Temps de lecture : 13 min
Les taxes sur les
secteurs de la télécommunication et de la Fintech au Mali, un mal pour un bien
La situation actuelle du Mali a remis au goût du jour la
politique budgétaire de rigueur. Cette politique de rigueur consiste à
augmenter l’imposition dans le but d’assainir les dépenses publiques. A cet
effet, l’ordonnance N°2025-008/PT-RM du 07 février 2025, instituant le Fonds de
Soutien aux Projets d’Infrastructures de Base et de Développement Social
présente en son 2ème article l’objectif du Fonds de Soutien (FS) dans
ces termes « [Qu’il] est destiné à apporter une contribution financière, en cas
de nécessité et d’urgence, aux actions socio-économiques initiées par le
Gouvernement dans divers secteurs, notamment le secteur énergétique ». Si ces
réformes traduisent une volonté d’autonomisation budgétaire, elles provoquent
des indignations et des inquiétudes chez les maliens.
Les taxes pour deux secteurs ciblés : un rendement
attendu de plusieurs milliards de FCFA
Le fonds social doit être ravitaillé par des prélèvements
spécifiques du secteur des télécommunications et celui de la Fintech,
spécifiquement le mobile money. Comme toute taxe, les autorités maliennes ont
fixé (1) les assiettes des prélèvements, ce sont les valeurs faciales des
recharges de communication voix (prépaid) ; les factures de communication
voix (postpaid) ainsi que les forfaits Internet prépaid et postpaid et les
montants des retraits « mobile money ». (2) les taux applicables qu’elles
ont spécifiés sont respectivement 10% pour les valeurs faciales des services du
secteur des télécommunications et 1% pour les montants du service de « retraits
mobile money ». (3) en usant de leur troisième pouvoir en matière de taxes,
les autorités maliennes ont désigné les opérateurs télécoms pour la collecte
des montants issus de l’implémentation des différentes taxes spécifiées dans
ladite ordonnance.
Télécoms : des recettes fiscales tirées par
l’Internet
Le rapport d’activités 2023 de l’Autorité Malienne de Régulation
des Télécommunications /TIC et des Postes (AMRTP) signalait qu’en fin décembre
2023, le revenu moyen par utilisateur (ARPU = Average Revenue Per User) pour
les communications voix fixe et mobile faisaient respectivement 1.104 F CFA et 1.518
F CFA. Le même rapport mentionnait qu’à la même période, le parc total de la
communication voix mobile faisait 25.259.489 SIM actives pendant que celui du
fixe a été estimé à 347.704 clients. Une analyse de ces chiffres permet d’inférer
que si la taxe était appliquée en 2023, le secteur des communications voix
mobile et fixe permettrait de collecter une somme annuelle moyenne de près de 3,88
milliards de F CFA. La contribution moyenne du secteur de la voix mobile dans
ce résultat total serait de 3,83 milliards et un plus de 38 millions pour le
segment de la communication fixe.
L’ARPU du segment Internet dominé à 98% par l’accès en
situation mobile faisait 7.513 F CFA en fin 2023. La contribution moyenne de ce
segment au renflouement de la caisse du Fonds de Soutien sur la base des données
de 2023 permettrait de collecter dans une fourchette moyenne près de 10,07
milliards de F CFA auprès d’un parc de 13.409.405 clients.
La contribution de la Fintech dans le Fonds de Soutien
Le Fonds Social doit normalement bénéficier aussi de la
contribution du secteur de la Fintech, spécifiquement le service « retrait
mobile money ». A cet effet, partant toujours des données de 2023, sur ce
secteur, pour un chiffre d’affaire total estimé à 83,7 milliards de F
CFA ; les retraits ont culminé à près de 51 milliards. Une application de
1% de la taxe sur ce montant permettrait aux autorités maliennes de collecter
507 millions de F CFA.
Il ressort de l’analyse présentée supra, en prenant
l’année 2023 comme une année de référence, tous les prélèvements (télécommunications
et Fintech) apporteraient en moyenne, environ 14 milliards de F CFA
annuellement au Fonds de Soutien.
Incidence des prélèvements spécifiques pour qui ?
La problématique de l’incidence d’une taxe pose la
question de savoir qui supporte réellement le poids de la taxe ? En guise
de réponse à cette interrogation, les préceptes économiques sont formels.
Aucune autorité ne peut décider de cela. Ce pouvoir est exclusivement détenu
par les forces du marché. C’est elles seules qui peuvent répartir le
poids d’une taxe entre vendeurs et acheteurs. L’article 7 de l’ordonnance tente
d’aller à l’encontre de ce principe en ciblant préalablement les
consommateurs des services taxés. Partant d’une interprétation rigide de
l’esprit de cet article, le résultat de la communication gouvernementale est devenu
on ne plus poussif.
Venons aux faits. En appliquant une taxe de 1% aux
services « retrait » du secteur de la FinTech (faisant abstraction de
l’article 7 de l’ordonnance) ; personne ne peut prévoir dans ces
conditions qui des consommateurs maliens ou des opérateurs supporteront
l’entièreté de la taxe. L’application de la nouvelle taxe portera les frais de
retrait à 2% toutes choses égales par ailleurs. Ce pourcentage de retrait n’est
pas inédit au Mali. Les frais de retraits variaient entre au moins 2,5% et 10% des
montants retirés, avant d’être fixés par l’opérateur leader du marché à 1%
après trois changements successifs de grilles tarifaires en décembre 2021.
Le marché malien du mobile money est un oligopole à la
Stackelberg avec un leader détenant 78% de part de marché en fin décembre 2023
et trois suiveurs (Moov money, Sama Money et Wave). Sur ce marché, pendant que
le leader applique un taux de retrait de 1% comme Wave ; les frais de
retrait de Moov Money et de Sama Money font respectivement 0,9% et 0,5% en
février 2025. Sur un tel marché, rien ne prédit que l’instauration d’une
nouvelle taxe de 1% va être automatique répercutée sur les frais de retrait
(donc supportés exclusivement par les consommateurs). Bien au contraire, cette
nouvelle taxe pourrait être une opportunité pouvant redessiner la configuration
du marché malien de la Fintech permettant ainsi l’entrée ou l’éclosion sur
ledit marché d’opérateurs plus efficaces.
Les opérateurs efficaces pourraient supporter toute ou
partie de la nouvelle taxe en imitant la start-up américaine Wave lors de son implantation
au Mali en 2021. L’instauration de la nouvelle taxe « recrée »
simplement les mêmes conditions de marché quasiment identiques à celles qui ont
prévalu avant l’entrée de Wave en 2021 sur le marché malien de la Fintech. A
cette époque et contrairement à la nouvelle donne qu’imposera la nouvelle taxe,
tous les frais de retraits (entre au moins 2,5% et 10%) étaient captés
exclusivement par les opérateurs. Donc, soutenir que l’incidence de la nouvelle
taxe de 1% imposée sur le service de « retrait mobile money » sera
exclusivement à la charge des consommateurs maliens n’a aucun fondement de
sciences économiques.
En plus, une autre faiblesse de la taxe de 1% sur le service
de « retrait mobile money » réside aussi dans le choix de
l’assiette. Le marché de la Fintech, spécifiquement, la filière « mobile
money » propose en plus du service « retrait » les services de
« transfert » et de « paiements électroniques ». le chiffre
d’affaire réalisé en 2023 par les sociétés émettrices de la monnaie
électronique (EME) a été estimé par l’AMRTP à 83,74 milliards. Le service
« retrait » a contribué à ce chiffre d’affaire à hauteur de 60,5% en
ayant enregistré une progression annuelle de 35% par rapport à 2022. Les
services « transfert » et « paiements électroniques » ont
contribué à hauteur de près de 20% chacun. Mais en termes de progression sur
une année, c’est le service « paiements électroniques » qui a réalisé
la plus forte progression avec 68%. Une telle progression de ce service permet
d’inférer que les consommateurs peuvent significativement éviter la nouvelle
taxe de 1% imposée sur le service « retrait » en substituant à ce
dernier le service « paiement électronique ». Cet évitement devrait
être envisagé avant la mise en place de la nouvelle taxe.
La taxe de 10% sur le secteur des télécommunications voix
et Internet souffre aussi des mêmes lacunes que celles déjà signalées relativement
au service de retrait mobile money. L’article 7 a voulu faire porter par le
consommateur l’incidence de cette nouvelle taxe. Ce qui ne peut être fait
malheureusement à partir d’un bureau.
L’imposition de 10% sur les valeurs faciales des recharges
voix et Internet devrait être seulement notifiée à la population malienne. Les
deux services n’étant pas soumis aux mêmes conditions réglementaires – libre
administration des prix pour l’Internet et prix plafond pour la voix – a
priori, les autorités devraient faire confiance au fonctionnement du marché
pour la répartition de l’incidence de cette nouvelle taxe. En cas de présence
de faillances majeures constatées ex post, elles pourraient intervenir. Je suis
sûr que c’est sur le marché de la voix qu’une telle intervention allait être
« peut-être » nécessaire pour aider les opérateurs à travers une
hausse marginale du prix plafond de la communication voix. Et une telle
intervention allait aussi par ricochet améliorer les recettes de la TRATOP.
Que faire ?
Retenir qu’aucun législateur ou technocrate ne peut
décider de l’incidence des taxes depuis un parlement ou d’un bureau ! Et
en s’obstinant dans une telle voie, le législateur ou le technocrate devient
comparable à un physicien qui décide de défier la loi de la gravitation universelle.
Cette mission (fixation de l’incidence des taxes) doit être confiée aux
forces du marché. Dans le cas d’espèce, faire en sorte que le décret
d’application de l’ordonnance ne limite pas l’implémentation desdites taxes
dans le temps. En ne fixant pas de deadline, cela pourrait donner les
incitations nécessaires aux opérateurs (surtout ceux qui sont les plus
efficaces) de faire des efforts en termes d’efficacité de production, ce qui
pourrait leur permettre de réduire leurs coûts unitaires donc, de réduire significativement
le poids des taxes imposées par l’ordonnance sur les consommateurs maliens.
En définitive, ces taxes au lieu d’être vues comme un
frein au développement des secteurs ciblés peuvent contribuer à les rendre plus
concurrentiels tout en mettant des ressources à la disposition des autorités
maliennes, même si, je trouve que leurs estimations des ressources futures que
peuvent générer les nouvelles taxes semblent être déconnectées de la réalité
que dépeignent les chiffres disponibles actuellement.
Madou CISSE
FSEG