Contribution de M. Abdoulaye CAMARA, enseignant à la FSEG, U-Bazo, ESGIC.

La création monétaire est-elle endogène ou exogène ?

Au début du 19è siècle, cette question a fait l’objet d’une controverse célèbre à l’occasion du débat entre Currency School (école de la circulation) et Banking School (école de la banque). De nos jours, elle est réapparue dans l’opposition entre le multiplicateur de crédit et diviseur de crédit. Et, plus récemment, dans l’opposition entre l’économie d’endettement et l’économie de marché. Ces deux écoles de pensée économique s’opposent sur la règle d’émission de la quantité de monnaie en circulation par la Banque centrale.

Banking school versus Currency school

Dès la fin du 18è siècle, en Angleterre, deux interrogations principales vont susciter l’attention des économistes et les banquiers :

-          Comment peut-on réguler l’offre de monnaie en Angleterre et in fine dans tous les pays qui connaissent un régime d’étalon or ?

-          De quelle nature est la monnaie ? 

Ces interrogations résultent du Bank Restriction Act de 1797 qui fait naitre la controverse bullioniste dont l’enjeu était le suivant : la suspension de la convertibilité en or des billets de la banque d’Angleterre suite à l’acte de 1797, est-elle responsable de la hausse du prix de l’or (qui devient supérieur à la valeur de la monnaie, en d’autres termes il y a une dépréciation monétaire) et de la hausse du prix des marchandises autrement dit est-elle responsable de l’inflation ? Dès 1810 est publié le Bullion report sur les causes de l’inflation, une controverse s’est développée à propos de l’émission de monnaie dans le cadre du régime de l’étalon-or.

Pour simplifier, ce débat va se poursuivre et se retrouver dans les discussions qui opposent deux écoles : la Currency School représentée par David Ricardo et la Banking School par Thomas Tooke dont leurs positions antagonistes vont aboutir à l’énoncé de deux principes : le principe de la circulation (Currency Principle) et le principe de la banque (Banking Principle)

Le « Currency Principle »

La préoccupation de l’école de la circulation, dont le chef de file est D Ricardo, est de maintenir stable la valeur de la monnaie et donc de contrôler sa création, selon le principe de la Théorie Quantitative de la Monnaie (TQM).

Pour Ricardo et les tenants de « l’école de la circulation » considèrent que la quantité de billets émis par la banque centrale doit être intégralement couverte par des encaisses or. Concrètement, la quantité de billets en circulation doit donc être limitée. La création de monnaie par les banques est donc vue comme pouvant générer le risque d'une inflation. L'émission de monnaie doit être proportionnelle à l’encaisse métallique (principalement l’or) détenue dans les réserves de la Banque Centrale pour éviter le risque d’une dépréciation lorsqu’elle est émise en quantité trop élevée. Dans le contexte du système de libre-convertibilité de l’étalon-or de l’époque, les tenants de cette analyse voyaient aussi le risque que les banques ne puissent répondre à la demande des clients souhaitant échanger leurs billets contre de l'or. L’épisode de la faillite de la banque Law à la fin du XVIIIème siècle a illustré ce type de risque.

De ce principe découle le constant suivant : la monnaie en circulation est mixte. En effet, elle est composée d’or, de billets convertibles en or (c’est-à-dire que ces billets sont émis pour un montant qui reflète les variations du stock d’or), et de billets inconvertibles (qui prennent la forme de papier monnaie émis par l’Etat). Les billets de la banque d’Angleterre sont donc assimilés à de la monnaie métallique : M (la masse monétaire) varie en fonction de la quantité d’or dont dispose le pays. Mais d’où provient cet or dont dispose le pays ? En fait, le raisonnement de ce principe s’applique à des pays ayant chacun un régime d’étalon-or. Si bien que la quantité de métal disponible va dépendre des entrées ou des sorties d’or qui traduisent la situation des échanges extérieurs de la nation.

A l’inverse de cette position, l’économiste britannique Thomas Tooke, remarque dans l’analyse du principe de l’école de la circulation une confusion entre monnaie et crédit. En effet, le currency school considère que la monnaie métallique (l’or) et les billets inconvertibles sont de la monnaie ; mais il considère également que les billets convertibles sont de la monnaie. Or ces derniers sont aussi des instruments de crédit au même titre que les dépôts mobilisables par chèques.

Par ailleurs, les billets convertibles émis en contrepartie d’opérations de crédit (c’est-à-dire pour répondre aux besoins de liquidité de l’économie) doivent ils être soumis aux règles que celles concernant l’émission de la monnaie fiduciaire ? Doivent-ils être soumis au principe de circulation ?

La réponse par la négative à cette question va être caractéristique des partisans de l’école de la Banque qui vont définir le « Banking Principle »

Le « Banking Principle »

Pour Tooke, et les tenants de l’« école de la banque », la hausse des prix en Angleterre ne s’explique pas par la suspension de la convertibilité or des monnaies mais par des causes réelles liées à la guerre avec la France. Cette guerre a en effet interrompu les échanges et perturbé les récoltes. Autrement dit l’économie est perturbée par la guerre qui provoque une augmentation des prix qui s’accompagne quant à elle d’un accroissement de la monnaie en circulation. Pour résumer, l’inflation n’a pas de causes monétaires mais à de causes réelles. C’est un raisonnement inverse à celui de l’école de circulation, car toute hausse de M (masse monétaire) entraine une augmentation de P (niveau général de prix) alors que pour l’école de la banque la causalité est inversée car c’est l’augmentation de P qui s’accompagne d’une hausse de M.

L’école de la circulation estime qu’on ne peut pas faire dépendre l’émission de monnaie de la quantité d’or disponible car cette quantité dépend de facteurs qui ne sont économiques et qui sont liés à l’extraction de l’or et ses aléas. L’émission monétaire doit se faire en fonction des besoins de l’économie c’est-à-dire l’occasion d’opérations de crédit (opérations d’escompte). C’est pour cette raison qu’on admet que l’école de la banque a une conception endogène de l’offre de monnaie.

Il y a donc chez l’école de la banque une véritable distinction entre monnaie et crédit. Seuls l’or et les billets inconvertibles peuvent être considérés comme de la monnaie. De ce fait les billets convertibles et ce qu’on appelle aujourd’hui les dépôts en compte courant utilisés pour les paiements scripturaux ne sont que des instruments de crédit. Ils ne sont émis que parce qu’il y a une demande préalable des agents économiques c’est à dire une demande de crédit. Cette demande est fonction de l’activité économique. Même si la monnaie qui circule est uniquement métallique, il faut faire en sorte que le crédit puisse s’adapter aux besoins de l’économie. Ceci implique que pour les tenants de la Banking school il peut y avoir un contrôle monétaire mais celui doit être adapté à chaque catégorie d’instruments. C’est le principe de banque.

Au final, l’adoption en 1844 du Bank Charter Act à l’instigation de Sir Robert Peel (act de Peel) consacre des thèses de la Currency School. La Banque d’Angleterre est désormais divisée en deux départements :

Ø  Le département de l’émission ;

Ø  Le département de la banque

Le premier applique le « Currency Principle » et vérifie que les billets qu’il émet sont couverts par les réserves d’or au-delà d’un montant de 14 millions de livres. Lorsque ce plafond est atteint le second département intervient et interrompt l’escompte.

Toutefois, l’opposition d’hier entre Currency School et Banking School s’est toujours perpétuée, puisqu’elle n’a pas été clairement résolue. Il s’agit toujours de savoir la nature de la monnaie. La monnaie est-elle endogène ? exogène ? active ? neutre ? La théorie keynésienne, en mettant la monnaie au cœur de l’analyse du circuit de production, a largement contribué à développer une vision active de la monnaie. M. Friedman, quant à lui, a réactivé la théorie quantitative de la monnaie et insisté sur le risque inflationniste de tout excès de création monétaire.

Ainsi, depuis la crise de 2008, les banques centrales ont mis en œuvre des stratégies très actives de création monétaire très rapide par le biais de rachats d’actifs sur le marché. C’est ce qu’on appelle le quantitative easing (QE). Cette politique monétaire vise à stimuler le crédit et favoriser l’investissement productif et la consommation des ménages. Certains économistes, tels que Patrick Artus et Marie-Paule Virard, dans leur livre La folie des banques centrales, ont estimé que, par ces pratiques, les autorités monétaires ont éloigné la création monétaire de l’économie dite « réelle ».

M. Abdoulaye CAMARA

Temps de lecture : 13 min

Les taxes sur les secteurs de la télécommunication et de la Fintech au Mali, un mal pour un bien

La situation actuelle du Mali a remis au goût du jour la politique budgétaire de rigueur. Cette politique de rigueur consiste à augmenter l’imposition dans le but d’assainir les dépenses publiques. A cet effet, l’ordonnance N°2025-008/PT-RM du 07 février 2025, instituant le Fonds de Soutien aux Projets d’Infrastructures de Base et de Développement Social présente en son 2ème article l’objectif du Fonds de Soutien (FS) dans ces termes « [Qu’il] est destiné à apporter une contribution financière, en cas de nécessité et d’urgence, aux actions socio-économiques initiées par le Gouvernement dans divers secteurs, notamment le secteur énergétique ». Si ces réformes traduisent une volonté d’autonomisation budgétaire, elles provoquent des indignations et des inquiétudes chez les maliens.

Les taxes pour deux secteurs ciblés : un rendement attendu de plusieurs milliards de FCFA

Le fonds social doit être ravitaillé par des prélèvements spécifiques du secteur des télécommunications et celui de la Fintech, spécifiquement le mobile money. Comme toute taxe, les autorités maliennes ont fixé (1) les assiettes des prélèvements, ce sont les valeurs faciales des recharges de communication voix (prépaid) ; les factures de communication voix (postpaid) ainsi que les forfaits Internet prépaid et postpaid et les montants des retraits « mobile money ». (2) les taux applicables qu’elles ont spécifiés sont respectivement 10% pour les valeurs faciales des services du secteur des télécommunications et 1% pour les montants du service de « retraits mobile money ». (3) en usant de leur troisième pouvoir en matière de taxes, les autorités maliennes ont désigné les opérateurs télécoms pour la collecte des montants issus de l’implémentation des différentes taxes spécifiées dans ladite ordonnance.

Télécoms : des recettes fiscales tirées par l’Internet

Le rapport d’activités 2023 de l’Autorité Malienne de Régulation des Télécommunications /TIC et des Postes (AMRTP) signalait qu’en fin décembre 2023, le revenu moyen par utilisateur (ARPU = Average Revenue Per User) pour les communications voix fixe et mobile faisaient respectivement 1.104 F CFA et 1.518 F CFA. Le même rapport mentionnait qu’à la même période, le parc total de la communication voix mobile faisait 25.259.489 SIM actives pendant que celui du fixe a été estimé à 347.704 clients. Une analyse de ces chiffres permet d’inférer que si la taxe était appliquée en 2023, le secteur des communications voix mobile et fixe permettrait de collecter une somme annuelle moyenne de près de 3,88 milliards de F CFA. La contribution moyenne du secteur de la voix mobile dans ce résultat total serait de 3,83 milliards et un plus de 38 millions pour le segment de la communication fixe.

L’ARPU du segment Internet dominé à 98% par l’accès en situation mobile faisait 7.513 F CFA en fin 2023. La contribution moyenne de ce segment au renflouement de la caisse du Fonds de Soutien sur la base des données de 2023 permettrait de collecter dans une fourchette moyenne près de 10,07 milliards de F CFA auprès d’un parc de 13.409.405 clients.

La contribution de la Fintech dans le Fonds de Soutien

Le Fonds Social doit normalement bénéficier aussi de la contribution du secteur de la Fintech, spécifiquement le service « retrait mobile money ». A cet effet, partant toujours des données de 2023, sur ce secteur, pour un chiffre d’affaire total estimé à 83,7 milliards de F CFA ; les retraits ont culminé à près de 51 milliards. Une application de 1% de la taxe sur ce montant permettrait aux autorités maliennes de collecter 507 millions de F CFA.

Il ressort de l’analyse présentée supra, en prenant l’année 2023 comme une année de référence, tous les prélèvements (télécommunications et Fintech) apporteraient en moyenne, environ 14 milliards de F CFA annuellement au Fonds de Soutien.

Incidence des prélèvements spécifiques pour qui ?

La problématique de l’incidence d’une taxe pose la question de savoir qui supporte réellement le poids de la taxe ? En guise de réponse à cette interrogation, les préceptes économiques sont formels. Aucune autorité ne peut décider de cela. Ce pouvoir est exclusivement détenu par les forces du marché. C’est elles seules qui peuvent répartir le poids d’une taxe entre vendeurs et acheteurs. L’article 7 de l’ordonnance tente d’aller à l’encontre de ce principe en ciblant préalablement les consommateurs des services taxés. Partant d’une interprétation rigide de l’esprit de cet article, le résultat de la communication gouvernementale est devenu on ne plus poussif.

Venons aux faits. En appliquant une taxe de 1% aux services « retrait » du secteur de la FinTech (faisant abstraction de l’article 7 de l’ordonnance) ; personne ne peut prévoir dans ces conditions qui des consommateurs maliens ou des opérateurs supporteront l’entièreté de la taxe. L’application de la nouvelle taxe portera les frais de retrait à 2% toutes choses égales par ailleurs. Ce pourcentage de retrait n’est pas inédit au Mali. Les frais de retraits variaient entre au moins 2,5% et 10% des montants retirés, avant d’être fixés par l’opérateur leader du marché à 1% après trois changements successifs de grilles tarifaires en décembre 2021.

Le marché malien du mobile money est un oligopole à la Stackelberg avec un leader détenant 78% de part de marché en fin décembre 2023 et trois suiveurs (Moov money, Sama Money et Wave). Sur ce marché, pendant que le leader applique un taux de retrait de 1% comme Wave ; les frais de retrait de Moov Money et de Sama Money font respectivement 0,9% et 0,5% en février 2025. Sur un tel marché, rien ne prédit que l’instauration d’une nouvelle taxe de 1% va être automatique répercutée sur les frais de retrait (donc supportés exclusivement par les consommateurs). Bien au contraire, cette nouvelle taxe pourrait être une opportunité pouvant redessiner la configuration du marché malien de la Fintech permettant ainsi l’entrée ou l’éclosion sur ledit marché d’opérateurs plus efficaces.

Les opérateurs efficaces pourraient supporter toute ou partie de la nouvelle taxe en imitant la start-up américaine Wave lors de son implantation au Mali en 2021. L’instauration de la nouvelle taxe « recrée » simplement les mêmes conditions de marché quasiment identiques à celles qui ont prévalu avant l’entrée de Wave en 2021 sur le marché malien de la Fintech. A cette époque et contrairement à la nouvelle donne qu’imposera la nouvelle taxe, tous les frais de retraits (entre au moins 2,5% et 10%) étaient captés exclusivement par les opérateurs. Donc, soutenir que l’incidence de la nouvelle taxe de 1% imposée sur le service de « retrait mobile money » sera exclusivement à la charge des consommateurs maliens n’a aucun fondement de sciences économiques.

En plus, une autre faiblesse de la taxe de 1% sur le service de « retrait  mobile money » réside aussi dans le choix de l’assiette. Le marché de la Fintech, spécifiquement, la filière « mobile money » propose en plus du service « retrait » les services de « transfert » et de « paiements électroniques ». le chiffre d’affaire réalisé en 2023 par les sociétés émettrices de la monnaie électronique (EME) a été estimé par l’AMRTP à 83,74 milliards. Le service « retrait » a contribué à ce chiffre d’affaire à hauteur de 60,5% en ayant enregistré une progression annuelle de 35% par rapport à 2022. Les services « transfert » et « paiements électroniques » ont contribué à hauteur de près de 20% chacun. Mais en termes de progression sur une année, c’est le service « paiements électroniques » qui a réalisé la plus forte progression avec 68%. Une telle progression de ce service permet d’inférer que les consommateurs peuvent significativement éviter la nouvelle taxe de 1% imposée sur le service « retrait » en substituant à ce dernier le service « paiement électronique ». Cet évitement devrait être envisagé avant la mise en place de la nouvelle taxe.

La taxe de 10% sur le secteur des télécommunications voix et Internet souffre aussi des mêmes lacunes que celles déjà signalées relativement au service de retrait mobile money. L’article 7 a voulu faire porter par le consommateur l’incidence de cette nouvelle taxe. Ce qui ne peut être fait malheureusement à partir d’un bureau.

L’imposition de 10% sur les valeurs faciales des recharges voix et Internet devrait être seulement notifiée à la population malienne. Les deux services n’étant pas soumis aux mêmes conditions réglementaires – libre administration des prix pour l’Internet et prix plafond pour la voix – a priori, les autorités devraient faire confiance au fonctionnement du marché pour la répartition de l’incidence de cette nouvelle taxe. En cas de présence de faillances majeures constatées ex post, elles pourraient intervenir. Je suis sûr que c’est sur le marché de la voix qu’une telle intervention allait être « peut-être » nécessaire pour aider les opérateurs à travers une hausse marginale du prix plafond de la communication voix. Et une telle intervention allait aussi par ricochet améliorer les recettes de la TRATOP.

Que faire ?

Retenir qu’aucun législateur ou technocrate ne peut décider de l’incidence des taxes depuis un parlement ou d’un bureau ! Et en s’obstinant dans une telle voie, le législateur ou le technocrate devient comparable à un physicien qui décide de défier la loi de la gravitation universelle. Cette mission (fixation de l’incidence des taxes) doit être confiée aux forces du marché. Dans le cas d’espèce, faire en sorte que le décret d’application de l’ordonnance ne limite pas l’implémentation desdites taxes dans le temps. En ne fixant pas de deadline, cela pourrait donner les incitations nécessaires aux opérateurs (surtout ceux qui sont les plus efficaces) de faire des efforts en termes d’efficacité de production, ce qui pourrait leur permettre de réduire leurs coûts unitaires donc, de réduire significativement le poids des taxes imposées par l’ordonnance sur les consommateurs maliens.

En définitive, ces taxes au lieu d’être vues comme un frein au développement des secteurs ciblés peuvent contribuer à les rendre plus concurrentiels tout en mettant des ressources à la disposition des autorités maliennes, même si, je trouve que leurs estimations des ressources futures que peuvent générer les nouvelles taxes semblent être déconnectées de la réalité que dépeignent les chiffres disponibles actuellement.

Madou CISSE

FSEG

 Temps de lecture : 8min

L’augmentation de la TARTOP peut-elle être répercutée par les opérateurs maliens de télécommunication ?

Les Etats, qu’ils soient monarchiques, despotiques ou républicains ont de tout temps lever des impôts et des taxes pour assurer leurs obligations régaliennes et tutélaires.

Le « pouvoir » hors norme du marché en matière de taxe

L’économie positive soutient que la mise en œuvre d’une taxe exige la maîtrise de quatre « pouvoirs » qui sont : (1) la détermination du taux de la taxe ; (2) la détermination de l’assiette de la taxe ; (3) la désignation de l’agent économique qui doit payer le montant de la taxe (4) la détermination l’incidence de la taxe.

En suivant les préceptes de l’économie positive, il est admis et démontré que les Etats disposent les coudées franches quand il s’agit de fixer le taux, de déterminer l’assiette et l’agent qui doit payer les taxes qu’ils mettent en place. Malheureusement, pour les Etats, ils ne disposent d’aucun pouvoir quant à la fixation de l’incidence des taxes qu’ils mettent en place. En d’autres termes, aucun Etat ne peut fixer préalablement de manière certaine la répartition du poids d’une taxe entre les deux participants aux transactions économiques à savoir les acheteurs et les vendeurs. Ce pouvoir échoit principalement aux forces du marché, en une phrase aux lois de l’offre et de la demande. Seules les forces du marché déterminent qui des consommateurs ou des producteurs supporteront quels poids ou incidence d’une taxe instaurée.

Le marché pour déterminer l’incidence d’une taxe s’appuie sur l’élasticité de la demande du bien ou du service – la sensibilité de la quantité demandée d’un bien ou d’un service à la variation de son prix unitaire de 1% toutes choses égales par ailleurs – soumis à la taxe. Si la demande est élastique au prix les producteurs supporteront plus le poids de la taxe que les acheteurs. Dans une telle éventualité, les premiers cités ne peuvent répercuter qu’une infime partie de la taxe sur leurs prix de ventes. Ils supportent l’incidence en réduisant leurs marges bénéficiaires. (dans le cas théorique extrême des demandes parfaitement élastiques, les producteurs supporteront l’entièreté de la taxe qui sera ponctionnée dans leurs marges). Par contre, si la demande est inélastique au prix du bien ou du service, l’incidence de la taxe est supportée majoritairement par les acheteurs (dans le cas théorique extrême des demandes parfaitement inélastiques, les acheteurs supporteront l’entièreté de la taxe). Dans le cas théorique d’élasticité de la demande prix unitaire, les vendeurs et les acheteurs supporteront l’incidence de la taxe fifty-fifty.

Quid de la TARTOP ?

Dans le communiqué du Conseil des Ministres du 05 février 2025 (CM N°2025-06/SGG), les autorités de la transition du Mali sur un rapport du Ministre de l’Economie et des Finances, ont adopté un projet de loi portant modification de la Loi n°06-067 du 29 décembre 2006, modifiée, portant Code général des Impôts. Spécifiquement, le Conseil des Ministres a adopté un projet d’ordonnance qui modifie le Code général des Impôts en augmentant de 2% le taux de la Taxe sur l’Accès au Réseau des Télécommunications Ouvert au Public (TARTOP) initialement fixé à 5%.

En fixant ce nouveau taux de la TARTOP à 7%, comme le prévoient les préceptes de l’économie positive, les autorités maliennes ont usé des trois (03) pouvoir dont elles sont détentrices en matière de fiscalité, à savoir (1) fixer à 7% le taux de la TARTOP ; (2) déterminer l’assiette de ladite taxe (le chiffre d’affaire global hors taxes des opérateurs télécom) (3) l’agent économique qui doit faire le chèque ou le virement bancaire pour le fisc : elles ont désigné les opérateurs télécom pour cela. Ce que les autorités de la transition a priori ne peuvent fixer, c’est l’incidence de cette taxe c’est-à-dire qui entre consommateurs et opérateurs doivent supporter combien pourcent des 7% de la TARTOP. Seuls les marchés des télécoms (voix, Internet, sms) ont ce pouvoir dans un contexte de marché soumis à la concurrence.

Les marchés des télécoms au Mali

Le marché des télécoms compte trois (03) opérateurs de réseaux mobiles (Orange Mali, SOTELMA et ALPHA TELECOM). Ces opérateurs évoluent tous sur le marché de la télécommunication voix mobile, sur celui du fixe et sur celui de l’Internet mobile et fixe et du SMS. En fin 2022, le chiffre d’affaire global toutes taxes comprises qu’ils ont déclaré auprès de l’autorité de régulation faisait 586 milliards. Ce chiffre d’affaire est archi dominé par les recettes issues du marché de la télécommunication voix mobile à hauteur de 94%.

Le prix du marché de la voix mobile est régulé et fixé par l’autorité malienne de régulation des télécoms à 80 F CFA la minute (prix plafond). Celui de l’Internet est libre.

Dans un tel contexte, une augmentation de la TARTOP ne peut induire aucune nouvelle incidence pour les consommateurs sur le marché de la voix mobile car le plafonnement du prix unitaire sur ce marché rend impossible toute répercussion sur le prix de ce service. Le plafonnement du prix unitaire de la communication voix mobile suspend automatiquement le pouvoir que peut avoir le marché de répartir le poids de la TARTOP entre les consommateurs maliens et les opérateurs télécom.

C’est sur le maché de l’Internet que les opérateurs peuvent avoir une certaine latitude de répercuter une partie de l’augmentation de la TARTOP sur les prix des forfaits. Même là, comme les préceptes de l’économie positive le présentent clairement, seules les forces du marchés à travers l’élasticité prix de la demande de ce service fixent le niveau des incidences pour les opérateurs télécoms et les consommateurs maliens.

Madou CISSE

FSEG

 

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Le protectionnisme au service d’objectifs politiques

Dans le précédent papier publié sur mon blog que le lecteur peut consulter à l’adresse suivante : https://cequejepensemali.blogspot.com/2025/01/temps-de-lecture-5-min-quand-le-47-eme.html, je promettais de répondre à la question suivante : que disent les préceptes de l’économie positive sur l’impact de la mise en place des mesures protectionnistes dans un pays? Dans le présent article la focale concerne les mesures tarifaires et plus spécifiquement les droits de douane sur les importations.

Mesures protectionnistes pour quels objectifs ?

Les mesures protectionnistes peuvent être tarifaires ou non tarifaires. Ces mesures peuvent viser les prix, les volumes ou les qualités des biens et services étrangers qui doivent être introduits sur un territoire national. Durant toute la période des trente glorieuses, les mesures protectionnistes avaient principalement des visées commerciales. Actuellement, ces mesures (surtout tarifaires) peuvent être mobilisées pour atteindre des objectifs politiques ou environnementaux ou écologiques.

La mise en œuvre des mesures tarifaires protectionnistes pour l’atteinte d’objectifs politiques est illustrée par les récentes mesures édictées par l’actuel Président américain à l’encontre du Canada et du Mexique. En voulant imposer toutes les importations américaines de biens et services provenant de ces deux pays frontaliers de 25%, l’administration américaine vise principalement une forte implication de ces deux pays dans la lutte contre l’immigration irrégulière et aussi en sus pour le Mexique une lutte sans merci contre le trafic de la drogue fentanyl qui est en train de faire des ravages aux Etats-Unis. Même si les déficits commerciaux américains vis-à-vis de ces deux pays et de la Chine sont abyssaux sur un déficit total estimé à près de 1.000 de dollars US en fin 2024 ; les mesures protectionnistes prises par l’administration américaine ont principalement des visées plus politiques (lutte contre l’immigration irrégulière) que commerciales ou économiques.

Protectionnisme : impacts

Dans le but de décrire les impacts prévus par l’économie positive suite à l’imposition d’une taxe sur les importations de biens et services étrangers, je considère (1) d’abord une économie ouverte – c’est-à-dire une économie commerçant sans entraves majeures avec le reste monde, comme le cas des Etats-Unis sous l’administration précédente où le taux moyen d’imposition des importations de biens et services était de 3% – (2) l’imposition de la taxe est supposée frapper tous les biens et services étrangers sans aucun ciblage de secteurs ou de filières spécifiques (comme veut le faire l’actuelle administration américaine vis-à-vis du Canada, du Mexique, de la Chine et de l’Union Européenne).

En situation d’économie ouverte (sans entraves majeures), le prix des biens et services sont bas et tendent vers leurs coûts unitaires de production. Dans ce contexte, les marges des entreprises nationales et étrangères sont faibles. La concurrence est rude et les gains des consommateurs sont importants. Le manque à gagner que génère une telle situation par rapport à la situation de référence qu’est la concurrence parfaite est faible. Dans une pareille économie, seules les entreprises efficaces (produisant au minimum de coûts pour le maximum d’outputs) peuvent émarger et rester sur les différents marchés.

L’imposition d’une taxe à l’encontre des importations étrangères peut réduire normalement l’offre étrangère ou si la distribution des élasticités entre offre et demande est plus favorable à l’offre qu’à la demande des biens ou services, les entreprises étrangères peuvent répercuter tout bonnement la hausse de la taxe sur leurs prix de vente. Dans les deux éventualités, cela conduira à une hausse des prix des biens et services à l’intérieur du pays (donc possibilité d’inflation). L’introduction de la taxe peut aussi ressusciter des entreprises nationales inefficaces. Ce réveil fouettera positivement la demande nationale de travail. Cette nouvelle situation réduit significativement les gains des consommateurs tout en restituant une partie des gains perdus par les consommateurs aux producteurs nationaux et étrangers capables de satisfaire la demande nationale qui ne resterait pas inchangée et qui baisserait du fait de l’augmentation du niveau moyen des prix. Un tel transfert de gains des consommateurs vers les producteurs passe par une amélioration des marges des derniers cités. Contrairement à la situation de l’économie ouverte, les manques à gagner de cette économie « fermée » deviennent très importants par rapport à la situation de référence qui est la concurrence parfaite.

Les Etats-Unis ont la faveur des arguments

Cet épisode d’imposition des droits de douane par l’actuelle administration américaine prouve que les taxes aux frontières visant les biens et services importés peuvent être utilisées pour atteindre des objectifs politiques. Mais que la mise en place d’un tel engrenage doit obéir à certaines réalités socio-économiques telles qu’être une puissance économique et militaire, avoir des déficits commerciaux importants vis-à-vis des pays concernés et surtout avoir une possibilité quasi illimitée de diversification de partenaires commerciaux tout en ayant aussi des marges de manœuvres importantes en termes de possibilité de production domestique. Tous ces critères mis bout à bout permettent de comprendre le pourquoi du comment du comportement de l’actuelle administration américaine. En définitive, cet épisode doit aussi permettre de comprendre en creux qu’un pays pauvre ne peut pas s’offrir un luxe de défier sempiternellement par l’usage de droits de douane ses différents partenaires commerciaux.

Madou CISSE

FSEG

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