Contribution

Auteur : Dr Kalifa DIARRA  (Maître-Assistant-FSEG)

Analyse des Causes et Conséquences des Inondations au Mali en 2024 : Une Saison des Pluies Dévastatrice du début de la saison des pluies au mois août 2024.

Le Mali, un pays sahélien déjà confronté à de multiples défis socio-économiques, a été gravement touché en 2024 par une série d'inondations catastrophiques. Ces événements ont bouleversé la vie de milliers de Maliens, exacerbant les conditions de vie dans un contexte de vulnérabilité climatique accrue. L’année 2024 a marqué un tournant dans la perception de la gestion des risques au Mali, avec une saison des pluies qui s'est transformée en un cauchemar pour de nombreuses communautés.

Dans cet article j’explore les causes profondes de ces inondations récurrentes, leurs conséquences dévastatrices sur la population et sur l'économie, ainsi que les réponses apportées par le gouvernement pour faire face à cette situation d'urgence.

Causes des Inondations : Un ensemble complexe des causes de facteurs naturels et humains

Les inondations qui ont ravagé le Mali en 2024 résultent de la conjonction de plusieurs facteurs, à la fois naturels et anthropiques. Ces causes, bien qu'interconnectées, montrent l'ampleur du défi auquel le pays est confronté dans sa lutte contre les catastrophes naturelles.

-          Le Changement Climatique : Une Menace Croissante

Le changement climatique est sans doute l'un des principaux moteurs des inondations au Mali. Les modèles climatiques montrent que les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les pluies torrentielles, deviennent de plus en plus fréquents et intenses. En 2024, le Mali a subi des précipitations exceptionnellement abondantes, dépassant les moyennes saisonnières. Ces pluies intenses, combinées à des températures élevées, ont provoqué un ruissellement excessif des eaux de surface, saturant les sols et engorgeant les systèmes de drainage. Le changement climatique modifie également la répartition spatiale et temporelle des pluies, rendant difficiles la prévision et la gestion de ces événements.

-          Gestion Inadéquate des Infrastructures : Un Défi Structurel

La gestion des infrastructures au Mali, notamment dans les zones urbaines en pleine expansion, reste un défi majeur. Le développement rapide des villes, en particulier la ville de Bamako, a souvent été réalisé sans planification adéquate, entraînant une prolifération de constructions dans des zones à risque. Les systèmes de drainage existants sont souvent obsolètes ou mal entretenus, incapables de gérer les volumes d'eau générés par les fortes pluies. Les canaux de drainage bouchés, les routes mal conçues, et les habitations construites sur des terrains inondables contribuent tous à amplifier les impacts des inondations.

-          Pratiques d'Occupation du Sol : Une Déforestation et une Urbanisation Mal Gérées

Les pratiques d'occupation du sol au Mali jouent également un rôle crucial dans l'aggravation des inondations. La déforestation, principalement due à l'exploitation du bois et à l'agriculture extensive, a considérablement réduit la couverture forestière du pays. Les forêts, qui absorbent naturellement l'eau de pluie, ont été remplacées par des terres nues ou des cultures, augmentant le ruissellement et réduisant la capacité d'infiltration des sols. De plus, l'urbanisation rapide a conduit à l'occupation de zones autrefois non bâties, perturbant les écoulements naturels des eaux et augmentant les risques d'inondation.

Conséquences des Inondations : Un Impact Profond sur la Société et l'Économie

Les inondations de 2024 ont eu des répercussions profondes sur le plan humanitaire et économique au Mali. Les conséquences de cette catastrophe ont touché tous les aspects de la vie des Maliens, laissant des cicatrices durables dans les communautés affectées.

-          Conséquences Humaines : Des Vies Perdues et des Populations Déplacées

Les inondations ont touché 122 localités à travers 17 régions du Mali, ainsi que le District de Bamako. Environ 47 374 personnes ont été affectées, dont 7 077 ménages. Parmi ces victimes, 30 décès sont à déplorer, avec des chiffres particulièrement élevés à Ségou, Gao, et Bamako. Ces pertes humaines sont souvent le résultat d'effondrements de maisons, de noyades, ou de blessures causées par des débris emportés par les eaux. Outre les morts, 104 personnes ont été blessées, et de nombreux survivants ont été contraints de quitter leurs foyers, augmentant le nombre de déplacés internes dans un pays déjà fragilisé par des conflits.

-          Conséquences Économiques : Des Dégâts Matériels et des Pertes Agricoles

Sur le plan économique, les inondations ont causé des dommages considérables aux infrastructures, aux habitations, et aux terres agricoles. Des maisons ont été détruites, des routes coupées, et des ponts emportés par les eaux. Les pertes agricoles sont particulièrement préoccupantes, car elles menacent la sécurité alimentaire dans un pays où l'agriculture est la principale source de subsistance. Les cultures ont été submergées, les sols érodés, et les moyens de production anéantis, augmentant ainsi la dépendance du pays aux importations alimentaires et aggravant la pauvreté.

Réponse du Gouvernement : Une Mobilisation Institutionnelle et Financière

Face à l'ampleur de la catastrophe, le gouvernement malien a mis en place plusieurs mesures pour atténuer les effets des inondations et venir en aide aux populations sinistrées. Cette réponse s'articule autour de deux axes principaux : la mobilisation des institutions de gestion des crises et le soutien financier aux victimes.

-          Mobilisation des Dispositifs de Gestion des Crises

Le gouvernement a rapidement activé le Comité interministériel de Gestion des Crises et de Catastrophes, qui joue un rôle central dans la coordination des efforts de secours. Le Centre de Coordination et de Gestion des Crises, l'outil opérationnel du Comité, a été activé par la décision n°2024-000435/MSPC-SG du 30 mai 2024. Ce centre a permis de coordonner efficacement l'aide d'urgence, notamment en fournissant des vivres, des biens non alimentaires, et des abris temporaires aux ménages déplacés.

-          Soutien Financier et Logistique

En plus de la mobilisation institutionnelle, le gouvernement a débloqué 128 millions 595 mille 800 francs CFA pour l'assistance directe aux victimes, ainsi que 4 milliards de francs CFA supplémentaires pour renforcer le stock national de sécurité alimentaire et couvrir les besoins immédiats des sinistrés. Cette aide financière a été complétée par le relogement de 903 ménages dans des écoles, offrant ainsi un abri temporaire aux familles dont les maisons ont été détruites.

Les inondations de 2024 au Mali ont été un rappel brutal de la vulnérabilité du pays aux catastrophes naturelles, en particulier dans le contexte du changement climatique. Si le gouvernement a pris des mesures importantes pour répondre à l'urgence, ces événements soulignent la nécessité d'un renforcement des capacités de résilience à long terme. Cela implique non seulement une meilleure gestion des infrastructures et de l'urbanisation, mais aussi une adaptation des pratiques agricoles et une protection renforcée des écosystèmes naturels. Le Mali doit désormais s'engager dans une voie de développement plus durable, qui intègre la gestion des risques climatiques comme une priorité nationale pour éviter que de telles catastrophes ne se répètent à l'avenir.

 

Série : Economie en question (N°7)

Problème économique: Point de vue économique, une application au fonctionnement des universités privées et publiques du Mali.

Les historiens de l’économie font dater la science économique, malgré les précurseurs (mercantilisme et physiocratie), à la publication du livre d’Adam SMITH (philosophe et économiste écossais) en 1776 intitulé : « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations » mais plus connu sous le nom de la richesse des nations. Ce livre de SMITH va constituer une référence pour toute une génération des économistes. C’est ainsi que le 18è et 19è siècle se voient la succession de différentes théories économiques et des écoles de pensée (classiques, marxistes, keynésiens etc.) et depuis la question sur les problèmes économiques est devenue une préoccupation permanente, des explications alternatives sont apportées. Mais, les désaccords persistent parce que ces explications n’apportent pas toujours des réponses tranchées. Ces points de désaccord sont aux frontières de l’économie.

Désaccords des économistes : qui dit vrai ?

Dans les débats à la télévision, aux conférences, aux journaux, surtout dans les livres de sciences économiques, les économistes prennent position sur des questions de politique publique. Leurs désaccords portent sur leur perception du fonctionnement du monde, sur la façon dont ils décrivent l’économie et sur les conséquences qu’ils anticipent de certaines actions.

Généralement, les thématiques sur les problèmes politiques économiques reviennent régulièrement et débattues sont telles que : le libre-échange, le chômage, l’inflation, la croissance. Les décisions gouvernementales sont longuement discutées : on est pour ou contre la privatisation des entreprises étatiques, l’augmentation des impôts ou la modification du régime de pensions de vieillesse. Des experts commentent l’évolution des prix comme tels que les salaires, le taux d’intérêt, ou du taux de change.

Le néophyte s’y perd souvent dans ces discussions : les batailles de chiffres et d’experts sont rarement conçues pour l’aider à comprendre. L’organisation même de ces débats est déroutante puisque des vues opposées sont habituellement mises en présence. Un éminent invité avance plusieurs arguments en faveur du libre-échange tandis qu’un autre trouve autant de raison de s’y opposer ; la privatisation d’une société d’Etat est approuvée par un spécialiste et contestée par un autre intervenant réputé. Qui dit vrai ? Comment distinguer les opinions neutres, impartiales, objectives, des prises de position visant à défendre les intérêts d’un groupe de pression ?

Une familiarité minimale avec les concepts économiques peut aider la personne attentive à départager les intérêts en présence et à se former une opinion éclairée. Depuis des siècles, les économistes sont confrontés à des types de questions, presque toujours les mêmes et ils ont développé une approche originale pour y voir plus clair. Comment abordent-ils une question ? Quelles sont les forces et les faiblesses de leur grille d’analyse ? Quels en sont les concepts de base ? Un exemple simple fournit une amorce de réponse à ces questions et permet un premier contact avec le point de vue économique. Un problème économique commun : la rareté des ressources.

Tout problème économique découle de ce fait: les ressources sont rares et polyvalentes, satisfaire tous les désirs de tous est impossible. Il faut faire des choix d’allocation des ressources, qui excluent tout gaspillage (choix OPTIMAL).

A l’université de Bamako comme dans d’autres universités de la place, la confection de l’emploi du temps des étudiants est une source permanente de mécontentement. Peu d’étudiants ont un emploi du temps idéal, plusieurs ayant des cours du matin et tard le soir pendant toute la semaine (lundi au samedi). Pourtant, les responsables font de leur mieux. Comment expliquer une telle situation ?

La raison est très simple : le nombre d’amphithéâtre ou salles de cours est limité. Dans le langage des économistes, on dit que les ressources sont rares. Alors, il est impossible de satisfaire tout le monde en même temps. Faute d’amphithéâtres ou de salles de cours, la population étudiante ne peut pas suivre tous ses cours durant les périodes les plus en demande et on doit prévoir des cours à des heures qui conviennent peu. La rareté (le nombre insuffisant) des locaux contraint l’administration à faire des choix qui affectent le bien-être des étudiants à des degrés différents. C’est la présence de cette contrainte qui fait de la confection de l’emploi du temps un problème à caractère économique. Le problème de choix n’existerait pas si l’université disposait d’un nombre illimité d’amphithéâtres ou salles de cours ; la population étudiante pourrait alors suivre tous ces cours durant les périodes les plus convoitées. Le problème économique est de même nature : les ressources disponibles sont insuffisantes pour produire tous les biens que la société désire. Il faut choisir les biens qui seront produits et renoncer aux autres. Sans la contrainte des ressources rares, le problème économique disparait. La tâche des responsables de la confection de l’emploi du temps consiste à tirer le meilleur parti possible des locaux disponibles, à en faire une utilisation intelligente afin de maximiser le bien-être de la population étudiante.

La tâche de l’économiste est similaire : il veille à ce que la société exploite les ressources disponibles de manière à en retirer le maximum de satisfaction. Cette tâche comporte toutefois une difficulté majeure: il faut préciser ce qu’on entend par « satisfaction de la collectivité », qu’il s’agisse de la population étudiante ou de la société en général. L’analyse de politique repose sur une évaluation de leurs effets sur le bien-être collectif ?

M. Abdoulaye CAMARA

FSEG

 

Série : Economie en question (N°6)

Les principales causes de défaillance des marchés réels

Les autorités doivent-elles intervenir sur les marchés réels ? La réponse à cette question a toujours divisé les économistes. Pour J. E. Stiglitz le marché n’a pas de profil intrinsèque. Pendant que P. Krugman soutient que le marché est un bon organisateur des activités économiques. Dans ce cas, que faut-il alors retenir ?

L’économie mainstream quant à elle répond à la question soulevée supra par un grand non et un petit oui. L’orthodoxie économique soutient que l’immixtion des autorités dans le fonctionnement des marchés ne peut être justifiée que quand il y a défaillance de marché. Un marché est dit défaillant quand son fonctionnement ne permet pas d’atteindre le même niveau d’allocation des ressources qu’assurerait une structure de marché concurrentielle. Ce qui veut dire que le marché qui est défaillant fonctionne de manière inefficace – une moindre quantité produite à un coût supérieur au minimum du coût unitaire de production – par conséquent il crée toujours des manques à gagner par rapport au fonctionnement concurrentiel du marché.

Les principales causes de défaillance de marché ont été pleinement documentées dans la littérature économique. Elles sont au nombre de quatre (04). Ce sont elles qui contribuent à écarter significativement la structure de certains marchés spécifiques de l’organisation concurrentielle des marchés. Il s’agit de :

(1)   Les économies d’échelle. Quand le processus de production sur un marché donné obéit à la décroissance du coût unitaire de production. Il est préférable dans un tel cas de confier l’exploitation de ce marché à une seule entreprise qui portera le nom de monopole naturel. Comme une telle structure de marché s’écarte logiquement de la concurrence, il ne serait pas inopportun pour les autorités d’intervenir sur un tel marché dans le but d’améliorer l’efficacité d’un tel marché. Ce faisant, elles peuvent réduire la taille du manque à gagner qu’un tel marché génère par rapport à une structure concurrence parfaite.

(2)   Les externalités. Quand le comportement positif ou négatif d’un agent économique impacte d’autres agents pour lequel il n’y a pas de compensation. L’absence d’un mécanisme de compensation conduit toujours à créer un écart entre les coûts privés (supportés pour la production) et les coûts sociaux (supportés par la communauté). Dans une telle situation l’intervention dans le fonctionnement du marché est défendue par l’économie mainstream.

(3)   Les asymétries d’information. Quand il y a détention d’information privée par un ou des agents. Dans cette situation aussi, le marché s’écarte du fonctionnement concurrentiel. Et l’intervention extérieure devient salutaire pour la bonne marche du marché vers l’atteinte d’une certaine efficacité économique.

(4)   Les biens ou services publics/communs/de club. Quand la ressource concernée par l’analyse n’est pas privée (c’est-à-dire rivale et excluable) alors le fonctionnement du marché qui lui est associé ne peut plus être efficace. Dans ce cas aussi, l’intervention extérieure est permise.

En l’absence de ces causes de défaillance, l’intervention extérieure sur un marché réel n’est plus opportune. En intervenant malgré tout, non seulement l’objectif d’efficacité économique ne sera pas atteint, en plus l’intervention extérieure ne fera qu’empirer la situation. Le tableau dramatique que l’intervention extérieure dessinera se résumera à des hausses de prix consécutives à une baisse de la quantité offerte ; à un gaspillage des ressources de l’économie dont la principale est le temps et enfin, l’intervention conduira au développement de marché noir ce qui aboutira inéluctablement à une baisse des recettes de l’Etat interventionniste.

Ceci étant posé, pensez-vous que les autorités maliennes doivent-elles toujours intervenir sur les marchés de détails du sucre en poudre, du lait en poudre et de l’huile en fixant des prix plafonds ?

Madou CISSE

FSEG

Digitalisation des moyens de paiement : cas de la police, mieux vaut inciter que contrôler

Pendant que les économistes hétérodoxes à la suite de John Maynard KEYNES (1936) soutiennent que les agents économiques baignent dans des situations d’incertitude radicale – c’est-à-dire des situations d’incertitude non probabilisable – les économistes orthodoxes à l’image de Frank Knight (1921) pensent que les agents économiques évoluent plutôt dans des situations d’incertitude probabilisable ou risque.

Il y a incertitude et il y a incertitude

L’incertitude qu’elle soit radicale ou qu’elle soit probabilisable (ou risque) est unanimement acceptée par les économistes de tous les bords comme faisant partie des éléments à prendre en compte dans les analyses économiques. D’ailleurs, les conclusions de l’économie positive à ce sujet sont formelles. L’existence de l’incertitude n’annihile point la marche de l’économie vers l’efficacité productive ! Mais comme le dirait l’autre, le diable niche dans les détails. En réalité, toutes les situations d’incertitude ne se valent pas d’un point de vue purement économique. Certains types d’incertitude peuvent sérieusement perturber l’efficacité productive de l’économie.

Si l’incertitude ne handicape pas le fonctionnement normal des activités économiques, il s’agit bien évidemment des situations où l’incertitude est uniformément répartie entre les agents économiques. Ce qui supposerait qu’aucun agent ne dispose un avantage informationnel sur un autre. Dans une telle situation, tous les agents évoluent dans un contexte où l’information qu’ils détiennent est incomplète pour tout le monde. L’information qui manque aux uns manque exactement aux autres. Si sur le marché du miel, tous les agents (acheteurs et vendeurs) savent qu’il existe sur ce marché des miels de bonne qualité et de mauvaise qualité dans des proportions connues respectivement 60% et 40% par exemple. En plus, aucun agent en face d’une quantité de miel ne peut déterminer la qualité (bonne ou mauvaise). Sur un tel marché il y a incertitude mais uniformément repartie (car tous les agents baignent dans le même contexte informationnel incomplet mais uniformément réparti). Donc, ce marché fonctionnera efficacement d’un point de vue économique même si ceux qui auront la malchance d’avoir une part des 40% des miels de mauvaise qualité auront des regrets (heureusement que le regret ne rentre pas en ligne de compte dans la détermination de l’efficacité économique !)

A supposer maintenant que sur ce marché, les vendeurs connaissent précisément la qualité de leur miel (bonne ou mauvaise) mais pas les acheteurs. Dans cette configuration, l’incertitude existe sur le marché mais elle n’est plus uniformément répartie. Les vendeurs de miel détiennent des avantages informationnels sur les acheteurs ! Chaque vendeur connaît la qualité de son miel. Une telle incertitude n’est point favorable à l’efficacité économique. Et c’est cette forme d’incertitude qui est nocive à l’économie qui est appelée asymétrie d’information ou information privée.

La détention de l’information privée – ou asymétrie d’information – peut être relative aux caractéristiques cachées des biens ou services ou des agents dans de tels cas, les économistes parlent d’anti sélection (comme sur notre marché de miel hypothétique) ; si elle est relative à des comportements cachés (comme les efforts que peuvent fournir les vendeurs pour offrir du miel de bonne qualité), les économistes disent qu’il y a aléa moral.

Ces deux formes d’asymétrie d’information sont analysées par deux principales théories. La théorie du marché des « citrons » ou marché des voitures d’occasion développée par George Akerlof (1970) prend en charge les problèmes d’anti sélection. Tandis que la théorie de l’agence développée en 1976 par Michael C. Jensen et William H. Meckling s’intéresse à l'aléa moral.

La théorie de l’agence ramène le traitement des situations d’aléa moral à la relation qui existe entre un Principal qui confie l’exécution d’une tâche à un Agent.

Digitalisation des moyens de paiement et théorie de l’agence au Mali

La digitalisation est le procédé qui vise à transformer un objet, un outil, un process ou un métier en un code informatique afin de le remplacer et le rendre plus performant. https://www.alphalives.com/digitalisation.

Le vendredi 19 juillet 2024, la digitalisation de certains moyens de paiement a été lancée au Mali. Dorénavant, les maliens peuvent payer certaines prestations rendues par les administrations publiques en utilisant le système mobile money. Ces prestations sont les frais de cartes d’identité, les frais liés à l’octroi des actes d’Etat civil. Et aussi le paiement des contraventions qui sont exécutées par la Police Nationale.

La prise en charge du recouvrement des contraventions par la Police Nationale (idem pour le recouvrement des frais liés à l’octroi des actes d’Etat civil par les agents municipaux) génère des situations d’asymétrie d’information. Dans ce processus de digitalisation des paiements des contraventions, toute l’efficacité du recouvrement reposerait principalement sur les épaules des policiers une fois que toute la matrice de recouvrement au plan technique est mise en place. Ce cas précis des paiements ne se traduisant pas par « zéro contact » entre les usagers et les policiers constitue logiquement une situation d’aléa moral. Les policiers ont normalement un avantage informationnel (information privée) sur les autres acteurs par rapport aux difficultés encourues lors de l’exécution de cette tâche et bien d’autres éléments. Du coup, le comportement des policiers devient crucial dans l’atteinte de l’objectif d’efficacité assigné ! C’est dans un tel contexte d’asymétrie d’information que les préceptes de la théorie de l’agence deviennent opportuns.

Le Principal (les plus Hautes autorités) confie à l’Agent (la Police Nationale) l’exécution d’une tâche (le recouvrement des paiements des contraventions infligées). Alors, que doit faire le Principal pour que l’Agent aille exactement dans son sens de l’efficacité ?

D’emblée, la théorie de l’agence invalide la thèse de l’application de la contrainte ou de la coercition à l’égard de l’Agent. Par contre, le Principal doit mettre en place des mesures incitatives poussant l’Agent à lui mettre à sa disposition toute l’information privée qu’il détient. Dans cette dynamique, la théorie suggère comme solution idéale la franchise. C’est-à-dire que le Principal doit laisser à l’Agent toutes les recettes supplémentaires que ce dernier acquiert à la suite de tout effort supplémentaire fourni quand ce dernier inflige des contraventions au contrevenants. D’aucuns pourraient s’exprimer qu’une telle mesure est ultralibérale. Ils peuvent renchérir que nous ne sommes pas au pays de Javier Milei et que d’ailleurs la mise en œuvre effective d’une telle solution est quasiment impossible. Pardi ! Mais, la théorie garde toutes ses intuitions bienfaisantes ! A défaut d’être dans une stricte application des conclusions de la théorie de l’agence, le Principal doit tout mettre en œuvre pour inciter l’Agent afin de le pousser à agir dans son sens. Et pour cela, je propose la mise en place d’un pourcentage que l’Agent récupère sur chaque paiement de contravention réellement effectué. La mise en place d’une telle mesure incitative soulève d’autres questions telles que : quel est le niveau optimal d’intéressement que le Principal doit laisser à l’Agent ? Comment se fera le partage de ce montant entre les différentes composantes de l’Agent (la Police Nationale) ? Je pense sincèrement que si le Principal veut atteindre l’efficacité dans les paiements des contraventions il doit songer à la mise en place de mesures d’incitation appropriées si elles ne sont effectives.

Le « patriote » peut s’insurger contre de telles dispositions en proférant ses litanies préférées comme « mais l’Agent à un salaire non ? il doit avoir pitié de ce pays bon sang ! il est même déjà beaucoup payer pour le peu de travail qu’il exécute ». Ce même « Patriote » une fois confronté à la réalité de la circulation Bamakoise, et à supposer qu’il ait commis l’infraction suivante : « Non-respect du sens imposé à la circulation » et devant payer 2.500 F CFA (art. 10 décret 99-134) et qu’il propose 1.000 F CFA pour échapper à l’application « patriotique » de la loi ! Dans une telle situation que doit faire l’Agent ? Le « patriote » qui ne vit plus dans le virtuel n’est plus qualifié pour demander à l’Agent l’application de loi ! C’est en ce moment qu’il comprendra que « le patriotisme » est important, mais savoir que le monde réel est soumis à des forces naturelles importantes dont l’une d'elles se nomme aléa moral doivent aussi être prises en compte pour atteindre les objectifs fixés.

Série : Economie en question (N°5)

Théorie de la valeur : pourquoi le diamant a plus de valeur économique que l’eau ?

Le paradoxe de l’eau et du diamant a tenu en haleine les philosophes et autres penseurs de l’antiquité jusqu’à son dénouement définitif à la fin du 19ème siècle. Comment expliquer que l’eau qui est d’une utilité incontournable dans la vie des êtres organiques (plantes, animaux et Hommes) ait moins de valeur économique face au diamant qui n’a pas une si grande importance dans le maintien de la vie organique ? Voilà à travers cette interrogation toute la teneur du paradoxe ainsi posée ! Même avec la découverte de la valeur d’usage et de la valeur d’échange dont la paternité aurait été attribuée à Aristote l’énigme de la valeur économique des biens et services restera sans solution scientifiquement admise jusqu’à la naissance de l’école de pensée marginaliste.

Alors qu’est-ce qui fonde économiquement parlant la valeur d’un bien ou d’un service ?

Une approche objective de la valeur

Dans un premier temps, les économistes ayant été dans l’incapacité de trancher le paradoxe de l’eau et du diamant ont adopté une approche objective de la détermination de la valeur. Elle met l’accent sur une conception vénale de la valeur. Ce qui suppose qu’un bien ou un service qui n’est pas marchand n’a pas de valeur économique. Dans une telle perspective, c’est la valeur d’échange qui prime sur la valeur d’usage.

Les mercantilistes (16ème – 18ème siècles) sont les premiers penseurs à s’inscrire dans la défense de la valeur objective des biens et services au plan économique. Pour eux, la valeur des biens et services dépend principalement de la quantité de métaux précieux (or ou argent) qu’ils permettent d’acquérir. Les physiocrates (1750 – 1770) réfutant la théorie de la valeur des mercantilistes soutenaient que le principal fondement de la valeur des biens et services est la terre à travers l’agriculture qui était considérée par eux comme la source de toute valeur. Toujours en défendant l’approche objective de la valeur, A. Smith en 1776 après avoir réfuté les théories mercantiliste et physiocrate de la valeur dans son livre Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations allait insister sur le fait que seul le travail « direct » fondait la valeur des biens ou services. Pour lui, si par exemple, il faut 6 heures de travail pour produire un bien X et 2 heures pour un bien Y, alors le bien X aura trois fois plus de valeur que le bien Y. A sa suite, David Ricardo dans son ouvrage Des principes de l'économie politique et de l'impôt (1817) ajoutait qu’en plus du travail « direct », le travail « indirect » contribue à déterminer la valeur d’un bien ou d’un service. Par exemple, si pour produire les biens X et Y (cités supra), il faut maintenant respectivement 2 et 14 heures pour produire les capitaux servant à produire lesdits. En tenant compte des quantités de travail « indirect » ainsi retenues, c’est le bien Y qui aura 2 fois plus de valeur que le bien X. C’est cette même approche objective de la valeur qui a été défendue aussi par Karl Marx (1818 – 1883) l’élève de D. Ricardo. L’idéologue du socialisme a défendu lui aussi comme fondement de la valeur le travail des ouvriers face aux détenteurs des capitaux.

Pour boucler la boucle sur cette approche, en 1850, Claude Frédéric Bastiat dans son ouvrage Harmonies économiques tout en restant fidèle à l’approche objective de la valeur y précisait que la valeur dépendait exclusivement de la quantité d’efforts épargnés. Un tel positionnement de cet auteur sur la question du fondement de la valeur n’est pas sans nous rappeler le proverbe suivant « le chanceux vend de l’eau au bord du fleuve ». Ce qui peut être interprété que le chanceux en réalité ne vend pas l’eau, mais les efforts qu’il épargne aux acheteurs, efforts que ces derniers devraient déployer pour se fournir en eau.

Je constate que l’approche objective de la valeur exclut du champ de la valeur tous les biens et services qui ne sont pas marchands. Par exemple l’air pur, l’ensoleillement, les fleuves, les forêts etc. selon cette approche n’ont aucune valeur économique. Cette approche rend impossible l’estimation des biens et services publics qui ne sont pas vénaux. Ce sont ces insuffisances que l’approche subjective de la valeur a corrigées tout en résolvant le paradoxe de l’eau et du diamant.

Une approche subjective de la valeur

Le bal de cette approche a été ouvert par Jean B Say en 1803 dans son Traité d'économie politique. Pour cet auteur, c’est l’utilité qui fonde la valeur d’un bien ou d’un service. Cette conception de la valeur basée sur l’utilité qu’apportent les biens et services permet d’inclure dans la richesse d’une nation tous les biens et services pourvu qu’ils aient une utilité. Le triomphe définitif de cette approche fut atteint après les apports décisifs de l’école de pensée marginaliste.

Cette école y est parvenue en développant la théorie de l’utilité marginale. L’un des pionniers de cette école fut L. Walras. Dans son livre éléments d’économie politique pure (1896), soutenait que l’explication relative au fondement de la valeur à laquelle lui-même adhérait et défendue en premier par son père Antoine Auguste Walras (1801-1866) et Jean-Jacques Burlamaqui, (1694-1748) retenait l’utilité et la rareté. Pour ces auteurs, toujours selon L. Walras, la valeur économique des biens et services est toujours fondée par l’utilité et la rareté. Ce qui permet d’admettre que si deux biens ou services sont tous les deux utiles, celui qui enregistre un niveau de rareté le plus important aura dans ce cas plus de valeur.

En développant la théorie de la valeur utilité basée sur le concept d’utilité marginale, les marginalistes, pour paraphraser Joseph A. Schumpeter (1942), la théorie subjective de la valeur a définitivement enterré l’approche objective de la valeur. Par ricochet, elle résout aussi le paradoxe de l’eau et du diamant. Si le fondement de la valeur devient l’utilité et la rareté, il va de soi que le bien ou le service qui est le plus rare ait une utilité marginale plus élevée et par conséquent aura plus de valeur. Ainsi, l’eau qui est normalement plus abondante que le diamant aura forcément une utilité marginale plus faible que celle du diamant, et aura donc moins de valeur que ce dernier !

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