Série : Economie en question (N°5)
Théorie
de la valeur : pourquoi le diamant a plus de valeur économique que
l’eau ?
Le paradoxe de l’eau et du diamant a
tenu en haleine les philosophes et autres penseurs de l’antiquité jusqu’à son
dénouement définitif à la fin du 19ème siècle. Comment expliquer que
l’eau qui est d’une utilité incontournable dans la vie des êtres organiques (plantes,
animaux et Hommes) ait moins de valeur économique face au diamant qui n’a pas
une si grande importance dans le maintien de la vie organique ? Voilà à
travers cette interrogation toute la teneur du paradoxe ainsi posée ! Même
avec la découverte de la valeur d’usage et de la valeur d’échange dont la paternité
aurait été attribuée à Aristote l’énigme de la valeur économique des biens et
services restera sans solution scientifiquement admise jusqu’à la naissance de
l’école de pensée marginaliste.
Alors qu’est-ce qui fonde
économiquement parlant la valeur d’un bien ou d’un service ?
Une
approche objective de la valeur
Dans un premier temps, les
économistes ayant été dans l’incapacité de trancher le paradoxe de l’eau et du
diamant ont adopté une approche objective de la détermination de la valeur. Elle
met l’accent sur une conception vénale de la valeur. Ce qui suppose qu’un bien
ou un service qui n’est pas marchand n’a pas de valeur économique. Dans une
telle perspective, c’est la valeur d’échange qui prime sur la valeur d’usage.
Les mercantilistes (16ème
– 18ème siècles) sont les premiers penseurs à s’inscrire dans la
défense de la valeur objective des biens et services au plan économique. Pour
eux, la valeur des biens et services dépend principalement de la quantité de
métaux précieux (or ou argent) qu’ils permettent d’acquérir. Les physiocrates
(1750 – 1770) réfutant la théorie de la valeur des mercantilistes soutenaient
que le principal fondement de la valeur des biens et services est la terre à
travers l’agriculture qui était considérée par eux comme la source de toute
valeur. Toujours en défendant l’approche objective de la valeur, A. Smith en
1776 après avoir réfuté les théories mercantiliste et physiocrate de la valeur dans
son livre Recherches sur la nature et les
causes de la richesse des nations allait insister sur le fait que seul le
travail « direct » fondait la valeur des biens ou services. Pour lui,
si par exemple, il faut 6 heures de travail pour produire un bien X et 2 heures
pour un bien Y, alors le bien X aura trois fois plus de valeur que le bien Y. A
sa suite, David Ricardo dans son ouvrage Des
principes de l'économie politique et de l'impôt (1817) ajoutait qu’en plus
du travail « direct », le travail « indirect » contribue à
déterminer la valeur d’un bien ou d’un service. Par exemple, si pour produire les
biens X et Y (cités supra), il faut maintenant respectivement 2 et 14 heures
pour produire les capitaux servant à produire lesdits. En tenant compte des
quantités de travail « indirect » ainsi retenues, c’est le bien Y qui
aura 2 fois plus de valeur que le bien X. C’est cette même approche objective de
la valeur qui a été défendue aussi par Karl Marx (1818 – 1883) l’élève de D.
Ricardo. L’idéologue du socialisme a défendu lui aussi comme fondement de la
valeur le travail des ouvriers face aux détenteurs des capitaux.
Pour boucler la boucle sur cette
approche, en 1850, Claude Frédéric Bastiat dans son ouvrage Harmonies économiques tout en restant
fidèle à l’approche objective de la valeur y précisait que la valeur dépendait
exclusivement de la quantité d’efforts épargnés. Un tel positionnement de cet
auteur sur la question du fondement de la valeur n’est pas sans nous rappeler
le proverbe suivant « le chanceux vend de l’eau au bord du fleuve ». Ce
qui peut être interprété que le chanceux en réalité ne vend pas l’eau, mais les
efforts qu’il épargne aux acheteurs, efforts que ces derniers devraient
déployer pour se fournir en eau.
Je constate que l’approche objective
de la valeur exclut du champ de la valeur tous les biens et services qui ne
sont pas marchands. Par exemple l’air pur, l’ensoleillement, les fleuves, les
forêts etc. selon cette approche n’ont aucune valeur économique. Cette approche
rend impossible l’estimation des biens et services publics qui ne sont pas
vénaux. Ce sont ces insuffisances que l’approche subjective de la valeur a
corrigées tout en résolvant le paradoxe de l’eau et du diamant.
Une
approche subjective de la valeur
Le bal de cette approche a été
ouvert par Jean B Say en 1803 dans son Traité d'économie politique. Pour cet auteur,
c’est l’utilité qui fonde la valeur d’un bien ou d’un service. Cette conception
de la valeur basée sur l’utilité qu’apportent les biens et services permet
d’inclure dans la richesse d’une nation tous les biens et services pourvu
qu’ils aient une utilité. Le triomphe définitif de cette approche fut atteint
après les apports décisifs de l’école de pensée marginaliste.
Cette école y est parvenue en
développant la théorie de l’utilité marginale. L’un des pionniers de cette
école fut L. Walras. Dans son livre éléments
d’économie politique pure (1896), soutenait que l’explication relative au fondement
de la valeur à laquelle lui-même adhérait et défendue en premier par son père
Antoine Auguste Walras (1801-1866) et Jean-Jacques Burlamaqui, (1694-1748) retenait
l’utilité et la rareté. Pour ces auteurs, toujours selon L. Walras, la valeur
économique des biens et services est toujours fondée par l’utilité et la
rareté. Ce qui permet d’admettre que si deux biens ou services sont tous les
deux utiles, celui qui enregistre un niveau de rareté le plus important aura
dans ce cas plus de valeur.
En développant la théorie de la valeur utilité basée sur le concept d’utilité marginale, les marginalistes, pour paraphraser Joseph A. Schumpeter (1942), la théorie subjective de la valeur a définitivement enterré l’approche objective de la valeur. Par ricochet, elle résout aussi le paradoxe de l’eau et du diamant. Si le fondement de la valeur devient l’utilité et la rareté, il va de soi que le bien ou le service qui est le plus rare ait une utilité marginale plus élevée et par conséquent aura plus de valeur. Ainsi, l’eau qui est normalement plus abondante que le diamant aura forcément une utilité marginale plus faible que celle du diamant, et aura donc moins de valeur que ce dernier !
1 commentaire:
Merci professeur pour nous avoir éclairé encore une fois de plus fois
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