion entre des choses opposées ; état de stabilité ou d'harmonie qui en résulte. ». Le champ économique étant caractérisé par la rencontre d’intérêts souvent opposés ne peut être embarrassé par l’analyse des moyens pouvant conduire à la création d’une symbiose entre ces forces ou intérêts.

L’équilibre peut être microéconomique quand il est établi au niveau du consommateur ou du producteur ou sur un marché spécifique d’un bien ou d’un service. Il peut être aussi macroéconomique quand il est établi à l’échelle de toute l’économie impliquant l’utilisation des facteurs de production disponibles.

Dans le cas spécifique des marchés, l’équilibre peut être considéré comme partiel quand il s’établit sur un marché spécifique (par exemple sur le marché de la banane de Bamako ou sur le marché du capital au Mali). Par contre, il porte le dénominatif de l’équilibre général quand il est réalisé de manière simultané sur tous les marchés de l’économie à savoir sur le marché des biens et services, le marché des facteurs de productions (travail, capital et terre) et le marché de la monnaie.

Au plan macroéconomique, l’équilibre peut être qualifié de sous-emploi quand le niveau de production des biens et services atteint dans l’économie est inférieur à celui que l’économie atteindrait quand tous ses facteurs de production (travail, capital et terre) seraient normalement utilisés. Ce genre d’équilibre se caractériserait par l’existence de stocks anormaux de facteurs de production dont le plus visible est l’existence de travailleurs non employés appelés chômeurs. Un équilibre de plein emploi suppose que le niveau de production de biens et services réalisé dans l’économie est compatible avec une utilisation normale de tous les facteurs de production disponibles. Cet équilibre, comme son nom l’indique rime avec la pleine utilisation de tous les facteurs de production disponibles dans l’économie. Il serait caractérisé par l’existence de stocks de facteurs marginaux pour ne pas dire nuls.

Enfin l’équilibre peut être qualifié de court terme toujours d’un point de vue macroéconomique (ou keynésien). Cela suppose que les Prix (les prix des biens et services, les taux d’intérêt nominaux et les salaires nominaux) ne parviennent pas pour un moment (deux mois à six mois ? un peu plus ?) à jouer pleinement leurs rôles de variables d’ajustement des déséquilibres présents dans l’économie. L’équilibre de long terme (ou classique) suppose que les Prix ne sont plus visqueux. Ce qui supposerait qu’ils sont capables de résorber de manière quasi instantanée les principaux déséquilibres constatés dans le fonctionnement de l’économie.

Est-ce que tout équilibre est un optimum ? non ! L’optimum est en réalité un cas particulier d’équilibre. Le point de référence de ce concept est lié à l’équilibre de Pareto appelé à dessein optimum de Pareto (de Vilfredo Pareto (1848-1923)). A cet optimum, il est admis qu’il n’est pas possible d’améliorer la situation d’un agent économique sans détériorer celle d’au moins un autre agent. Cet optimum suppose l’efficacité économique (exclusion de toute éventualité de gaspillage). Ceci étant, tout consommateur ou tout producteur qui atteint son optimum ne peut plus améliorer sa propre situation sans changement dans la disponibilité de ses ressources. Idem pour l’Etat dans la fourniture de ses services. Une fois qu’il atteint l’optimum, il lui est impossible d’améliorer la situation d’un groupe de citoyens sans détériorer celle d’un autre groupe de citoyens.

En définitive, comprendre que tout optimum est un équilibre et que tout équilibre n’est pas forcément optimal permet à l’analyste des faits économiques d’éviter des erreurs d’interprétation de situation factuelle. Le corolaire à cette proposition permet d’inférer par exemple que l’équilibre de sous-emploi keynésien est un équilibre mais n’est pas un optimum.

 

Et si le Marché est le seul véritable sauveur de l’EDM ?

Créée un 14 octobre 1960 avec un capital initial de 15 millions de F CFA, la société Energie du Mali (EDM) n’est plus que l’ombre d’elle-même. De 12 heures de délestage à près de 18 heures et même plus pour certaines zones et localités du Mali ; l’EDM, disons-le tout net n’y arrive plus ! Pour sortir de cette impasse « EDMgate » que préconisent les théories économiques ?

Justice sociale et efficacité productive que choisir ?

Comme le dirait l’autre, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Les argumentaires économiques sont connus. Ils forment deux branches idéologiques. La première défendant la prééminence de la présence de l’Etat et la seconde soutenant mordicus la supériorité du Marché.

Si la pierre de touche des pros « plus » d’Etat est la prise en compte de la dimension justice sociale pour la fourniture du service, la pierre de touche des pros Marché (ou « moins » d’Etat) est l’efficacité productive (c’est-à-dire le maximum de service fourni au minimum de coût économique de production).

Je préviens le lecteur qui commencerait à se dire pourquoi ne pas chercher à atteindre simultanément ces deux objectifs de justice sociale et d’efficacité économique. La concomitance des deux objectifs est quasiment impossible. Au contraire, il existerait une relation de proportionnalité inverse en les deux objectifs. Ce qui signifie que vouloir plus de justice sociale conduirait à moins d’efficacité productive et vice versa.

Pendant que l’idéologie des pros Etat met l’accent sur la peur de l’Autorité et la moralité des dirigeants pour l’atteinte de leur objectif, l’idéologie des pros Marché s’appuie sur les incitations des acteurs et la recherche du profit dans l’atteinte de leur objectif. Ces deux idéologies dans leurs manifestations les plus extrêmes conduisent respectivement au Communisme et à l’Ultralibéralisme (libertarianisme).

EDM une fana de la justice sociale

L’EDM, même ayant connu diverses répartitions de son capital de sa création jusqu’à la détention de son capital à 100% par l’Etat malien en 2018 ne s’est jamais départie de son objectif de justice sociale. Et les résultats engrangés sont connus. De huit (08) localités desservies en 1961, quarante (40) années plus tard soit en 2000, elle a accepté d’exécuter un contrat de concession du service public de l'électricité sur un périmètre de 98 localités. Et en 2004, la société Energie du Mali fournissait 154.000 clients (résidentiels et non résidentiels) en électricité. Est-ce un résultat satisfaisant ? L’objectif visé par cet article de presse n’est point d’apporter une réponse à cette interrogation. Ce qui est en ce moment (juin 2024) une vérité incontestable, c’est que toutes les localités desservies auparavant conjuguent présentement à tous les temps des modes de conjugaison l’expression « vivre sans électricité » !

En prenant le fil de mon exposé, une série de questions retient mon attention: pourquoi durant tout ce temps (de 1960 à 2024) l’EDM n’a pas été capable de proposer un service qui satisfasse les attentes des clients maliens (ménages, entreprises et administrations publiques) en termes de qualité, de quantité et de prix d’accès ? Et si l’idéologie économique – à savoir l’atteinte de la justice sociale – qui sous-tendrait tout son processus décisionnel de production n’est pas la principale cause de cette impasse de l’EDM ?

Comme l’EDM est une fana de la justice sociale, et pour atteindre cet objectif ses principaux leviers sont la peur de l’Autorité et la bonne moralité des dirigeants. Si un de ces critères fait défaut ? Logiquement l’atteinte de l’objectif de justice sociale deviendrait automatiquement problématique.

Je pense sincèrement que le premier critère « peur de l’Autorité » a foncièrement fait défaut au Mali depuis mars 1991 à nos jours. Cette peur de l’Autorité à mon avis ne peut jouer son plein effet et de manière constante que dans les sociétés démocratiques. Mais jamais dans les sociétés en phase de transition comme le Mali tentant d’effacer les traces de l’aristocratie (société caractérisée par l’existence des classes) – pour ne pas dire la dictature – vers une société démocratique (caractérisée normalement par une égalité des conditions). Ce qui justifie que de mars 1991 à nos jours cette peur de l’Autorité s’est étiolée inexorablement. Et l’EDM est pleinement victime de cet état de fait. Cette absence de peur de l’Autorité ne peut qu’être le terreau fertile servant à l’éclosion au fil du temps de dirigeants de mauvais aloi au plan moral. Ce qui est logique dans la mesure où « sommeille en tout Homme un petit voleur ».

Et si le Marché est la solution

Si l’état social au Mali était démocratique caractérisée par une égalité des conditions, il serait possible dans une certaine mesure de continuer à expérimenter l’approche idéologique ciblant la justice sociale comme principal objectif de production de l’EDM. Car dans un tel état social, la « peur de l’Autorité » serait susceptible d’instiller les doses de vertus nécessaires conduisant à une gestion vertueuse de l’EDM. Ce qui permettrait in fine d’avoir un service qui ne sera certes pas produit de manière efficace mais ferait l’affaire des clients maliens tout en instaurant une forte dose de justice sociale.

Malheureusement, le Mali est depuis mars 1991 en phase transitoire d’une dictature (ayant conduit à un état social aristocratique hybride) vers un état social démocratique qui est très loin d’être atteint. Donc, par voie de conséquence, l’idéologie pro Etat ne se soldera que par des déconvenues cuisantes. Comme celles que les maliens sont en train de vivre à l’heure actuelle.

Dans un pays ayant un état social transitoire comme le Mali, je pense que l’idéologie pro Marché semble être la meilleure. Cette idéologie est neutre quant à son lien intrinsèquement parlant avec l’état social dans lequel elle est mise en œuvre. Pour le dire autrement, cette idéologie s’appuyant sur les incitations et la recherche du profit n’a point besoin d’une peur quelconque de l’Autorité (Etat) pour faire valoir son plein effet. En d’autres termes, elle peut être considérée comme « la bombe nucléaire » contre la corruption des dirigeants. Et la prise en compte de la moralité du dirigeant devient un facteur secondaire. Conformément à son objectif, la soumission de la société Energie du Mali (EDM) à une telle idéologie économique permettra d’attirer les investissements (financiers et physiques) nécessaires à la mise en route de cette société. Ce qui va permettre indiscutablement d’avoir une fourniture d’électricité de qualité et en quantité suffisante.

Dans une perspective du basculement de l’EDM que je souhaite de tous mes vœux vers l’idéologie de l’efficacité productive, le principe de la concurrence doit prévaloir à tous les étages. Ce qui m’amène à soutenir une fragmentation importante des trois segments concourant à la production de l’électricité au Mali tant que faire se peut. La mise en œuvre d’un tel paradigme doit conduire à ouvrir grandement à la concurrence le segment de la distribution. Tandis que les segments de la production et du transport doivent être confiés à deux sociétés distinctes formant chacune sur son segment un monopole naturel (présence potentielle des économies d’échelle). Dans ce nouvel environnement ainsi dessiné, l’Etat doit jouer à fond son rôle d’arbitre en érigeant une autorité de régulation indépendante de toutes les parties impliquées dans la fourniture du service.

Que deviendra dans cette nouvelle configuration l’objectif de justice sociale pouvant toujours être défendue par l’Etat ?

Si l’Etat jugerait que le niveau des tarifaires établis via le marché est socialement injuste, il peut user des moyens habituels (les subventions, les mesures de tarification visant les coûts de production et autres mesures de régulation hors prix telles que la discrimination tarifaire) dont il dispose pour établir le niveau de justice sociale qu’il souhaiterait.

L’EDM dans sa forme actuelle – un monopole étatique –pose avec acuité le problème de sa « propriété ». L’EDM est victime de cette forme de « propriété » car une chose qui appartient à tout le monde n’appartient à personne. C’est pour cela que cette structure doit appartenir à quelqu’un pour qu’elle puisse fonctionner « normalement » pour le bonheur des maliens. Et l’exemple de la SOTELMA qui est devenue Malitel (après Moov Africa) est une belle réussite de transformation d’un secteur souverain moribond en une machine à sou offrant à ses clients (ménages, entreprises et administrations publiques) des services en quantité, de qualité et de surcroit à des tarifs concurrentiels.

 Retrait du Mali de la CEDEAO : un choix cornélien ?

La fin des années 1970 a été marquée par l’essoufflement des doctrines keynésiennes d’une part et le renouveau des idées de l’orthodoxie économique d’autre part. Le triomphe de l’idéologie orthodoxe a atteint son climax un 9 novembre 1989 avec la chute du mur de Berlin. Au cœur de cette idéologie y figure en bonne place la prééminence du marché comme moyen d’organisation des activités économiques sur toutes les autres formes d’organisation. Le rattachement des orthodoxes à cette idée de suprématie du marché s’appuie sur l’intuition irréfutable soutenant que « l’échange est profitable à tous ». Une telle idée renvoie à la conception selon laquelle – sauf en situation de défaillance de marché – seul le marché est capable d’allouer les ressources d’une économie de manière efficace (maximum de production au minimum de coût).

Vertus du libre-échange et intégration des économies

C’est en s’appuyant sur ces prémisses et en les étendant aux différents territoires que l’économie orthodoxe a toujours prôné le libre-échange entre les nations (opposé au protectionnisme). Dans le but de pouvoir bénéficier de toutes les vertus que peut impliquer le libre-échange, les différents pays du globe ont pour certains entretenu des accords bilatéraux ou multilatéraux de libre-échange ou ont créé des zones de libre-échange (Ceta, Accord commercial UE-Colombie-Pérou-Équateur, Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), Mercosur etc.). D’autres ont poussé le bouchon jusqu’à la création de zones économiquement intégrées (Union Européenne (UE), Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), etc.). En optant pour cette dernière forme de coopération économique, les pays adjoignent à la libre circulation des marchandises et des services, une liberté de circulation sans entrave majeure entre zones concernées des capitaux (les actifs) et des hommes (le travail). Dans une telle perspective, les trois marchés réels sont soumis aux règles de la compétition. Et ces trois marchés dans ces conditions expriment dans sa quintessence la maxime orthodoxe du « laisser faire, laisser passer ».

Comment le libre-échange s’est imposé dans les débats économiques ?

Adam Smith dans sa Richesse des nations (1776) a invité les pays à participer au libre-échange pour tous les produits pour lesquels ils enregistrent des avantages absolus en termes de production. C’est-à-dire qu’un pays doit toujours produire et vendre à l’étranger tous les produits qu’il peut produire mieux que les autres pays. L’erreur de cette théorie résidait dans le fait que les pays qui ne bénéficient d’aucun avantage absolu dans la production ne peuvent pas participer au commerce international.

En 1817, c’est David Ricardo corrigeait l’insuffisance de la théorie smithienne dans son livre « Principes de l’économie politique et de l’impôt ». Il y a prôné la théorie des avantages comparatifs. Cette théorie a mis l’accent sur la valeur-travail. Après avoir introduit la méthode hypothético-déductive en économie, cet auteur démontrait que la participation au commerce international ne devrait pas requérir des avantages absolus mais plutôt des avantages relatifs en termes d’écart de productivité. Ce qui suppose que chaque pays doit participer au libre-échange en produisant les produits dont la production exige le coût d’opportunité de production le plus faible, en d’autres termes, produire des produits dans lesquels le pays est le moins mauvais par rapport aux autres pays. Dans une telle perspective, chaque pays ne participera au libre-échange qu’en vendant les produits pour lesquels il réalise l’écart de productivité le plus élevé comparé aux autres pays.

A la suite de D. Ricardo, et durant près de trente (30) ans, le peaufinage de la théorie des avantages comparatifs s’est poursuivi avec la prise en compte d’autres facteurs au lieu du travail seul. D’abord avec E. Heckcher (1919) qui a institué la théorie des dotations factorielles. Cette théorie intimait aux pays de participer au libre-échange par l’offre de produits exigeant l’utilisation de facteurs relativement abondants sur leurs territoires. A sa suite, en 1933, B. Ohlin abondait dans le même sens, en soutenant que le libre-échange doit prendre place entre pays autour de produits comportant de facteurs proportionnellement importants dans chaque pays.

P. A Samuelson, en 1948 défendait le mérite du libre-échange en s’appuyant sur les travaux précédents de Heckcher et Ohlin pour établir son théorème d’égalisation des prix des facteurs de production (Travail, Capital, terre…) pour tous les pays participant au libre-échange. Ce qui a conduit en définitive à l’appellation du modèle générique incorporant les initiales des noms de familles des trois auteurs successifs à savoir « le modèle HOS ».

L’incapacité du modèle HOS à expliquer de manière satisfaisante et définitive les évolutions du commerce international couplée à l’existence de données statistiques abondantes à partir des années 1960 – les avantages comparatifs peuvent être créés par les pays, des pays échangent en ayant des dotations factorielles comparables, les prix des facteurs ne s’égalisaient pas toujours entre pays etc. – a conduit à d’autres analyses cherchant à expliquer le « nouveau pourquoi du comment » du nouvel environnement du commerce international.

Des auteurs, et spécifiquement P. Krugman vont amender certaines hypothèses de l’économie orthodoxe du commerce international (en introduisant la concurrence monopolistique, les économies d’échelle, la différenciation des produits) pour montrer que « les échanges sont profitables à tous ». Car ils permettent aux différents pays d’avoir plus de produits et plus de variété de produits de meilleure qualité et à des prix bas. L’auteur en concluait que la spécialisation (contrairement aux précédentes théories) peut être « le fruit d’accidents historiques » qui peut être induite par des choix politiques soutenus par les économies d’échelle.

Mobilité : des biens, des capitaux et des hommes du Mali

Il ressort de la mini présentation faite supra sur l’évolution des théories du libre-échange que tous les auteurs convergent vers la même conclusion à savoir que les « échanges sont profitables à tous » ou dit autrement, le «  laisser faire, laisser passer » mis en œuvre entre pays améliorent la taille et la qualité du « gâteau » pour tous les pays participants ! Partant de ce constat, et pour être dans l’air du temps, il me semble opportun d’analyser les éventuelles conséquences du retrait du Mali de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sur la taille de son « gâteau » ?

Le Mali en se retirant de la CEDEAO se retire de facto des accords de libre-échange qui le lient sur le plan économique aux autres pays de cette zone. Ce retrait met fin aux mouvements sans entrave des biens et services, des hommes (travail) et des capitaux (actifs) entre les pays restés au sein de la communauté et le Mali.

La connexion économique du Mali aux pays de la CEDEAO peut se faire par un premier canal à savoir les échanges des biens et services (exportations et importations). Les exportions maliennes des biens ont culminé en 2021 à 2.693,8 milliards de F CFA (voir BCEAO, Balance des paiements et position extérieure globale). Près de 80% de ce montant sont apportés par l’or non monétaire, suivi par l’exportation des produits alimentaires avec 199 milliards (7,38%), la fibre de coton et les animaux vivants fermant la marche avec respectivement 5,81% et 5,17% du montant total.

Les deux principales destinations de ces exportations sont dans l’ordre l’Afrique et le l’Europe avec respectivement 45,5% et 35,4% et l’Asie occupait la 3ème marche du podium à avec 11,5% des montants des exportations totales maliennes des biens. Un examen approfondi des zones de destination permet de constater que l’Afrique du Sud occupe le peloton de tête avec 42,5% des exportations maliennes des biens (avec l’or non monétaire) à destination de l’Afrique (soit 905,2 milliards). En deuxième position figurent les pays de l’UEMOA avec 10,6% du montant total (Animaux vivants, produits vivriers). Les autres pays de la CEDEAO ont enregistré 0,9% des exportations totales maliennes des biens. Quant au Niger et le Burkina-Faso, ils captaient à la même date respectivement 0,9% et 1,5% des exportations totales maliennes de biens.

La principale destination européenne des exportations maliennes de biens en 2021 a été la Suisse avec les montants liés à la vente de l’or non monétaire pour 866 milliards (soit 91% des exportations destinées au continent européen). La France, la Belgique, l’Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas captaient ensemble 86,6 milliards des montants avec les achats auprès du Mali du Coton, des fruits, des peaux et cuirs et de l’or (avec 8,6% du total européen).

En Asie, la Chine, l'Inde et la Thaïlande en achetant la fibre de coton au Mali ; Dubaï, et les Émirats-arabes unis avec l’or non monétaire se partageaient 309,4 milliards de F CFA.

Les importations représentent l’autre face de la connexion économique du Mali au reste du monde quand il s’agit des biens et services. Elles ont été estimée à 3.491,6 milliards soit 32,9% du PIB malien de 2021. Les principaux postes de dépenses de cette face sont : les produits énergétiques pour 750,6 milliards (26,2%) ; les biens d'équipement pour 635,7 milliards (22,2%) ; les matières premières et des biens intermédiaires pour 635,44 milliards (18,2%) ; les produits chimiques et pharmaceutiques pour 387,5 milliards (11,1%) les produits alimentaires pour 479,2 milliards (16,7%) et 43,6% de ces dernières dépenses sont formées par les importations de céréales.

Les pays de provenance des importations maliennes sont ceux de l’UEMOA avec 45% du montant total. Les autres pays de la CEDEAO ont fourni en 2021 2,5% des importations totales maliennes. Spécifiquement, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont les principaux pays de provenance de l’UEMOA avec respectivement 20,3% et 16,9% des importations maliennes sur la période indiquée. Le Niger et le Burkina-Faso se sont occupés de 2,8% et 2,2% des importations en qualité de pays de provenance. La deuxième zone de provenance des importations maliennes après le Sénégal est l’Asie avec 24,1% des importations totales de biens faites par le Mali en 2021. La Chine avec ses 15% de ce montant a occupé la première place des pays de provenance des importations maliennes pour ce continent. L’Europe a occupé la 3ème place des zones de provenance des importations maliennes avec 19,3% (soit 674,3 milliards). La part de la France dans ce montant a été de 6,5% en 2021. Pendant que la Russie fournissait 1,4% des importations.

Une analyse des données des exportations du Mali soutient que ce pays et conformément aux descriptions de la théorie des dotations factorielles s’est spécialisé dans les exportations de l’or non monétaire, des produits vivriers (légumes et autres), la fibre de coton et les animaux vivants. Et toujours en phase avec les prévisions de la même théorie, les importations ont porté principalement sur les produits énergétiques, les équipements et pharmaceutiques.

En termes de destination des exportations maliennes, les données valident cette même théorie ; ce qui explique le faible niveau des exportations intra-communautaires de l’or non monétaire (qui représente près de 80% du montant des exportations) car tous les pays ou près en sont pourvus. Cette faiblesse dans les transactions intra-communautaires transparaît clairement dans les données. L’UEMOA n’a exporté que 10,6% des produits maliens et les autres pays de la CEDEAO n’ont exporté que moins de 1%. Quant aux importations, l’UEMOA en 2021 représentait 45% et les autres pays de la CEDEAO 2,5%. Ces données de 2021 confirment que le Mali via le canal de la transaction des biens (exportations et importations) est faiblement intégré aux pays de l’UEMOA et quasiment pas intégré aux autres pays de la CEDEAO.

Le second canal de connexion du Mali aux autres pays de la CEDEAO se fait par le mouvement des capitaux (actifs physiques, financiers et monétaires). En 2021 les mouvements de capitaux (investissements directs, investissements de portefeuille et autres investissements) présentaient une entrée nette de 657,8 milliards.

Les investissements directs étrangers ont atteint à cette date 323,8 milliards. Les principaux pays investisseurs ont été l'Australie (spécifiquement dans les mines), le Canada, les Émirats arabes-unis, les Îles vierges britanniques, le Sénégal et la France. La part des pays de l’UEMOA dans ces investissements représentait 13,9% (soit 49,2 milliards).

Les investissements de Portefeuille ont été estimés à 392,9 milliards en 2021. Ils sont composés par les opérations du Trésor sur le marché des titres publics (émissions d'obligations et de bons du Trésor). En 2021, près de 61% des actifs financiers sont détenus par des non-résidents hors zone UEMOA et zone Euro. Les résidents de la zone UEMOA en détenaient à la même date 36,2%.

Un examen de ce second canal de connexion conduit à trancher qu’à l’image du premier, le Mali est faiblement connecté à la zone UEMOA quand le projecteur reste braqué sur la mobilité des capitaux. Par contre, il semble que sur ce plan de la mobilité des capitaux, que ce pays n’est presque pas connecté aux autres pays de la CEDEAO.

Le troisième canal de connexion entre le Mali et les autres pays de la CEDEAO passe logiquement par la mobilité des hommes (le travail). Selon les données du site Internet OECD iLibrary, « Les estimations les plus récentes font état d’environ 1,3 million émigrés maliens résidant dans le monde en 2020. Plus de 80 % d’entre eux résideraient en Afrique de l’Ouest, soit environ 1 million d’émigrés. Les principaux pays de destination des émigrés maliens sont la Côte d’Ivoire et le Nigéria. La Mauritanie, le Niger, la Guinée et le Burkina Faso sont également des destinations importantes des émigrés maliens en Afrique. » Le site Internet https://www.casademali.org/fr/mali/la-diaspora-malienne/ précise que « L’émigration du Mali s’est surtout dirigée vers la Côte d’Ivoire, où vont 41,29%, suivie de loin par le Nigeria, les 13,34%, et la Mauritanie, les 8,56%. »

Ces données implacables sur l’émigration malienne prouvent suffisamment que contrairement aux deux précédents canaux de connexion du Mali à la CEDEAO, via ce canal, l’intégration du Mali à ladite communauté est réelle et à l’UEMOA et à la CEDEAO.

L’intégration économique du Mali à la CEDEAO semble ne pas être significative quand elle est mesurée par les canaux des échanges des biens et des capitaux. Car pour le premier canal, les montants sont inférieurs à 1% quand on considère les exportations et moins de 3% pour les importations ; et quasiment nuls pour le second après avoir évidemment isolé les parts imputables aux pays de la zone UEMOA.

Il ressort des données (sur les exportations et les importations de biens) présentées supra que le Mali enregistre plus d’activités (exportations et importations de biens) avec le Niger et le Burkina-Faso que les autres pays de la CEDEAO non membres de l’UEMOA.

Le canal par lequel l’intégration du Mali semble être moins contestable est celui de la mobilité des hommes. En prenant en compte ce canal, le Mali est « intimement » lié aux pays de la CEDEAO car cette zone accueille près de 80% des émigrés maliens.

Un retrait du Mali de CEDEAO peut ne pas significativement impacter la mobilité des biens et des capitaux mais peut sérieusement mettre en difficulté la mobilité des hommes, donc du travail. Est-ce que un repli des déplacements consécutif à ce retrait ne va-t-il pas exacerber le chômage des jeunes dans la mesure où l’émigration malienne est majoritairement masculine ?

Avant de créer « sa nouvelle monnaie », l’AES doit répondre à quelles questions ?

Dans un communiqué conjoint daté du 28 janvier 2024, les trois (03) pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) – Le Burkina Faso, le Mali et le Niger – ont décidé de se retirer de la Communauté Economique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avec effet immédiat. Certains analystes pensent que ce retrait de ces trois pays de ladite instance représente le décapsulage du premier étage d’une fusée à deux étages. Ils soutiennent que tôt ou tard le second étage de la fusée que représente l’adhésion de ces trois à l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) sera aussi détaché de la fusée. Et qu’en acceptant de quitter cette union, les trois pays de facto opteront pour la création d’une nouvelle zone monétaire commune concluent les analystes.

Répondre aux vraies questions

La création d’une nouvelle monnaie par les pays dissidents de la CEDEAO doit pousser à répondre aux questions suivantes : cette zone peut-elle être considérée comme monétairement optimale ? quels régimes de politique monétaire doit-elle adopter ? Quelles politiques de change elle doit adopter ? Qu’est-ce qui déterminera le niveau de taux de change de la zone ?

La théorie économique de référence en soutien à la création d’une zone monétaire optimale est celle développée en 1961 par l’économiste canadien Robert Mundell. Selon ce dernier, une zone monétaire est optimale si elle apporte aux pays participants plus de gains que de pertes. Ces gains qui sont d’ordre microéconomique (la suppression des coûts de transaction induits par le change de monnaie pour les activités sur les biens et services et sur les capitaux) et d’ordre macroéconomique (la mise en place entre pays d’une politique monétaire commune). Pendant que les pertes sont consécutives à l’existence du trilemme de Mundell stipulant qu’une fois que la zone monétaire est actée, il est quasiment impossible de réconcilier de manière simultanée stabilité du taux de change, libre circulation des capitaux et autonomie de la politique monétaire.

Les régimes de politiques monétaires sont passées de 1950 à nos jours (mars 2024) par quatre principales évolutions. Du régime discrétionnaire keynésien (1950-1975) au régime de la confiance des nouveaux keynésiens à partir des années 1990 en passant successivement par le régime de la règle des monétaristes (1975-1982) et le régime de la crédibilité des nouveaux classiques (1982-1990).

Dans le domaine des politiques de change, les faits permettent de dégager trois (03) principales politiques de changes. Les politiques d’ancrage ferme du taux de change sur une devise. Les régimes d’ancrage souple. Ces types de régimes permettent de faire flotter le taux change de la monnaie nationale en fonction de certaines limites. Et ces limites qu’une banque centrale peut choisir, peuvent être une cible fixe, une cible qui évolue, une bande de fluctuation (avec valeurs plafond et plancher). Enfin, le flottement du taux de change clôt la liste des régimes de change. Avec un tel régime de change la banque centrale est censée ne jamais intervenir sur le marché de change pour stabiliser le taux de change.

L’ultime question de la liste des vraies questions est relative aux déterminants du taux de change. La théorie économique soutient (même si le consensus n’est pas absolu) que le taux de change pour un pays donné dépend de l’offre et de la demande des biens et services (à long terme), de l’offre et de la demande des capitaux (donc du taux d’intérêt) à court terme et des anticipations des agents économiques (leur degré de confiance) relativement à l’évolution de l’économie (à très court terme). Car les anticipations peuvent être orientées vers les rendements futurs des actions et des obligations.

AES et sa nouvelle monnaie

Les pays membres de l’AES pour créer leur monnaie commune vont quitter une zone monétaire (la zone franc) pour en créer une nouvelle. Sur ce plan, il logique de penser que si ce n’est que le nombres de pays qui diminue rien ne change. Cette nouvelle démarche des pays de l’AES doit être vue à l’aune de la théorie de la zone monétaire optimale de R. Mundell.

En créant une zone monétaire plus restreinte qu’avant leur départ, il est clair que les pays de l’AES n’amélioreront pas les avantages microéconomiques (suppression des coûts de transaction) vis-à-vis des autres pays de l’UEMOA. Bien au contraire, ils détérioreront ce volet les liant aux cinq (05) autres pays de l’UEMOA. En 2022, les pays de l’AES ont présenté une balance commerciale déficitaire de plus de 650 milliards de F CFA vis-à-vis de la zone UEMOA. Pendant que le commerce de biens et services inter pays de l’AES n’atteignaient pas les 12% du montant total à la même date.

La lueur d’espoir que pourrait induire la nouvelle zone monétaire de l’AES (si elle devrait exister) peut venir sûrement des avantages macroéconomiques à travers la mise en place d’une politique monétaire commune. Dans la mesure où les trois pays sont sensiblement équivalents sur le plan des structures de production économiques, la mise en œuvre d’une politique monétaire peut être salutaire sur le plan macroéconomique. Une dernière question demeure. Est-ce que les avantages macroéconomiques pourront gommer les pertes microéconomiques présentées ? La réponse à cette question dépasse largement le cadre du présent article de presse.

En optant pour une nouvelle monnaie, les pays membres de l’AES doivent aussi résoudre l’épineuse question du régime de politique monétaire. La banque centrale de la zone UEMOA (la BCEAO) applique le régime de la confiance des nouveaux keynésiens (à travers une politique de ciblage d'inflation évoluant entre 1 et 3% à court terme). Tout en sachant que ce type de régime de politique monétaire repose une indépendance totale de la banque centrale vis-à-vis des décideurs politiques ; les pays de l’AES vont-ils opter pour un tel régime ? Dans l’éventualité de l’affirmative ; quelle cible d’inflation doivent-ils choisir ? ou, vont-ils choisir une formule hybride d’organisation de la banque centrale ? Je pense que fixer des objectifs de plein emploi et de lutte contre l’inflation avec une cible fixée à 10% semblent opportuns dans le cas des pays de l’AES.

Sur le plan du taux de change, les pays de l’AES en quittant l’UEMOA abandonnent une zone monétaire qui pratique une politique d’ancrage ferme du taux de change sur une devise (l’Euro). Tout en étant en phase avec le régime de politique monétaire que j’ai déjà présentée et en gardant en tête les bases du trilemme de Mundell, les pays de l’AES doivent opter au moins pour une bande de fluctuation (avec des taux plafond et plancher) de leur taux de change.

Les pays membres de l’AES réalisent actuellement (en considérant les données de 2022) les déficits commerciaux les plus importants avec l’ASIE (avec plus de 2300 milliards de F CFA) pendant qu’ils réalisaient avec l’Europe à la même date un excédent commercial estimé à un peu plus de 500 milliards de F CFA. En prenant en compte ces données, et en admettant que le taux de change dépend principalement à long terme (comme la théorie économique le prévoit) des exportations et des importations ; il serait possible de soutenir que les pays de l’AES en adoptant une bande de fluctuation comme régime de change, la valeur plancher de cette bande (au certain) devrait être fixée à 0,12 (une unité monétaire de la zone AES serait cédée contre 0,12 unité de Renminbi – la Chine étant le premier partenaire économique de l’AES parmi les pays asiatiques – . Le taux de change plafond (au certain) serait de 1,3 (une unité monétaire de la zone AES serait cédée contre 1,3 Euro).

Je note qu’un éventuel retrait des pays de l’AES de l’UEMOA engendre des pertes au niveau microéconomique – instauration des coûts de transaction entre les pays de l’AES et les cinq (05) pays restants de l’UEMOA – au plan macroéconomique ce retrait pourrait leur être salutaire. Le qualificatif de zone monétaire optimale ne sera décerné à la nouvelle zone monétaire de l’AES que quand celle-ci parviendrait à générer plus de gains que de pertes pour les citoyens de ce nouvel ensemble. L’obtention d’un tel résultat dépendra forcément de l’alchimie que ces pays membres réussiront à mettre en place en calibrant correctement les instruments suivants : régimes de politique monétaire ; politiques de change ; le niveau de taux de change et le degré d’indépendance de la nouvelle banque centrale. Tout en l’assignant des objectifs clairs orientés davantage vers l’atteinte du plein emploi.

Madou CISSE

FSEG

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