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Pourquoi le taux de chômage de
3,5% ne peut être qualifié de taux de chômage naturel ?
Toute économie dispose à tout moment des
stocks de facteurs de production qui sont utilisés pour l’atteinte de fins
économiques spécifiques, telles que la production, la consommation,
l’investissement etc. Ces facteurs de production sont le travail, le capital et
la terre. Ils sont combinés pour produire des biens et services qui sont à leur
tour utilisés pour servir les besoins de consommation et d’investissement de
l’économie.
Ces stocks de facteurs de production sous
l’hypothèse d’une utilisation
normale conduiraient à
l’établissement d’un optimum que l’orthodoxie économique appelle le plein
emploi économique. Partant d’hypothèses spécifiques dont les plus importantes
sont l’organisation concurrentielle pure et parfaite des marchés réels – Biens
et services ; capital et travail – ; la rationalité parfaite des
producteurs et des consommateurs ; l’absence d’externalités (positives et
négatives) et la flexibilité des prix (prix des biens et services ;
salaires des travailleurs et les taux d’intérêt) les orthodoxes parviennent à
établir cet optimal ou plein emploi économique.
Cet optimum qui est en réalité hypothétique (pour
ne pas dire idyllique) comme l’existence de la structure de marché
concurrentiel pur et parfait pour être considéré comme une réalité factuelle
des économies nationales. Car à cet optimum ou plein emploi les conditions
suivantes sont établies :
Sur le marché des biens et services ou des
produits : les stocks sont
quasiment nuls. Il n’y a pas de pénurie ni d’excès. Les entreprises fonctionnent
à plein régime. Ce qui conduit à une stabilité des prix sur ce marché.
Sur le marché du capital : l’offre de capital (épargne) est en
parfaite adéquation avec la demande de capital (investissement). Donc, les stocks
de capital sont inexistants sur ce marché aussi. Il n’y a pas de surplus de
capital ni de déficit. Le prix d’équilibre (le taux d’intérêt d’équilibre) sur
ce marché permet de réaliser tous les investissements viables ainsi que
certaines dépenses importantes de consommation.
Sur le marché du travail : contrairement aux deux marchés réels
présentés précédemment, le stock de travail ne peut jamais être nul même quand
l’économie est au plein emploi. Parce qu’il va toujours y avoir des
travailleurs qui vont abandonner leur travail soit pour des convenances
personnelles ; soit pour des raisons de saison ; soit parce qu’ils
arrivent pour la première fois sur le marché du travail ; soit parce que
leurs compétences sont en déphasage avec les métiers disponibles dans
l’économie. Par contre, au plein emploi, en dehors de ces causes indépendantes toto
genere du fonctionnement de l’économie ; tout stock de travail
imputable à l’atonie du marché du travail ne peut être signalé.
Ce stock théorique de travailleurs qui existerait
même en situation d’équilibre général ou plein emploi serait compris entre 4%
et 6% dans les pays développés. Lors de sa récente sortie, Le Ministre des
Finances du Mali a soutenu que le taux de chômage au Mali en Mai 2025 faisait
3,5%. Ce taux de chômage est-il le stock de travailleurs non imputable à
l’atonie du marché du travail ? Ou intègre-t-il une part de stocks de
travailleurs pouvant être imputée au fonctionnement conjoncturel de l’économie
malienne ?
Je trouve que ce taux de chômage ne peut être
considéré comme le taux de chômage de plein emploi du Mali. De même qu’une
seule hirondelle ne peut faire le printemps, le seul taux de chômage ainsi
incriminé ne doit être considéré comme le seul indicateur susceptible de
caractériser la situation de plein emploi économique des facteurs de production
au Mali. Car un coup d’œil rapide sur l’économie malienne permet de conclure
que même si le taux de chômage annoncé par Le Ministre des Finances est faible ;
le fonctionnement des deux autres marchés réels (produits et capital) au Mali
semble présenter plus d’instabilité. Donc, des équilibres de sous-emploi. Mes
propos sont d’ailleurs corroborés par l’intervention du Ministre des Finances prouvant
l’efficacité de leurs différentes mesures économiques dans la lutte contre
l’inflation. Car, si l’économie malienne était au plein emploi, leurs
interventions allaient exacerber la hausse des prix des biens et services ou
inflation au Mali.
Donc, pensez que le taux de chômage de 3,5%
est le taux de chômage naturel au Mali semble plus relever du fantasme que
d’une réflexion économique pouvant être qualifiée de scientifique.
Madou CISSE
FSEG
1 commentaire:
Merci beaucoup🙏 Professeur CISSÉ Madou. Votre réflexion est très pertinente et bien argumentée. Je vous remercie encore.
Pour ma part, j'ajouterai d'abord un petit rappel sur le taux de chômage naturel qui est le niveau de chômage incompressible dans une économie en situation de plein emploi. Il intègre :
- Le chômage frictionnel (liés aux transitions ou recherches volontaires d’emploi),
- Le chômage structurel (désajustements entre compétences et besoins du marché),
- Et dans certains cas, le chômage saisonnier.
Pour répondre directement à la question « Pourquoi le taux de chômage de 3,5% ne peut être qualifié de taux de chômage naturel au Mali ? ». Je dirait que ce taux ne résulte pas d’un manque de demande globale ou d’une crise conjoncturelle. Dans les économies développées, il est souvent estimé entre 4% et 6%.
Mais, pourquoi 3,5% ne peut être le taux naturel au Mali ?
1. Un taux inférieur aux normes internationales
Dans les pays développés, même en situation de plein emploi, le chômage naturel reste autour de 4 à 6%. Il est donc improbable qu’une économie comme celle du Mali, confrontée à des défis structurels plus importants, affiche un taux naturel de seulement 3,5%.
2. Le fonctionnement des autres marchés est instable
Le marché des biens et services au Mali est marqué par des pénuries et une forte inflation.
Le marché du capital ne montre pas une adéquation parfaite entre l’épargne et l’investissement, indiquant un déséquilibre. Cela signifie que l’économie n’est pas au plein emploi global.
3. La présence d’un chômage conjoncturel non mesuré
Une partie du chômage pourrait être imputable à l’atonie du marché du travail (crises, instabilité, déficits d’investissement productif), ce qui le rend incompatible avec l’idée d’un chômage strictement naturel.
4. Le taux de chômage ne suffit pas à juger le plein emploi
Le seul indicateur du chômage, même bas, ne garantit pas que les autres facteurs de production (capital, travail, terre) sont utilisés de manière optimale. L’analyse du niveau général de production, des prix, et des capacités inemployées est INDISPONIBLE.
5. Preuves empiriques contraires à l’idée de plein emploi
Enfin, le ministre des Finances (Alousséni Sanou sur ORTM voil sur la chaîne YouTube de l'ORTM sur le lien suivant : https://youtu.be/8d5ZCPPDyGk?si=5O-i41JI448lbjfQ ) a justifié l’efficacité des politiques de lutte contre l'inflation. Or, si l’économie était déjà au plein emploi, ces politiques auraient aggravé l’inflation, ce qui n’a pas été le cas. Cela prouve l’existence d’un sous-emploi structurel latent.
Pour conclure, ce taux de chômage de 3,5% au Mali ne peut être qualifié de taux de chômage naturel, car :
- Il est trop bas par rapport aux standards internationaux,
- Il ignore les déséquilibres structurels des marchés du capital et des biens,
- Il ne tient pas compte du chômage conjoncturel réel dans l’économie malienne.
Ce taux relève donc davantage d’un chiffre politique ou conjoncturel que d’un indicateur scientifiquement valide d’équilibre macroéconomique.
Merci ❗
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