Situation socio-politique du Mali : un dilemme du prisonnier à ciel ouvert

L’existence d’interactions entre les agents économiques est une réalité socio-économique qui a été intégrée dans les analyses économiques depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. A la suite des travaux des premiers théoriciens des jeux, – Oskar Morgenstern (1902-1977) et John von Neumann (1903-1957) – les sciences économique et politique se sont véritablement saisies de cette donne des interactions stratégiques.

Interactions le fondement des jeux

La prise en compte des interactions stratégiques appréhende toutes les situations de la vie courante comme des jeux. Qui parle de jeu, parle, en plus des règles du jeu de trois (03) autres éléments indispensables à tout jeu, à savoir : les joueurs ou participants, les stratégies ou actions des joueurs et leurs paiements ou résultats à la fin du jeu (positifs ou négatifs). C’est sur une telle base que les relations les plus sérieuses telles que les conquêtes géopolitiques, les joutes politiques pour accéder au pouvoir, la concurrence entre entreprises etc., à celles qui sont puériles comme draguer une fille sont toujours assimilées à des jeux. Toutes ces situations ont en commun les interactions comme fondement. Ce qui laisse penser que le résultat obtenu par un participant à un jeu précis n’est point lié exclusivement à ses efforts seuls. Mais son résultat dépend aussi du ou des comportements adoptés par les autres participants contre lesquels il joue.

La présence des interactions conduit à considérer la terre, pour ne pas dire l’univers comme un grand échiquier. Sur cet échiquier, au niveau international prennent place des jeux entre nations pour le contrôle des ressources naturelles et à l’intérieur de chaque nation, des jeux peuvent opposer des groupes (partis politiques, entreprises, syndicats, associations etc.) de centres d’intérêt différents pour le contrôle du pouvoir et des ressources internes.

Jeux non coopératifs vs jeux coopératifs

En termes de catégorisation, les jeux peuvent être coopératifs ou non coopératifs. Quand les joueurs se concertent et développent leurs stratégies respectives de manière collégiale, le jeu devient coopératif. Des exemples d’organisations au sein desquelles les jeux coopératifs prennent place sont : à l’échelle nationale La Synergie des enseignants, à l’échelle sous-régionale l’AES, l’UEMOA, la CEDEAO et au plan international l’UA, l’ONU et sur un plan économique je retiens l’OPEP+. Dans toutes ces organisations, les joueurs se cartellisent en vue d’atteindre des objectifs communs par le biais de jeux dits coopératifs. Par contre, quand les participants de manière unilatérale prennent leurs décisions respectives sans aucune consultation des autres joueurs, le jeu devient non coopératif. Le fonctionnement des marchés concurrentiels est basé exclusivement sur ce type de jeu. Et il peut arriver aussi qu’au plan national, la situation politique interne d’une nation soit régie par des jeux non coopératifs. Dans une telle éventualité, le parti ou le groupe au pouvoir et l’opposition prennent leurs décisions respectives sans consultation préalable de l’autre camp. Au plan géopolitique aussi, les jeux peuvent devenir non coopératifs entre différentes nations pour divers mobiles.

Heureusement que les jeux conduisent généralement à des équilibres stables. C’est-à-dire des situations dans lesquelles chaque participant obtient un gain qu’il ne peut améliorer en adoptant de manière unilatérale une nouvelle action. Et la quintessence de l’équilibre est mise en évidence à travers l’équilibre de Nash – de John Forbes Nash (1928-2015). Avec un tel équilibre, chaque joueur joue sa meilleure stratégie comme réponse à celles jouées par ses adversaires. Ce type d’équilibre étant passé sous les radars des pères fondateurs de la théorie de jeux a suscité tellement de curiosité ; qu’en 1950 A Tucker avec de deux de ses collègues a mis au point un jeu fictif pour tester la robustesse dudit équilibre. Ce jeu nommé le dilemme du prisonnier par les auteurs est devenu par la suite célèbre à cause de ses multiples applications dans la vie réelle.

Le dilemme du prisonnier qui relève de la catégorie des jeux non coopératifs, est basé sur deux principes (1) chaque joueur adopte la stratégie qui lui est favorable au détriment des autres joueurs et (2) en adoptant un tel comportement l’équilibre établi dans le jeu devient sous optimal par rapport à un équilibre pouvant être obtenu à la suite d’une coopération entre les joueurs dans le jeu. Même l’introduction de la dynamique dans ce type de jeu n’affecte pas fondamentalement la structure de l’équilibre sous optimal surtout quand l’horizon temporel à partir duquel le jeu doit prendre fin n’est pas connu d’avance.

Le dilemme du prisonnier au Mali

Tout observateur averti de la situation socio-politique actuelle du Mali ne peut qu’être frappé par les similitudes qui existent entre cette situation et le jeu du dilemme du prisonnier.

En partant des règles du jeu fixées par la Constitution du 22 juillet 2023 et la Charte de la Transition ; il est possible de constater la présence de trois (03) principaux joueurs évoluant sur l’échiquier socio-politique malien. Les détenteurs actuels des principaux leviers du pouvoir et leurs divers soutiens (le 1er joueur), une « opposition civile » qui comprend des partis politiques, les exilés politiques et économiques, les prisonniers « politiques » et « d’opinion » (le 2ème joueur) et les groupes armés (rebelles, terroristes et autres) formant le 3ème joueur. Ces derniers ne peuvent être intégrés à aucun des deux autres camps ; car ils ne sont pas en odeur de sainteté avec aucun des deux précédents joueurs. Histoire d’appuyer davantage la thèse de la similitude entre la situation socio-politique du Mali et le dilemme de prisonnier, je constate que chacun des trois (03) joueurs joue de manière unilatérale. Donc, le jeu est réellement non coopératif. Ce qui m’amène finalement à dire que les trois joueurs participent à un dilemme du prisonnier à horizon temporel « infini » ; car est malin celui qui est capable de préciser la fin de ce jeu !

Comme la théorie le prévoit, les joueurs en adoptant unilatéralement des comportements qui leur sont favorables, cela conduit à des résultats sous optimaux pour chacun des participants par rapport à la situation de coopération. Je trouve que ce résultat théorique est corroboré par la situation socio-politique actuelle du Mali. Une situation caractérisée au plan économique par un accroissement de l’incertitude dans les activités économiques, ce qui conduit à une contraction de la production réelle qui est passée de 4,4% en 2023 à une estimation pour 2024 fixée à 3,8% (https://www.imf.org/fr/News/Articles/2024/04/30/pr-24131-mali-agreement-on-rapid-credit-facility-and-completes-2024-article-iv-mission ). L’équilibre sous optimal de ce jeu ne se limite pas aux indicateurs économiques seuls. C’est toute la vie sociale qui est affectée. Alors que faire ?

Je pense que, tant que la structure du jeu demeurera intacte (jeu non coopératif et de type dilemme du prisonnier), l’équilibre demeurait sous optimal. Dans ce cas, c’est la structure du jeu auquel participent les trois (03) joueurs qu’il faut changer. Dit autrement, les joueurs doivent abandonner l’unilatéralisme dans le développement de leurs stratégies respectives et opter pour la coopération. Comme prévu par les principes de la théorie du dilemme du prisonnier, l’équilibre issu d’une telle éventuelle coopération entre les joueurs sera supérieur à celui que le pays enregistre actuellement.

Ceci étant posé, maintenant, comment instaurer la coopération entre les joueurs ? Pour répondre à cette interrogation, je laisse la parole à Montesquieu (1689-1755) « il ne faut pas toujours tellement épuiser un sujet, qu'on ne laisse rien à faire au lecteur. Il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire penser. »

Madou CISSE

FSEG

 Série : Economie en question (N°14)

Interventionnisme et marchés, attention il y a danger !

Le nouveau keynésien P. KRUGMAN soutient que « les marchés sont de bons organisateurs des activités économiques » (Krugman, P., & Wells, R. 2008). Cette assertion de l’économiste américain s’inscrit dans le sillage de la principale doxa de l’économie mainstream.

Une structure de marché irréaliste mais très utile

L’orthodoxie économique défend une philosophie du « moins Etat » dans les activités économiques. Elle fait pleinement confiance aux marchés (des biens et services, du travail et du capital) pour répondre aux questions suivantes : que produire ? comment produire ? et pour qui produire ? Heureusement que cette confiance de l’orthodoxie en la capacité des marchés à allouer de manière efficace les ressources de l’économie est loin d’être simplement dogmatique !

Le point de départ de l’orthodoxie pour défendre sa conception non interventionniste des autorités dans le fonctionnement des activités économiques est la théorie de la concurrence pure et parfaite (CPP). Même si le principal défaut de ce type d’organisation de marché est son irréalisme, il a toutefois le mérite de mettre en évidence le fonctionnement optimal que devrait atteindre n’importe quelle structure de marché pour assoir les vertus de l’efficacité économique. Partant de ce constat, l’économie mainstream accepte que dans l’économie réelle, tout marché qui coche approximativement toutes les cases conduisant à une structure de CPP ne présente pas suffisamment de causes de défaillance de marché (lire le blog à l’adresse suivante : https://cequejepensemali.blogspot.com/2024/08/serie-economie-en-question-n6-les.html pour revenir sur les quatre principales causes de défaillance que j’ai déjà traitées) pouvant justifier une intervention extérieure dans son fonctionnement.

Toute structure de marché qui enregistre du côté de l’offre beaucoup d’offreurs, qui peuvent y entrer sans être empêchés ou y sortir sans subir de coûts irrécupérables importants et qu’en plus du côté de la demande, les consommateurs considèrent leurs produits respectifs comme substituables ; tout ceci s’exécutant dans un environnement dans lequel chaque participant (offreurs et demandeurs) avant d’agir connaît au préalable toutes les caractéristiques des produits et des technologies (prix, qualité, localisation etc.) ne doit point faire d’intervention extérieure dans son fonctionnement habituel. Pourquoi ?

La principale raison de la non intervention prônée par les orthodoxes réside dans le fait qu’avec ce type de structure de marché (proche de la CPP) l’écart entre les prix fixés et les minimums des coûts économiques unitaires de production est quasi nul. Dans ce cas, toute intervention extérieure en termes de régulation tarifaire ou de rationnement sur ces structures de marché ne fera qu’exacerber cet écart soit en faveur des demandeurs (par des prix plafonds) soit en faveurs des offreurs (par des prix planchers). Et dans toutes les éventualités, le résultat final se traduira par des pertes sèches – prix élevés et quantités réduites – par rapport au fonctionnement normal du marché qui est celui de la concurrence non régulée.

Par contre, l’orthodoxie n’est pas contre une intervention extérieure dans tous les autres cas de concurrence imparfaite (monopole, oligopole à produits homogènes, oligopole à produits hétérogènes et la concurrence monopolistique). La concurrence imparfaite est toujours le résultat d’au moins une défaillance de marché. Et dans un tel contexte, l’écart entre les prix de marché et les minima de coûts économiques unitaires est très important. C’est pour cette raison que l’interventionnisme extérieur peut réduire significativement cet écart à condition qu’il soit bien mené.

Une régulation pour rien !

Au Mali, il n’est pas rare que les autorités interviennent sur le marché des biens et services en fixant des prix plafonds pour certains produits comme le sucre (local et importé), l’huile (locale, importée), la farine de blé et l’aliment bétail comme ce fut le cas en avril 2022 par exemple.

Une analyse des interventions des autorités maliennes à l’aune de la conception faite par l’orthodoxie économique du fonctionnement des marchés permet de comprendre que ces mesures de prix plafonds ne peuvent être concluantes sur les marchés de détails des produits ciblés. Bien au contraire, elles détériorent le fonctionnement de ces marchés (hausse des prix et pénurie) comme prévu par la théorie orthodoxe présentée supra ; pourquoi ?

Une fine observation permet de noter que les marchés de détails ciblés par les autorités cochent tous, toutes les principales caractéristiques de la structure de marché concurrentielle côté offre et côté demande. Donc par voie de conséquence, toute intervention sur ces marchés ne fera que détériorer davantage l’écart déjà existant entre prix et minima des coûts économiques unitaires de production. Toute la teneur des échecs de l’intervention des autorités sur ces marchés de détails est résumée dans ces quelques lignes « Les Maliens sont majoritairement déçus par les autorités. Ils en veulent singulièrement au ministère du Commerce qui semble avoir renoncé à ses sorties, parfois médiatiques, pour contrôler les prix des denrées de première nécessité. » publiées ce 22 novembre 2022 sur maliweb.net à l’adresse suivante : https://www.maliweb.net/societe/commerce-a-quoi-sert-le-controle-des-prix-2999963.html .

Bah oui, les maliens et maliennes ne peuvent qu’être déçus ! Car l’intervention la plus inutile est celle qui se fait sur les marchés concurrentiels. Elle envenime toujours les conditions initialement présentes par des hausse de prix et des pénuries ! Bref, la principale « utilité » des interventions des autorités maliennes sur les marchés de détails des produits ciblés est le gaspillage des ressources économiques au sens propres.

Comme le prévoient les préceptes orthodoxes, l’intervention des autorités est requise et même encouragée sur les structures de marché de concurrence imparfaite. Dans cette perspective, comme les marchés de détails des produits ou marchés aval ciblés par les autorités maliennes sont concurrentiels, l’attention doit se porter exclusivement sur les marchés de gros ou marché amont. Et heureusement, toutes les observations soutiennent que ce segment est oligopolistique (donc concurrence imparfaite). Ceci étant, toujours en phase avec les enseignements de l’orthodoxie économique, l’intervention des autorités maliennes ne peut qu’être souhaitée et même encouragée sur ce segment de marché. En utilisant les bons outils sur ce marché amont, les autorités peuvent atteindre leur principal objectif consistant à réduire l’écart entre les prix de marché et les minima des coûts économiques unitaires des produits ciblés et cela surtout pendant les périodes de forte demande comme durant le mois de ramadan.

Madou CISSE

FSEG

 Série : Economie en question (N°13)

Coûts comptables ou coûts économiques ?

La concrétisation des activités économiques de consommation et de production exige des dépenses monétaires qui sont appelées charges ou coûts. Ces dépenses mesurées en monnaie sont la principale source des calculs comptables dont la justification passe par l’établissement de divers justificatifs dont des factures.

Les économistes aussi utilisent le même concept de coûts ; sauf qu’en économie, ce concept revêt le plus souvent des dimensions beaucoup plus larges que la seule dimension monétaire mise en avant chez les comptables. C’est pour cette raison que les économistes utilisent le concept de coûts économiques dans le but d’établir une différence nette entre leur acception du concept de coûts et celle des comptables qui s’appuient sur les coûts comptables.

Illustrons nos propos dans le but d’établir un net distinguo entre les deux acceptions du concept « coûts ». Supposons une entreprise A qui offre un bien en supportant des dépenses de montant X pour le fonctionnement normal mensuel de son processus de production. En plus, l’entreprise continue d’utiliser une camionnette de livraison pour laquelle elle ne peut plus faire des provisions pour amortissement (car déjà amortie au plan comptable). Mais les frais de location d’une camionnette équivalente sur le marché font Y.

A partir de l’illustration présentée supra, nous pouvons faire les remarques suivantes : le montant total dépensé par l’entreprise A pour couvrir son fonctionnement mensuel est nommé par les économistes de coûts explicites ; l’entreprise A paie réellement ces dépenses en question en émettant des chèques par exemple. Tandis que pour le montant Y, l’entreprise ne paie pas effectivement, c’est-à-dire elle n’émet pas de chèque. Mais pourtant ce coût existe pour les économistes. C’est pour cela que les économistes l’intègrent dans leurs calculs des coûts de l’entreprise A. Et il porte le nom de coûts implicites. Même s’il n’exige pas de sortie réelle d’argent, ce type de coûts existe. Donc, il faut l’intégrer dans les coûts de l’entreprise A. Le coût économique de l’entreprise A se compose d’un point de vue économique de deux (02) coûts, à savoir les coûts explicites X et les coûts implicites Y. Pendant que les comptables se limiteront exclusivement aux coûts explicites X seuls dans la présente illustration.

Les gains que l’entreprise A ne peut plus engranger pour le fait que l’utilisation dans le fonctionnement mensuel du montant X la prive d’une utilisation alternative dudit montant et combinés aux gains qu’elle devrait aussi avoir dans une utilisation alternative de la camionnette amortie sont nommés coûts d’opportunité.

Si les comptables se limitent aux coûts explicites, les économistes dans leurs analyses vont au-delà des coûts explicites en prenant en compte aussi les coûts implicites s’ils existent. Cela crée une différence majeure entre le concept de coûts selon que l’on soit comptable ou économiste. En plus des coûts explicites et implicites, les économistes tiennent comptent aussi d’un troisième type de coûts à savoir les coûts d’opportunité qui ne doivent être en aucun cas confondus avec les deux autres.

Madou CISSE

FSEG

 

Série : Economie en question (N°12)

Entre vendeurs et acheteurs qui supportent réellement le poids des taxes (la TVA par exemple) ?

Le dictionnaire Larousse définit la taxe comme « [un] Prélèvement à caractère fiscal, destiné à alimenter la trésorerie de l'État, d'une collectivité locale ou d'un établissement public administratif en contrepartie d'un service rendu aux administrés. »

Dans ce blog, je réponds à la question suivante : entre vendeurs et consommateurs qui supportent réellement le poids des taxes appelé dans le jargon financier l’incidence de la taxe ?

La réponse à cette question me semble importante, car elle dissipe des malentendus quant à l’incidence réelle des taxes. Il n’est pas rare d’entendre très souvent que c’est le consommateur final qui supporte l’incidence ou le poids des taxes, spécifiquement la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA).

J’utilise la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comme base de démonstration dans le présent papier. Ce choix est motivé par le fait que cette taxe au Mali a représenté en 2021 la principale source des recettes fiscales avec 28% de celles-ci très loin devant les impôts sur les bénéfices des sociétés estimés à la même période à 16% des recettes fiscales. https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/topics/policy-sub-issues/recettes-fiscales-mondiales/statistiques-recettes-publiques-afrique-mali.pdf .

Beaucoup de personnes, parmi elles des « professionnels » admettent que ce sont les consommateurs finals qui supportent l’incidence de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Effectivement, quand un consommateur achète par exemple un forfait Internet, il le paie toute taxe comprise (TTC). Donc, le montant payé par le consommateur inclut toutes les taxes dont la TVA. Et pour régler son achat de forfait Internet, le consommateur met effectivement la main à la poche. C’est cet acte effectué par le consommateur qui pousse certains observateurs à soutenir que c’est le consommateur final qui supporte toute la totalité de la TVA. Est-ce vrai que ce sont les consommateurs finals qui supportent tout le poids de la TVA ? Le lecteur de ce blog ne doit pas surtout confondre payer une taxe et supporter le poids d’une taxe (incidence). Oui le consommateur paie toute l’entièreté de la taxe facturée par le vendeur du forfait Internet. Mais est-ce que cela implique qu’il supporte la totalité de la TVA ainsi payée ?

Les économistes soutiennent que ce n’est pas celui qui paie la taxe ou qui fait le chèque pour les services des impôts (qu’il soit acheteur ou vendeur) qui supporte réellement l’incidence ou le poids d’une taxe. Ils soutiennent que l’incidence de la taxe dépend en réalité des élasticités prix de l’offre et de la demande des biens ou services soumis à la taxe – une élasticité prix mesure la réaction en pourcentage de la demande ou de l’offre à la variation en pourcentage du prix d’un bien ou d’un service donné.

Dans une telle perspective, le poids de la taxe ou l’incidence de la taxe est supporté principalement par le côté du marché (acheteur ou vendeur) qui enregistre la réaction à la variation du prix du bien ou du service la plus faible. En d’autres termes, le côté du marché qui est le moins élastique qui supportera réellement le poids le plus important de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). Ce qui veut dire que les vendeurs ne peuvent pas répercuter tout le montant de la TVA sur le prix de vente si la demande du bien ou du service vendu est plus élastique que son offre. Dans une telle éventualité, le vendeur supportera une partie de la TVA en réduisant sa propre marge. Par contre dans le cas contraire (si la demande est moins élastique que l’offre), le vendeur dispose les coudées franches lui permettant de répercuter une frange importante de la TVA sur le prix de vente. Dans ce cas, c’est le consommateur qui supportera significativement la TVA. Dans tous les cas, il extrêmement rare de rencontrer des cas réels dans lesquels, seul le consommateur final supporte entièrement la totalité de la TVA. Cas qui ne se réaliseront que quand la demande est parfaitement inélastique (la demande du bien ou du service reste inchangée à toute variation du niveau du prix du bien ou du service).

Le développement présenté supra permet d’affirmer que : (1) penser que ce sont les consommateurs finals qui supportent la totalité de la TVA est un argument spécieux. (2) Celui paie la taxe n’est pas toujours celui qui supporte réellement le poids de la taxe. (3) Les autorités ne peuvent pas non plus imputer le poids d’une taxe de manière spécifique à un côté du marché (vendeurs ou acheteurs). (4) En définitive, l’incidence de la taxe dépend principalement de la distribution effective des élasticités prix de l’offre et de la demande sur les marchés.

Selon vous, une taxe exceptionnelle de 30% appliquée en même temps sur le prix du litre de l’essence et sur le ticket de concert de Faty Niamè KOUYATE peut-elle impacter les consommateurs dans les mêmes proportions ? Pourquoi ?

Madou CISSE

FSEG

 

Série : Economie en question (N°11)

Marché mondial de l’or : la quantité demandée a -t-elle augmenté ? ou c’est la demande qui a augmenté ?

Quand les économistes analysent les phénomènes économiques relatifs aux marchés, ils utilisent très souvent les expressions suivantes : « augmentation ou diminution de la demande » ; « augmentation ou diminution de la quantité demandée » ; « augmentation ou diminution de l’offre » et « augmentation ou diminution de la quantité offerte ».

Variation du prix une force motrice mais pas la seule

Si les économistes sont attentifs en s’exprimant, ils savent que ces expressions décrivent des réalités économiques distinctes. Ils vont toujours dire « augmentation ou diminution de la quantité demandée » respectivement « augmentation ou diminution de la quantité offre » pour décrire les conséquences d’une variation (augmentation ou diminution) du prix d’un bien ou d’un service sur les marchés réels. Tandis qu’ils vont dire « augmentation ou diminution de la demande » respectivement « augmentation ou diminution de l’offre » pour dépeindre l’impact de la variation de tout autre déterminant de la demande ou de l’offre d’un bien ou d’un service sur les marchés réels. Les conséquences ultimes de ce dernier type de déplacement peuvent conduire soit à un renchérissement du prix du marché soit à une diminution du prix du bien ou du service concerné.

De manière métaphorique, la variation du prix d’un bien ou d’un service peut être considérée comme un déplacement le long de la courbe de demande ou de celle de l’offre. Alors que le changement dans les autres déterminants (excepté le prix) se traduit par un déplacement parallèle soit de la courbe de demande soit de celle de l’offre pour tout niveau de prix donné.

Un déplacement sur le marché mondial de l’or

Actuellement le prix mondial du métal jaune est en train de battre tous les précédents records déjà établis. Le prix de l’once (soit 31,104 grammes) tutoie les 2.500 dollars US (soit 1.250.000 F CFA). Pourquoi une telle hausse ?

La hausse actuelle du prix mondial de l’or est principalement entretenue par une augmentation de la demande de ce métal occasionnée par les banques centrales du sud global (spécifiquement celles de la Russie, de la Chine et de l’Inde) qui sont en train de dédollariser leurs actifs au profit de l’or.

Un économiste qui interprète cette hausse inédite du prix mondial de l’once d’or présume d’abord qu’une telle hausse se fait à offre constante. Donc, la hausse du prix mondial est à chercher du côté de la demande. La préférence des banquiers centraux pour une « dédollarisation » de leurs actifs va être traduite par l’économiste comme un déplacement parallèle de « la courbe » de demande de l’or. Ensuite, l’économiste soutiendra qu’avec le même niveau d’or offert et le même prix de vente, toute hausse de la demande se traduira par une augmentation du prix du bien ou du service. C’est exactement ce qui s’est produit sur le marché mondial de l’or. Dans une telle situation, il dira tout simplement qu’une augmentation de la demande (et non une augmentation de la quantité demandée) due à un changement dans la préférence des banquiers centraux du Sud Global vis-à-vis du dollar a conduit à une hausse du prix du métal jaune.

En étant attentif, aucun économiste de métier ne dira que la hausse actuelle du prix mondial de l’once d’or est le résultat d’une augmentation de la quantité demandée d’or (c’est-à-dire un déplacement le long de la courbe de demande), mais plutôt un déplacement parallèle de la courbe de demande du métal jaune.

Madou CISSE

FSEG

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